Histoire de Montdidier

Livre I - Chapitre IV - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Ils prêtent serment à Louis IX

Ce prince passe à Montdidier

Dettes de la ville

Semonces à Issoudun et à Tours

Différends de la commune avec plusieurs seigneurs

Accord fait avec Jean de la Tournelle

 

Philippe-Auguste mourut le 14 juillet 1223. Louis VIII ne lui survécut que trois ans. Louis IX avait douze ans à peine lorsqu'il parvint au trône, le 8 novembre 1226 ; Blanche de Castille, sa mère, prit les rênes du gouvernement. Le commencement du nouveau règne fut agité : les seigneurs se coalisèrent contre la régente, qui déjoua leurs intrigues. L'année suivante, le comte de Boulogne renoua la ligue (1227) ; le duc de Bretagne et le comte de Champagne s'unirent à lui, dans le but de s'emparer de la personne du jeune roi et d'ôter la régence à sa mère. Dans ces circonstances, Blanche de Castille chercha à s'assurer du concours des gens des communes contre les seigneurs ; elle réclama leur appui, et fit appel à leur loyauté. La ville ne fut pas indifférente à ce cri d'une mère : le 26 octobre 1228, le maïeur et les échevins jurèrent, au nom de la commune, de défendre de tout leur pouvoir le roi, la reine et ses fils : « Universis ad quos presentes littere pervenerint maior et jurati Montisdesiderii salutem : Noverit universitas vestra nos jurasse quod pro toto posse nostro fideliter servabimus corpus membra vitam et honorem terrenum karissimi domini nostri Ludovici regis Francie illustris et domine regine matris ejus et filiorum suorum et adherebimus et tenebimus nos eidem domino regi et domine regine matri ejus et filiis suis contra omnes homines et feminas qui possunt vivere et mori. In cujus rei testimonium sigillum nostrum presentibus litteris duximus apponendum. Actum anno Domini millesimo ducentesimo vicesimo octavo mense octobri. »

En 1253, Montdidier envoya trois cents sergents à pied à la semonce qui eut lieu à Issoudun, au mois de septembre, le samedi après la Nostre-Dame aux Marteaux, ainsi qu'on appelait la fête de l'Annonciation. La, semonce était l'injonction que recevait le vassal de se trouver en armes à un jour indiqué, dans un lieu désigné, afin d'être prêt à servir son seigneur.

Saint Louis, étant à Montdidier au mois de novembre 1255, y confirma la donation que Renaud et Raoul, comtes de Clermont, avaient faite aux mesiaux ou ladres de cette ville, de deux pains et d'une mesure de vin, tant que lui et la comtesse demeureront au chastel. Dans l'acte de confirmation, inséré dans le recueil des Ordonnances des rois de France, Montdidier est appelé Montdésir ; c'est le seul exemple que l'on ait d'une pareille désignation. Le secrétaire chargé de libeller l'ordonnance royale aura probablement jugé convenable de faire une traduction de fantaisie, Monsdesiderii pouvant en effet se rendre en français par Mont-de-Désir aussi bien que par Mont-de-Didier.

Ce fut dans les premiers jours du mois de novembre que le roi passa par cette ville : il venait de Saint-Just et se rendait à Corbie. Le rôle des gîtes pour l'année 1255, cité par Brussel, Traité des fiefs, p. 559, porte : « Le dimanche après la Toussaint, à Saint-Just, pour gîte, CH. Le mercredi suivant, à Corbie, pour gîte, 119H 75s. » De Saint-Just à Corbie, saint Louis dut nécessairement traverser Montdidier ; il n'est pas fait mention dans le rôle du droit de gîte qu'il aurait perçu dans nos murs, les habitants ayant été formellement exemptés de cet impôt par la charte d'affranchissement.

Le règne de Louis IX ne fut point favorable à la prospérité de la commune, qui eut à payer des sommes considérables pour la croisade, pour un prêt fait au comte d'Anjou lors de son expédition dans le Hainaut, et pour le rachat de la Normandie et d'autres provinces possédées précédemment par les Anglais. « Communia Montisdesiderii debet ad vitam diversis personnis LXXV lb. Item debent diversis creditoribus sine usuris IIIm IXxx lb. par. Hec est causa tanti debiti. Primo pro dono facto domino regi quando ivit ultra mare M. lb. Item eidem quamdiu fuit in dicta terra duabus vicibus M. lb. Item eidem in reditu suo IIc lb. Item pro mutuo facto comiti Andegavensi pro exercitu Hanonie IIIIc lb. Item pro expensis factis a dicta communia in dicto exercitu IIIIc lb. Item pro dono facto domino regi pro pace Anglie VIIIc lb. Somma XXXVIIIc lb. » Cette pièce n’est pas datée, mais elle doit être de 1258 ou 1259, puisque ce fut le 28 mars de cette dernière année que, dans une assemblée des états du royaume tenue à Abbeville, saint Louis signa avec Henri III le traité de paix dont il est parlé dans ce compte. Les 3,800 liv. mentionnées à la fin de la pièce représentent environ 76,000 francs.

Dans un compte de 1260, conservé comme le précédent aux Archives de l'État, les dettes de la ville sont portées à 4,771 liv. ou 95,420 francs. « En lan de lincarnacion Nostre Seigneur mil CC et soissante lendemain de Paskes Pierre de Hangest fu fais maires de Mondidier. A chel jour le vile devoit en pluseurs lieus a bones gens quatre mile livres set chens livres soissante onze livres XIII s. et VIII d. Le vile de Mondidier ne devoit riens a usure mais le vile doit soissante quinze livres a vie. Et de che pluseurs gens doivent a le ville nuef chens livres soissante chienc livres et onze sous. » Sceau fort endommagé.

Le 15 juin 1276, la ville reçut ordre de Gautier Bardin, bailli de Vermandois, d'envoyer un certain nombre de sergents à Tours pour la semonce que Philippe le Hardi devait y faire dans l'octave de la Nativité de la Vierge ; Montdidier fournit cent vingt sergents. Les seigneurs de la contrée se rendirent également à cette convocation. Dans son traité du Ban et de l'Arrière-Ban, de la Roque donne le nom de ceux qui y assistèrent :

CHEVALIERS.

Pierre de Mallains, Bernard de Moreuil, Aissolde de Ronquerolles, Guillaume de Maignelers, Robert de la Tournelle, Raoul de Bouillencourt, Raoul de Gaucourt, Adam du Cardonnoy, Gilles d'Espagières (Épayelles), Raoul de Framicourt, Jean de Tricot, Guillaume de Maisières, Jean de Hangest, Baudouin de Guines, Gobert d'Argies, Eustache de Campremy, Jean de Chepoix, Raoul, maire de Garmigny (Guerbigny), Raoul de Lignières.

ÉCUYERS.

Mathieu d'Houssoy, Raoul du Bois, Anselme Latuviller, Jean de Moy, Lienard de Coivrel, Jean la Awe, la demoiselle de Brache, Jean dit Vicomte, Guerard de Fournival, Gobert du Plessier, Simon de Baronne.

Ces semonces étaient une lourde charge pour les villes ; elles les obligeaient à mettre sur pied des hommes qui se rendaient souvent à des distances fort éloignées de leur demeure, sans autre but que de passer ce que nous appelons aujourd'hui une inspection d'armes ; car la semonce n'était pas toujours suivie de l'entrée en campagne des troupes qui y avaient été convoquées.

Philippe-Auguste, en abandonnant tous ses droits à la ville moyennant 600 liv. parisis de rente, n'avait cédé que ceux qui lui appartenaient comme successeur immédiat des comtes de Montdidier ; mais, indépendamment des comtes, il y avait encore d'autres seigneurs qui étaient en possession de différentes prérogatives, auxquelles la réunion de la ville à la couronne n'avait pu porter atteinte. Ainsi, le forage du vin appartenait au vicomte de Breteuil, qui, dans la suite, s'en dessaisit gratuitement en faveur de l'Hôtel-Dieu. Les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem exerçaient un droit de tonnelieu ; Renaud de Mello possédait un fief dont Renaud de Bétisy lui payait 10 liv. en 1202 ; le seigneur de la Tournelle, le plus puissant de tous, jouissait de prérogatives très-importantes. Cette diversité de droits, la contrariété de priviléges qui en résultait, donnaient lieu à de fréquentes contestations entre la commune et les seigneurs, ceux-ci voulant conserver leurs immunités, le maïeur et les échevins désirant augmenter les leurs : des accords successifs vinrent faire cesser ces tiraillements.

Les seigneurs de la Tournelle furent les plus difficiles à amener à composition ; ils étaient les premiers de la cité ; leur puissance égalait leur noblesse, et leur nom figure souvent parmi ceux des grands seigneurs des douzième et treizième siècles.

Cette famille était propriétaire d'une partie de la ville et de la banlieue, et elle y exerçait des droits de justice fort étendus ; aussi était-elle souvent en mésintelligence avec la commune : de là des procès sur lesquels la justice était appelée à prononcer. Nous en avons un exemple dans un arrêt rendu au mois de novembre 1278. Robert de la Tournelle réclamait la restitution d'amendes qui avaient été perçues sur des individus demeurant dans sa terre de Montdidier pour infraction à un ban de monnaie qu'il avait fait. La cause fut portée au parlement. Le bailli de Vermandois soutint, au nom du roi, que la demande de Robert était mal fondée : d'abord, parce qu'il n'avait pas le droit de faire de ban sur les monnaies ; en second lieu, parce que ce n'était pas à lui à connaître de l'affaire, bien que l'exécution du jugement et les amendes qui en étaient le résultat dussent lui appartenir. Le parlement n'hésita pas à sanctionner cette manière de voir, et Robert de la Tournelle perdit son procès. (Pièce just. 16.)

Saint Louis, voulant supprimer le droit de battre monnaie dont jouissaient certains seigneurs, songea à s'attribuer exclusivement la connaissance des contraventions qui pourraient être faites à son ordonnance sur les monnaies de 1262, et même à s'appliquer les amendes ; mais, comme cette mesure allait directement contre la règle des fiefs, le roi prit le parti de faire décider dans son parlement qu'il n'appartiendrait qu'à lui de connaître, relativement aux monnaies, des contraventions qui se commettraient dans les terres des seigneurs, comme aussi d'en percevoir les amendes. Philippe le Hardi, son fils, ne fut pas moins attentif que lui à empêcher que les seigneurs ne contrevinssent dans leurs terres à l'ordonnance de la mi‑carême de 1262 : l'arrêt de condamnation prononcé contre Robert de la Tournelle en est la preuve.

Pour éviter ces contestations, les habitants prirent la résolution de traiter avec la famille de la Tournelle. En 1289, ils achetèrent de Jean, moyennant 237 liv. 12 den. parisis (4,372 fr.), payables chaque année à la Saint Remy et à la Chandeleur, tous les droits qu'il avait dans la ville et dans la banlieue. (Pièce just. 17.) On peut juger, d'après le prix stipulé au contrat, du degré de puissance des seigneurs de la Tournelle, puisqu'en tenant compte de la dépréciation qui avait pu s'opérer dans la valeur de l'argent de 1195 à 1289, on voit que Jean de la Tournelle vendit aux habitants les droits qu'il avait à Montdidier, plus du tiers de la somme que Philippe‑Auguste avait exigée d'eux pour les libertés communales.

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