Histoire de Montdidier

Livre II - Chapitre III - § I - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Condamnations diverses

La seigneurie de la Tournelle est cédée à la ville

Charte de Philippe le Bel

Modifications qu'elle introduit dans le système communal

 

Le montant des amendes prononcées par le maire était facultatif ; cependant, bien que la charte n'eût rien fixé à cet égard, il paraît qu'il y avait certaines limites que l'on ne devait pas dépasser : c'est ce qui résulte d'un arrêt de 1290 que nous allons mettre sous les yeux du lecteur. Le maire et les jurés avaient condamné Pierre Binart, Matthieu Basin, Colard de Hangest et Robert de Bain à 22 livres parisis d'amende, pour avoir frappé d'une manière atroce, publiquement et en plein jour, sur une place qui est au milieu de la ville, un nommé Robert de Ferrières, bourgeois de Montdidier. Pierre Binart appela de ce jugement au parlement ; il demandait que la sentence fût réformée parce que l'amende était trop considérable, soutenant que, d'après la coutume du pays, il ne devait pour le fait qu'il avait commis que 60 sols parisis. Le maire et les jurés maintinrent le bien jugé de l'affaire, alléguant que, pour les délits, l'amende était arbitraire dans les villes de commune ; que c'était la coutume des cités environnantes, et spécialement celle de Montdidier. Le parlement, après avoir écouté les raisons des deux parties, considérant que, de son propre aveu, Pierre Binart était coupable, confirma le jugement du maïeur et des jurés, ordonna que le condamné payerait l'amende au roi, aux maire et échevins, mais que ces derniers ne pourraient percevoir cette amende ni en tirer profit sans l'avis et la volonté du roi :

« Cum a majore et juratis ville Montisdesiderii pronuntiatum fuerit, per judicium, Petrum dictum Binart, Matheum dictum Basin, juvenem ; Colardum de Hangesto et Robertum de Bain emandam vigenti duarum librarum Parisiensium solvere debere, pro eo videlicet quod ipsi verberaverunt atrociter, palam et de die, circa horam terciam , Robertum de Ferrières, burgensem dicte ville, in quadam platea que est in medio dicte ville, a quo quidem judicio tanquam a pravo et falso, dictus, Petrus ad nostram curiam appellavit, dicens dictum judicium falsum esse, quia nimis magna erat emenda, asserens eciam quod, secundum consuetudines patrie, quilibet debebat tantum pro tali facto sexaginta solidos Parisienses ; dictis majore et juratis ex adverso dicentibus, dictam emendam esse arbitrariam super delictis perpetratis, hunc et inde proposito, audita etiam et intellecta veritate super delicto et qualitate delicti per confessionem dicti Petri, pronunciatum fuit, per judicium, dictum Petrum male appellasse, dictosque majorem et juratos bene judicasse et nobis dictis que majori et juratis emendari debere ; sed dicti major et jurati dictam emendam levare vel explectare non poterunt, nisi de consilio et voluntate domini regis. » Parlement de la Pentecôte. 1290.

Il résulte évidemment de cet arrêt que pour la répression des délits l'amende était à la volonté du juge, mais qu'il y avait tacitement une sorte de tarif pénal adopté ; autrement, sur quoi se serait fondé Pierre Binart pour prétendre que l'amende était trop élevée ? Ce n'est pas une expression générale qu'il emploie, il spécifie et précise l'amende qui aurait dû lui être infligée, c'est 60 sols parisis : il faut donc admettre que son appel reposait sur une base quelconque, et qu'il y avait des précédents qui pouvaient l'engager à en appeler au parlement.

La charte parle des seigneurs qui possédaient des domaines dans l'étendue de la commune, et elle fait toute réserve de leurs droits. L'arrêt de 1278, concernant Robert de la Tournelle, y portait une grave atteinte, car on voit, d'après son dispositif, que le parlement reconnaît à la justice municipale le droit de prononcer sur la validité d'un règlement fait par un seigneur dans les limites de ses domaines : Judicia fiant per scabinos, et non per ipsum ; rien n'établit à quelle époque la juridiction de la mairie commença à l'emporter sur celle des seigneurs.

Lors de la réunion de Montdidier à la couronne, il y avoit, outre le comte de Vermandois, diverses personnes qui possédaient des fiefs dans la ville ; tels étaient les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, le sire de Mello, l'abbé de Froidmond, le vicomte de Breteuil, le seigneur du Cardonnoy et autres ; mais le plus puissant était le seigneur de la Tournelle. Ses droits étaient assez considérables pour exiger la présence d'un prévôt, dont Philippe-Auguste lui avait garanti le maintien par une disposition spéciale de la charte. La mairie vivait en mauvaise intelligence avec ces seigneurs, et finit par traiter successivement avec chacun d'eux. Le sire de la Tournelle fut le plus difficile à amener à composition : de là des procès dont celui de 1278 est un exemple. Fatigué de ces tracasseries, et voulant éviter les difficultés qui s'élevaient sans cesse entre lui et la commune, Jean de la Tournelle céda tous ses droits à la ville en 1289, moyennant la somme de 237 livres 12 deniers parisis, payables chaque année en deux termes, à la Saint-Remi et à la Chandeleur : cette somme représenterait aujourd'hui 4,372 francs.

On peut juger par ce chiffre de l'importance des prérogatives du seigneur de la Tournelle et de la prospérité de la commune, qui pouvait, sans s'obérer, payer cette rente et celle beaucoup plus considérable que l'on devait-au roi. Le treizième siècle et la première moitié du quatorzième furent les époques les plus florissantes de Montdidier.

Le contrat intervenu entre le seigneur de la Tournelle et la commune est en langue vulgaire et peut se passer de commentaire ; l'idiome de cette époque, bien que fort éloigné du nôtre, est cependant facile à comprendre. C'est notamment sur le fait de la justice que roulent les principales dispositions de l'acte intervenu entre les deux parties, et, sous ce rapport, la lecture de cette pièce offre un intérêt réel (Pièce just. 17). Le vivier et le moulin de Houpaincourt, dont Jean de la Tournelle se réserve la possession, se trouvaient en remontant la vallée, du côté du Monchel ; une partie était dans la banlieue, l'autre sur le territoire d'Ayencourt ; dès 1518 , le moulin n'existait plus. Dans le siècle dernier, le fief de Houpaincourt se composait de vingt-sept journaux, soixante verges de pré, en une seule pièce, tenant d'un bout à la fontaine des Blancs-Murets, et de l'autre au moulin et aux haies du Monchel ; ce fief appartenait au comte de Mainville, qui le céda en 1745, par voie d'échange, au chapitre de la cathédrale de Beauvais, à l'exception de vingt-cinq verges contiguës au moulin qu'il s'était réservé comme chef-lieu de fief.

Huit ans après l'accord conclu entre les habitants et Jean de la Tournelle, Philippe le Bel octroya une nouvelle charte à la ville ; on n'est pas mieux renseigné sur les causes qui ont motivé cette seconde charte que sur celles qui ont donné lieu à la première ; il est probable que celle de 1297 fut délivrée sur la demande des habitants, intéressés à faire confirmer par le roi l'accroissement de puissance qu'ils avaient acquis avec le temps : quoi qu'il en soit, c'est une chose très-rare de voir deux chartes données à la même ville à cent ans d'intervalle. La charte de Philippe le Bel était en latin ; le texte original n'est point arrivé jusqu'à nous, nous ne la connaissons que par la traduction suivante, qui se trouvait insérée dans le Livre-Rouge :

Les secondes chartres de la ville de Montdidier furent octroiées en latin par Philippes roy de France, et construites en françois par li manière qui ensuit : « Philippes par la grâce de Dieu roy des Franchois faisons savoir à tous tant presens comme à venir, que nous avons ottroié à nos amés Bourgeois de Montdidier commune et establissement de pais selon les loiaux usaiges et les loiaux coustumes de nostre ville de Laon, en telle manière ; c'est assavoir que aucuns dedens les termes de la pais de lad'ville de Montdidier ne puet prendre aucuns serf ou francq, ou aucune autre personne, ne faire aucune prinse pour quelconque forfait ; mais par le Maïeur de lad'ville ou son lieutenant, ou le sergent d'iceluy les prinses quelconques seront faites en lad'ville forcques en cas tant seulement que a nous appartiengue. Et se aucuns qui soit de le pais de lad'ville ou de dehors faisant en aucune manière quelsconques injures dedens le pais de icelle ville à aucune personne de quelque estat et condition qui soit, ou aucunes personnes de le pais de lad'ville, ou de dehors faisans en aucun lieu dedans les termes de la pais ou dehors ; cil qui telle injure feroit seroit adjourné par le Maïeur de lad'ville ou par son commant en quelque lieu qu'il soit couchant ou levant, et venra iceluy adjourné dedans quatre jours par devant ledit Maïeur, Jurés et Eschevins et sera tenu à luy purgier de tels injures ou amender l'injuré a la volonté d'iceux, et il pourra estre banis de le pais de lad'ville, et ne pourra il vairier ou retourner jusques a tant qu'il aura amendé l'injure a celui a qui il aura faite, et au Maïeur Juré, selon l'arbitrage ou esgards de iceluy Maïeur et Jurés ; et se chil qui tel injure aura faite attendoit par quinze jours après ledit ban sans venir et amender, nous commanderions iceluy à venir amender tels injures, par prinse de son corps et de ses biens, si nous ou nos gens en estions requis dud' Maieur, Jurés, ou de leur messagier. Et se aucun amenoit par ignorance dedens les termes de ladite ville de lad. pais aucun déboutté de lad. ville, ou luy voulsist mener ; il peut prouver son ignorance par son serment, et ramener franchement a celle fois celuy qui li injure auroit fait. Et se ne se peut purgier ou veut, celui injurieur sera détenus jusques a tant qu'il ait fait satisfaction compettent. Se aucuns par aventure die ou face villenie ou injure a aucuns, si comme il avient souvent il se visse convaincu loyalment, amendera l'injure, a celuy qui l'aura souffert selon la loi et l'usage par laquelle est gouverné, et au Maïeur et Jurés, il sera fait de l'amende de la pais enfrainte à leur plaisir et esgard. Et se celuy qui l'injure aura souffert refuse à prendre l'amende il ne luy loira pas dedans les termes de lad' paix ne dehors, a requerir autre amende ou prendre vengansse. Se luy qui aura l'injure souffert navroit celuy qui luy auroit fait l'injure, il sera tenus a payer les despens faits pour les médecins de la cure d'iceluy navré, et par le jugement d'iceluy Maïeur et Jurés fera satisfaction souffisante au blechié et a iceux Maïeur et Jurés l'amendera à leur plaisir et esgard pour ladite pais viollée. Se aucun a mal talent et heine de chief à ung aultre, il ne loira pas a l'un ne a l'autre a suir l'autre hors du chastel ou a faire luy gaitier en entrant ; et se il avenoit que en venant ou en issant, l'un fut occhis de l'autre ou que membres luy fusses hors coppés. le mauffaiteur appelé sur ce, se purgera par loyal jugement selon l'esgard et arbitraige dud' Maïeur Jurés et devant iceux. Se aucun estoit batus ou navré dedans les termes de lad'pais par le fait ou par le pour cas d'aultruy ; se celuy qui aura l'injure soufferte ne pouvoit prouver par loiaulx tesmoings qu'il eut esté poursuis ou espiet d'aultruy, il loira à celui a qui il sera mis sus, a lui purgier par son propre serment, et se li malfaiteur est trouvé coulpable , il rendra chief pour chief, ou membre pour membre, ou digne rachat pour chief ou pour membre à lesgard ou au plaisir desdits Maïeur Jurés. Après ces choses se aucun est obligiés ou liés envers aucun pardevant ledit Maïeur, li Maïeur pourra justicier, et luy apartiendra pour raison de telle obligation ou lien, et se il n'est obligiés ou liés, pardevant celluy ou la convenenche n'est desmanaige et celluy qui est adjourné ou convenu, requiert estre renvoié à le court du seigneur soubz qui il couche ou Iieve, il sera renvoié à icelle court, et ses sires doit icelluy mener par droit et justice par le seigneur des Eschevins de Montdidier, se comme il est accoustumé. Se aucuns pour larrechins, ou souppechon de larrechin est prins dedans les termes de la pais de lad'ville, il sera mené au Maïeur et sera jugié par les Echevins selon la calité du meffait. Et se il est trouvé coupable par le jugement du Maïeur et des Jurés, il sera rendus à nostre prevost de Montdidier pour en faire faire exécution d'icelui. Se il est trouvé sans couppe li Maire le pourra délivrer, excepté la terre de ladite ville et pais qui fut jadis au seigneur de la Tournelle en laquelle lesd' Maïeur et Jurés sont cogneu avoir toute justice haute, basse et les exploits aussi en laquelle terre justice sera octroyé par nos lettres sur ce faites. Se aucun vil ou deshonneste personne mest sus ou die villenie à aucun ou aucune honneste personne homme ou femme, il loira à aucun vaillant homme de la pais, se il survient avecques a reprendre icelluy qui telle villenie dira et a refraindre cestuy de sa laide parolle en donnant à icelluy une collée, deux ou trois sans aucun forfait. Et se a celuy qui aura ainsi castié le tenchant, on met sus, qu'il aura feru le tenchant pour haine anchienne, il loira a celuy a qui ché sera mis sus, a luy purgier par son propre serment qu'il n'a point feru icelluy par aucune anchienne haine, fors pour pais et concorde vuarder. Se aucuns de la pais marie son fils ou sa fille, son nepveu, sa niepce, ou son cousin ou cousine ou aultres personnes et y lui donne terre, ou aultres possessions de heritaiges, et la personne à qui ce aura esté donné meurt sans hoirs de son corps, quelsconques choses qui luy aura esté donné de terre ou d'autre héritaige retournera au donneur ou a ses hoirs, et en cette manière, sera il des biens meubles se ils n'ont esté cangié ou mué. Et se li homme marié meurt sans hoirs de son propre corps ses possessions revinront à ses prochains hoirs, excepté le douaire donné à sa femme qu'elle tenra tout le temps de sa vie, et de icelluy fera sa voulenté en toute sa vie, après la mort de laquelle femme, icelluy douaire revenra aux prochains hoirs de son mari mort. Et se lad' femme se meurt sans hoirs de son propre corps, toute sa possession revenra a ses plus prochains hoirs che saouf que cils mariés pourront ordonner en leurs vies de leurs biens a leur voulenté. A de cherttes li meubles et li conquets qui seront pardessus seront divisés en deux parts desquels celui ou celle qui demoure en vie aura la moitié et les hoirs de celluy ou celle qui sera trépassé aura l'autre. Se li homme ou le femme n'ont hoirs prochains qui de droit puissent tenir à leur succession ; ung d'iceulx mort, tous les biens demouirront à celuy qui sera en vie, et si l'un et l'autre sont morts les deux parts de leurs biens seront distribués pour le remède de leurs asmes par les mains des Maïeur et des Jurés, et la thierche partie sera convertie en l'édifice des murs de lad'ville de Montdidier. Nuls de la pais ne paiera taille hors de la ville de Montdidier se il n'a ou tieng aucunes terres hors de la pais qu'ils doivent taille, et que il ait si chiere qu'il veuille paier taille pour icelle. Les hommes de lad. pais ne seront contraints de plaider hors du chastel ; et se il avenoit, que nous eussions cause en contre aucuns d'iceux, justice nous sera faite seur ceulx, par le jugement des Jurés, et se contre tous ceulx de lad'ville nous avons cause, justice nous sera faite de iceulx au loyal jugement des jurés de la communauté des francs hommes du païs qui sont de la pais. Se aucun clerc a fait aucun forfait, dedans les termes de lad. pais, et il est chanoine, li clame d'icelluy sera portée à son dean et par icelluy sera justice faite, se li mauffaitteur n'est point casnoine, icelluy clerc sera contrains et envoyés a son evesque ou archidiacre ou a son depulté d'eulx ; ou de l'un d'eulx à faire justice du meffait. Se aucuns chevalliers ou aultres du pais meffait aux hommes de ladite pais, et iceulx mauffaiteurs admonnaistés du Maïeur ne vont faire droiture, icelluy homme et ses biens que ont trouvera dedens les termes de lad. pais seront prins par le Maïeur ou par command pour l'amende du meffait, jusques aceque le homme de lad'pais puist par ce ensuir et avoir droiture par les mains des Maïeur et des Jurés. Tous les héritages qui sont tenus a cens ou a terraige estans dedens les termes de lad'pais pourront estre vendus touteffois qu'il plaira aux tenans, moiennant seize deniers que les seigneurs aura, en qui le treffons de le héritaige seront ; et huit deniers li echevins auront, qui seront presens à la saisine et desaisine faire, sans paier aucunes aultres ventes : et ne pourra la saisine estre faite sans la présence des Eschevins et par iceulx, se aucun veut ou peut de droit retraire héritaige vendu, il doit faire de nécessité dedens dix-sept jours après la saisine faite dudit héritage. Se aucun requiert cerquemanaige ou voie, bornaige, ou partie de terre ou de maisons ou d'aultres édiffices contre aucunes personnes, ou aisements, ou division sur voies ou chemins dedans les termes de lad. pais ; la cognoissance et l'exécution de faire tels choses apartiendra ausdits Maïeur et Jurés et leur demoura. Se aucuns enffraint le pais faite et donnee par le Maïeur entre parties en quelque lieu que se soit dedens les termes de lad. pais ou dehors entre les hommes de lad. pais il sera pugnis à la voulenté du Maïeur et des Jurés pardevant iceulx, et par l'esgard d'iceulx. Nous retenons pardevant nous la devant dite commune espécialement soubz notre Majeste et ne pourra ou temps advenir être mise hors de nostre main, ou de nos successeurs ne en quelconque aultre manière, mais demoura tousjours soubz la couronne de France. Et seur que tous nous vollons que tout leur bon usaige et coustumes, desquels ils ont usé jusques a ores soient tenues paisiblement et gardées a tousjours ausd' Maïeur et Jurés ; et nos rentes de la ville de Montdidier cy-dessous nommés. C'est assavoir pour tous les tonnelieux de lad. ville ; travers en quelconsques lieux qui soit cueillis dedans la chastelenie ; pour le cange ; pour terre ahanable que nous avons ou terroir de lad. ville ; pour saullers, exceptés les saullers pour nostre portier et de nostre gaitier ; pour molins a eaue et a vent ; pour le vivier du moulin Hubert ; pour nostre vigne, pour les rentes de nostre vigne ; pour quarante sols de cens ; pour les foâges des hommes dedans la ville ; pour trois muis et quatre septiers d'aveine de cens ; pour rouaige ; pour un septier de foraige ; pour cappons et deniers à cens ; pour douze livres de chire ; pour anguilles et bourdelles de molins, excepté celles que nous aurons touteffois que nous serons à Montdidier ; pour toutes les choses dessus dites et pour acquets qu'ils feront raisonnablement ès choses dessus nommées les hommes de lad. communauté seront tenus de bailler chacun an a nous ou a nos successeurs cinq cent soixante livres parisis desquels li paiemens de la première partie, c'est assavoir : Cent soixante livres parisis seront paiés à la feste Saint-Remy ; la seconde partie c'est assavoir deux cents livres à la Purification de Nostre-Dame ; l'aultre, c'est assavoir à l'Enssencion Nostre Seigneur, deux cents livres. Ils ne nous paieront aucune procuration, ja soit ce que chils de Laon soient tenus de paier a nous trois procurations. Et est assavoir que nous retenons nostre prevosté de Montdidier et tous nos forfaits est assavoir justice de rapt, de murdre, et de arsin. A de chertes nous retenons sept sergens qui ne seront pas de lad'commune et quand aucuns sergens seront illec institués nous ne ferons pas aucuns sergens qui soient de lad'commune. Nous avons establi, crée et establissons de nous et de nos devanchiers et vollons desmourer perpetuellement à lad'commune les constitucions devendites en telle manière, saouf nostre droit, et le droit de sainte Eglise, et des chevailliers qui ont leur destroit et loyaulx drois dedens les termes de lad'pais, quelconques ils soient ; en telle manière que si de nostre droit, de sainte Église, et des chevailliers du chastel y faisoient aucune mespresure, par aventure ils pourroient amender icelle mespresure dedens quinze jours, sans aucun forfait, et loiera a ceulx, saouf leurs droits, franchises et libertés jà ottroiés à l'ad'commune, lesquelles nous vollons estre gardées a tousjours, non contiestant usaige contraire. Et pour ce que toutes ces choses dessus dites demourent fermes au temps advenir, Nous avons fait mettre nostre scel à ces présentes lettres faites à Compieigne lan de Nostre Seigneur mil deux cens quatre-vingt-dix-sept ou mois de juing. »

La charte de Philippe le Bel, comparée avec celle de Philippe-Auguste, contient des différences notables à l'avantage de la ville. Le premier article de la charte de 1195 garantissait la liberté individuelle, tout en laissant subsister la justice des seigneurs. La charte de 1297 maintient les habitants dans cette prérogative de ne pouvoir être arrêtés arbitrairement ; en outre, elle attribue au maire seul, ou à son lieutenant, le droit de faire des arrestations dans la ville, excepté dans le cas où la connaissance du crime est réservée au roi. Cette substitution de la justice municipale à la justice seigneuriale est formellement exprimée dans cet autre passage de la charte de Philippe le Bel : « Se aucuns pour larrechin ou souppechons de larrechin est prins dedens les termes de la pais de ladite ville il sera mené au Maïeur et sera jugié par les Eschevins selon la calité du meffait. »

D'après la charte de Philippe-Auguste, ce n'était qu'à défaut de poursuites, et seulement pour éviter un déni de justice, que les jurés étaient investis du droit de juger un individu arrêté sur les terres des seigneurs : « Si fur quilibet interceptus fuerit, ad illum in cujus terra captus fuerit ut de eo justitiam faciat, adducatur ; quam si dominus terræ non fecerit, a justicia in furem juratis perficiatur. » La charte de Philippe le Bel ne reconnaît plus cette distinction, elle supprime absolument la justice seigneuriale, et transfère ses prérogatives à la juridiction du maire et des jurés.

Ce droit exclusif de rendre la justice a été l'objet de la constante sollicitude de nos ancêtres. Lors de la rédaction de la Coutume en 1567, il fut reconnu d'une manière expresse que : « En somme appartient à ladite ville (Montdidier) justice haute, moyenne et basse, en laquelle indifféremment sont subjets et responsables tous les habitants de ladite ville, fauxbourg et banlieue d'icelle, pour quelque cause et matière que ce soit, tant civile que criminelle, sans qu'autres, encore qu'ils aient fiefs en ladite ville et banlieue ayent ou puissent pretendre aucun droit de justice. »

Une modification non moins importante, introduite par la charte de Philippe le Bel, est celle qui concernait l'exécution des jugements. Après avoir dit que le voleur, s'il est pris dans l'étendue de la ville, sera conduit devant le maïeur et jugé par lui, la charte de 1297 ajoute : « Se il est trouvé couppable par le jugement du Maïeur et des Jurés, il sera rendus à nostre prevost de Montdidier, pour en faire exécution d'iceluy ; se il est trouvé sans couppe, li Maire le pourra délivrer, excepté la terre de ladite ville et pais, qui fut jadis au seigneur de la Tournelle, en laquelle lesdits Maïeur et Jurés sont congneus avoir toutes justice haute, basse et les exploits aussi, en laquelle terre justice sera ottroié par nos lettres sur ce faites. »

Pour se rendre compte de ce passage, il est nécessaire de se rappeler que la commune ne profitait pas des amendes prononcées contre des individus demeurant de fait dans l'enceinte de la ville, mais domiciliés de droit sur des domaines enclavés dans la commune et appartenant à des seigneurs ; le maire, dans ce cas, prononçait le jugement, mais les amendes, les confiscations et tous les droits utiles devenaient la propriété du seigneur ; nous en avons un exemple dans l'arrêt de 1278 concernant Robert de la Tournelle, bien que dans l'espèce il perdît complétement son procès. La famille de la Tournelle ayant, en 1289, cédé à la ville tout ce qu'elle possédait, la mairie eut dans l'étendue de ses domaines le droit de juger et de plus le droit de suite, c'est-à-dire celui de connaître elle-même de l'exécution de ses jugements. On ne voit pas pourquoi, hormis dans la terre qui fut jadis au seigneur de la Tournelle, la mairie était obligée de remettre le voleur au prévôt du roi pour faire exécuter le jugement ; c'était une restriction immense apportée au pouvoir municipal ; au reste, cet article de la charte de Philippe le Bel ne fut jamais observé, et le maire et les échevins avaient seuls qualité pour connaître de l'exécution de leurs sentences dans la ville
et dans la banlieue.

La charte de 1195 n'avait pas spécifié les affaires qui seraient de la compétence prévôtale ; elle se bornait à dire qu'elles étaient les mêmes que celles dont il est parlé dans la charte de Laon. Philippe le Bel est plus explicite : il déclare que le prévôt connaîtra des affaires de rapt, de meurtre et d'incendie. Appuyée sur un texte aussi formel, l'autorité du prévôt paraissait inattaquable ; il n'en était rien cependant. Quand un crime de cette nature était commis, le prévôt se hâtait de faire arrêter le coupable ; mais aussitôt le maire intervenait, et, tournant la difficulté, réclamait le criminel, prétendant que le crime constituait une infraction à la paix de la commune, et que dès lors c'était à lui d'en connaître. Il y eut, au sujet de la juridiction, de grands débats entre la prévôté et la mairie, toutes deux jalouses de leurs attributions, et disposées à empiéter sur les pouvoirs l'une de l'autre. Un arrêt du parlement du mois de novembre 1314 trancha la question et ordonna la remise aux mains du maire d'un individu nommé Jean Cueret, que le prévôt avait fait arrêter, et qui était accusé d'aller de nuit déguisé tantôt en femme, tantôt en moine, et d'avoir, à l'aide de ce déguisement, navré un habitant nommé Perraud Cocquel. Voici l'arrêt :

« Philippes par la grace de Dieu roy de France à tous ceux que ces présentes lettres verront, salut. Sçavoir faisons que comme majeur et jurés de la ville de Montdidier se complaindissent, pour ce que comme ils disoient, le prévost d'icelle ville avoit prins et tenoit prisonnier Jehan Cueret leur justiciable en leur prejudice, requerans icelui Jehan leur estre rendu à justicier par eux ; pretendans sur ce le point de leur chartre, ledit prevost proposant au contraire que comme le cas de murdre, de rapt et boutefeu entre autres choses nous appartiengnent en ladite ville et non ausdits majeur et jurés, et que iceluy Jehan malfaicteur alloit armé de nuit après la derrainne pulsacion de la cloche de ladite ville, maintenant en habit de moisne, maintenant en habit de femme, et avoit navré un nommé Perraud Cocquel, avoit esté prins à retire dicte, la cognoissance duquel faict et la punicion comme de cas de murdre appartenoit à nous et non ausdits majeur et jurés. Iceulx maieur et jurés proposans au contraire que d'iceluy fait comme pour cas de murdre de la coustume du pays et aussi en nostre court nulle condempnacion se devroit ensuir ; et que la cognoissance d'icelui fait comme infracteur de la pais devoit appartenir à eux et non à nous. Lesquelles propositions d'un côté et d'autres oyes, et veu le point de ladite chartre par l'arrest de nostre cour a esté dit, que la cognoissance dudit fait sera rendue aus dits majeur et jurés. En tesmoing de ce nous avons fait mettre nostre scel à ces présentes. Ce fut fait à Paris en nostre parlement le jeudy après les octaves de Toussains l'an de Nostre Seigneur mil trois cens quatorze. »

L'insistance du maire à soutenir que la charte de Montdidier ne punissait pas le meurtre doit paraître étrange ; ce qui ne l'est pas moins, c'est de voir le parlement sanctionner une pareille doctrine. Le meurtrier ne demeurait pas impuni pour cela : on le poursuivait pour avoir troublé la tranquillité publique, et le résultat était le même ; mais, envisagée de la sorte, la question avait un grand intérêt, car la juridiction municipale restait saisie de l'affaire. La jurisprudence criminelle du moyen âge était bien différente de la nôtre ; plusieurs cas de meurtre, qui constitueraient à présent des assassinats, n'étaient considérés alors que comme de simples homicides. Un arrêt de 1634 confirma la ville dans tous ses droits de justice et de police, et elle en jouit jusqu'à la fin du dernier siècle.

La charte de 1195 ne parle pas de la saisine ; celle de 1297 en fait mention : elle réserve ce droit aux échevins, et leur accorde 8 deniers par chaque saisine ou désaisine, lesquelles ne pouvaient être faites que par eux ou en leur présence. L'article 4 de la Coutume de Montdidier s'étend plus au long sur ce sujet. Philippe-Auguste avait gardé le silence sur les droits seigneuriaux qu'on percevait lors de la vente d'un immeuble situé dans la ville ou dans la banlieue ; son successeur s'exprime ainsi : « Tous les héritaiges que sont tenus à cens ou à terraige estans dedens les termes de ladite pais pourront estre vendus touteffois qu'il plaira aux tenans, moiennant seize deniers que les seigneurs aura en qui le treffons de le héritaige seront. » L'article 5 de la Coutume reproduit cette disposition.

Philippe le Bel règle ce qui a rapport au retrait lignager, au droit de voirie, et maintient la commune en possession de tout ce que lui avait cédé son prédécesseur. Dans la seconde charte, la rente royale ne s'élève plus qu'à 560 liv. parisis, au lieu de 600 liv. qui étaient dues à Philippe-Auguste : cette diminution provient de ce qu'en 1290, le roi, voulant reconnaître les services que lui avait rendus Gilles de Compiègne, seigneur de Courtemanche, lui avait fait don de 40 liv. de rente à prendre sur la ville de Montdidier. (Daire, Histoire de Mondidier, page 343.) Le 15 octobre 1479, la ville racheta ces 40 liv. de Robert de Brolly, descendant en ligne directe de Gilles de Compiègne.

Il est curieux de voir ce qu'à la longue est devenue cette rente de 600 liv. parisis. Nous avons dit au liv. Ier, chap. iv, p. 109 cette Histoire, qu'en 1325 elle se trouvait réduite à 180 liv. ; sur cette somme, par suite d'échange et de transports, on payait annuellement 100 liv. au collége fondé à Paris dans le clos Brunel, par le cardinal Jean de Dormans, évêque de Beauvais : partie de cette rente se touchait encore au moment de la Révolution. En 1414, il ne restait plus au roi, après diverses aliénations, que 28 liv. parisis ; Charles IX vendit cette faible rente en 1570, à deux habitants de Montdidier, à charge de rachat. Ainsi, trois cent soixante-quinze ans après la concession de la charte, la ville était entièrement libérée envers le trésor royal de la dette qu'elle avait contractée, et elle demeurait maîtresse de ses priviléges et de ses franchises. Si la commune était quitte et libre de toute redevance envers l'État , elle ne l'était pas vis-à-vis des particuliers auxquels les rois avaient transporté une partie de ce qui leur revenait : l'âpreté de ces créanciers causa un mal infini à nos pères. Louis XII, par une charte du mois de décembre 1507 (Pièce just. 45), ayant accordé aux habitants le droit de racheter au denier dix les rentes que ses prédécesseurs avaient cédées à différentes personnes, la ville remboursa la rente du seigneur de Chepoix, le 16 janvier 1644,. Nous avons rapporté, liv. Ier, chap. vii, p. 188, l'enquête qui eut lieu à cet égard ; il est regrettable que nos ancêtres aient laissé écouler cent quarante ans avant de s'acquitter d'une dette si lourde. Cette lenteur ne prouve pas en faveur de l'administration des finances municipales.

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