Histoire de Montdidier

Livre I - Chapitre IV - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Seconde charte de Philippe le Bel

Les Montdidériens prennent part aux guerres du roi contre les Flamands, à ses démêlés avec Boniface VIII et au procès des Templiers

Ligue entre les seigneurs du Vermandois et du Beauvaisis

Procès du comte d'Artois

 

Au mois de juin 1297, Philippe le Bel accorda les secondes chartres de la ville de Montdidier ; le texte latin n'est point arrivé à notre connaissance.

Nous rapporterons, au chapitre de la Mairie, la traduction française qui eu a été faite à une époque reculée, avec les observations qu'elle comporte.

D'après cette charte, la ville ne devait plus au roi que 560 liv. parisis de rente, Philippe le Bel ayant fait don, au mois de juin 1290, à Gilles de Compiègne, sire de Courtemanche, de 40 liv. parisis de rente sur les 600 liv. que la ville lui devait. En 1198, par suite d'un échange avec Guillaume de Hangest, son trésorier, il lui donna 120 liv. parisis de rente, payables sur les 560 liv. qui lui restaient, ce qui réduisait la rente royale à 440 livres. En 1307, ce prince assigna à Thibaut de Chepoix 600 liv. tournois de rente à prendre sur son trésor à Paris. Louis le Hutin transporta cette somme sur les bailliages d'Amiens et de Vermandois ; Charles le Bel confirma ce transport en 1325, et la ville de Montdidier fut comprise dans cette somme de 600 liv. tournois pour 260 liv. parisis qu'il fallut prélever sur les 440 liv. parisis restant dues au roi. (La livre parisis était, comme on sait, d'un quart plus forte que la livre tournois.) Ainsi, au commencement du quatorzième siècle, de la rente de 600 liv. due originairement à Philippe-Auguste, il ne restait à ses successeurs que 180 livres.

Le règne de Philippe le Bel fut très-agité ; ses guerres avec les Flamands, ses difficultés avec le pape et le procès des Templiers ne lui laissèrent aucun repos. Les Français, défaits à la bataille de Courtray (1302), prirent une revanche éclatante à celle de Mons-en-Puelle (18 août 1304). La noblesse des environs de Montdidier se signala par ses hauts faits : Guy du Plessier, Aubert de Hangest, Bernard de Moreuil, Thibaut de Chepoix, les seigneurs de Maignelers et de Rainneval, contribuèrent, avec les gens des communes, au triomphe du roi.

Les démêlés de Philippe le Bel avec Boniface VIII lui causèrent au moins autant d'embarras que ses guerres avec les Flamands. Le pape, dépassant les limites de son autorité, prétendait à un droit de suprématie temporelle sur les affaires du royaume ; le roi résista : le pape lança contre lui une sentence d'excommunication. Philippe le Bel en appela de la sentence du pape à un concile général, et écrivit à toutes les villes et communautés du royaume pour réclamer leur concours.

La ville prit une part active à la lutte que le roi soutenait contre les étranges prétentions de la cour de Rome. La protestation du maire et des échevins, du mois de juillet 1303, est venue jusqu'à nous. Nos ancêtres s'engagent avec énergie à combattre les usurpations de pouvoir du pape, auquel ils refusent même ce nom, car ils ne qualifient Boniface VIII que de « président du siége apostolique : » Nunc side (sic) apostolice presidentem ; ils en appellent avec ardeur au futur concile qui devait décider la question, et déclarent ne reconnaître au souverain pontife que le droit de se mêler des affaires spirituelles : In quantum spiritualitatem tangit ; liberté de pensée remarquable à une époque où la papauté voulait faire tout plier devant elle, prétendait que le roi de France lui était soumis, et allait jusqu'à déclarer dans sa bulle Unam sanctam, qu'il est de nécessité de salut de croire que le pape est maître de l'un et de l'autre glaive, tant spirituel que temporel, et que toute humaine créature lui est sujette. » La protestation que fit entendre Montdidier se reproduisit presque uniformément dans toute la France : le roi avait probablement envoyé aux communes un modèle qu'elles n'eurent qu'à remplir. (Pièce just. 18.)

Les Bénédictins de Notre-Dame avaient donné à la ville l'exemple de cette noble indépendance, en s'élevant contre les empiétements du pape ; ils s'étaient exprimés avec fermeté, tout en conservant la retenue qui convenait à des religieux. (Pièce just. 19.)

La déclaration de l'échevinage a pour un Montdidérien une valeur particulière, elle est scellée de l'ancien sceau de la commune. Nous ne connaissons que deux empreintes de ce sceau : l'une, apposée au bas du compte de 1260, l'autre sur l'acte de 1303, dont nous venons de parler. Le sceau est pendant à une lanière de parchemin ; la face principale représente un chevalier armé de toutes pièces, et le contre-scel un Agnus Dei ; nous en donnerons la description au chapitre de la Mairie.

Un des événements les plus remarquables, et le plus dramatique assurément du règne de Philippe le Bel, fut la destruction de l'ordre des Templiers. Au mois d'octobre 1307, le grand maître Jean de Molay fut arrêté à Paris. Les mesures avaient été tellement bien prises, le secret si rigoureusement gardé, qu'aucun des chevaliers présents dans la capitale ne put échapper à la proscription. Le surlendemain de leur arrestation, Guillaume Parisius, frère prêcheur, inquisiteur de la foi, envoyé en France par le pape, procéda à l'interrogatoire de cent quarante templiers. Parmi eux figurent plusieurs chevaliers originaires de notre pays : Bertrand et Pierre de Montigny, Guy de Ferrières, Thomas de Rocquencourt et Guillaume de Hangest. On affecta de procéder avec régularité et de suivre les règles de la justice. Par sa lettre datée de Melun, du 21 mars 1307, le roi, rappelant les crimes et les abominations dont on accusait les Templiers, invitait les villes du royaume à nommer deux députés, fidei fervore vigentes, pour se rendre à Tours, à l'effet d'examiner cette grande affaire.

Les habitants se conformèrent à cet ordre, et, le 21 avril 1308 (l'année 1308 commença le 14 de ce mois), ils choisirent pour les représenter Mahieu Nicolas et Hue Mlichevin, auxquels ils remirent des lettres de créance pour voir, consentir, gréer et accorder, en leur nom et en celui de la commune, tout ce qu'ils jugeraient convenable dans l'intérêt de l'Église et pour le bien du royaume. (Pièce just. 20.) C'est la première fois qu'on voit la commune de Montdidier envoyer des députés aux états généraux. Toutes ces démonstrations judiciaires n'étaient que de vaines formalités : la perte des Templiers était arrêtée à l'avance, et personne n'ignore la fin tragique de cet ordre célèbre. La procuration donnée aux députés de Montdidier est scellée du sceau de la ville. Il diffère entièrement de celui qui est apposé au bas de la protestation de 1303, l'empreinte en est très-mauvaise, mais on y distingue aisément une tour donjonnée ; ce sont, à quelques modifications près, les armoiries que notre cité porte encore aujourd'hui.

D'autres affaires moins importantes, mais présentant cependant plus d'intérêt pour la ville, occupaient l'esprit des habitants. Les routes étaient entravées par des barrières, ou bordées de poteaux servant à indiquer le droit de passage ou travers, dû aux seigneurs dont on traversait les domaines. C'était un assujettissement continuel, une espèce de blocus qui ne permettait pas aux bourgeois de s'écarter de leur territoire sans payer : ce droit de travers donnait lieu à une foule de vexations et paralysait le commerce. Afin d'éviter une partie de ces inconvénients, les habitants s'arrangèrent, en 1309, avec Jean, chevalier, seigneur de Pierrepont et de Rainneval, pour le travers qui lui appartenait à Pierrepont et à Agumont. Ce dernier village était près de Pierrepont, dans la vallée ; il n'existe plus, mais il y a encore sur la rivière, au-dessus de Contoire, un moulin qu'on appelle le moulin d'Agumont. En vertu de cet arrangement, les Montdidériens furent exemptés du droit de passage dans ces deux communes, à l'exception d'un jour par semaine ; par réciprocité, ils accordèrent la même faveur dans la ville aux habitants de Contoire, de Thory, de Louvrechy, de Fignières et de Boussicourt, qui relevaient du seigneur de Pierrepont. Les habitants de ces communes, vassaux de l'abhaye de Corbie, laquelle était seigneur en partie desdits villages, ne devaient pas jouir de cette immunité. Vers le même temps, la ville transigea avec Jean de Nesle, pour le travers de Vrely.

Les guerres de Philippe le Bel en Flandre donnèrent lieu à des impôts extraordinaires ; on altéra les monnaies, et un droit de 6 deniers par livre fut établi sur tous les objets vendus : ces mesures causèrent une irritation générale. En 1313, la ville fut obligée de paver 690 liv. pour l'entretien des troupes qui allaient combattre les Flamands ; en 1314, Montdidier fut compris au nombre des bonnes villes du royaume qui reçurent ordre d'envoyer à Paris deux ou trois notables afin de régler les monnaies. La mort de Philippe le Bel laissa ce projet de réforme sans exécution.

Ce prince n'avait pas fermé les veux que des ligues se formèrent de toutes parts. Dans plusieurs provinces, les nobles et les bourgeois s'associèrent pour résister aux édits royaux. Les seigneurs du Vermandois, du Beauvaisis, de l'Artois, du Ponthieu et du comté de Corbie, réunis aux communes de ces pays, se liguèrent avec les nobles et les communes de la Bourgogne, de la Champagne, des comtés d'Auxerre et de Tonnerre, pour obtenir de Louis le Hutin le maintien de leurs priviléges et l'abolition des tailles dont son père les avait accablés.

Les confédérés se promettaient une assistance réciproque et s'engageaient à ne consentir aucun impôt, aucune aide de guerre, qu'autant que la justice de ces levées aurait été reconnue par douze chevaliers picards et douze chevaliers bourguignons et champenois. (Pièce just. 21.) Parmi les signataires de cette ligue, que l'on pourrait appeler la première du Bien public, et qui offre le spectacle assez rare de l'union de la noblesse avec le tiers état, on remarque les seigneurs de Roie, de Hangest, de Moreuil, de Maignelers, de Ronquerolles et de la Boissière. Il fallait que Philippe le Bel se fût rendu bien odieux pour avoir réuni contre lui des intérêts si divers ; en altérant les monnaies, il avait trouvé le secret infaillible de s'attirer la haine de tous les partis ; aussi sa mort laissait-elle à son fils un fardeau bien lourd à porter. La pièce que nous rapportons aux Pièces justificatives diffère de celle qui est insérée dans l'Histoire d'Amiens, du P. Daire. Le nom de Montdidier, il est vrai, n'est point cité dans ce document, mais on ne peut douter que cette ville ne soit entré dans la ligue, lorsqu'on voit les seimeurs des environs s'y associer. Montdidier était compris dans le Vermandois, et cette province figure la première dans la liste des confédérés.

Les prétentions de Robert au comté d'Artois vinrent encore compliquer les affaires du royaume ; le règne si court de Louis le Hutin ne lui permit de rien terminer ; en mourant, il léguait à son frère un trône entouré de mille dangers.

Dans le courant de l'année 1318, Philippe le Long convoqua une assemblée à Paris, à l'effet de juger le procès pendant entre Robert et Mahaud, comtesse d'Artois. La ville de Montdidier reçut des lettres du roi datées de Pontoise, du 19 juillet, lesquelles lui ordonnaient d'envoyer dans la capitale trois ou quatre bonnes personnes et des plus sages, pour prononcer sur cette grave question. (Pièce just. 22.) L'assemblée était indiquée pour le 1er octobre suivant.

Des lettres de convocation semblables furent adressées aux principaux seigneurs de Picardie, au nombre desquels étaient ceux de Rainneval, de Hangest, de Roie, de Moreuil, de Conchy et de Séchelles, etc. Robert perdit son procès, et le comté d'Artois fut adjugé à Mahaud, dont Philippe le Long avait épousé la fille. Ce différend fut cause de malheurs innombrables : il donna naissance à ces guerres désastreuses qui pendant plusieurs siècles divisèrent la France et l'Angleterre, et firent couler des flots de sang.

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