Histoire de Montdidier
Livre III - Chapitre V - § IV
par Victor de Beauvillé
§ IV
GRENIER A SEL.
Sa création. — Démembrement qu'il subit. — Juridiction du grenier à sel. — Armoiries. — Composition générale de l'ancienne magistrature. — Préjudice éprouvé par la ville.
Les gabelles, ou impôts sur le sel, furent établies sous Philippe le Bel, en 1290 ; plus tard, en 1342, Philippe de Valois institua les greniers à sel. Le titre le plus ancien qui fasse mention de cet établissement consiste dans un reçu donné, en 1401, par le grènetier du grenier à sel de Montdidier, de huit muids de sel (4,800 livres) que l'Hôtel-Dieu avait le droit de prendre chaque année dans les marais de Rue, en vertu d'une donation que le comte de Ponthieu lui avait faite, en 1220. (Pièce just. 108) : mais il est hors de doute que l'impôt sur le sel existait à Montdidier dès le quatorzième siècle.
Le sel formait un des principaux revenus de la commune, qui prélevait un droit sur chaque minot vendu dans la ville. Cet octroi, le premier qu'elle ait obtenu, lui fut accordé, en 1450, par le comte d'Étampes. La ville jouit de cette faveur jusqu'en 1552 ; cette année, Henri II porta ce droit à 6 sols ; en 1614, il fut élevé à 16 sols.
La ville avait autrefois le privilége d'approvisionner le grenier à sel de la quantité de cette denrée qui lui était nécessaire ; elle y trouvait son avantage, mais elle fut dépouillée de cette prérogative en 1512.
Pour former le grenier à sel de Breteuil, on détacha, en 1725, vingt-cinq paroisses relevant de celui de Montdidier ; c'étaient : Ansauvillers-en-Chaussée, Breteuil, Bonvillers, Beauvoir, Caply, Campremy, Chirmont, Chepoix, Bacouel et Warmaise, Esquennoy, Esclainvillers, la Faloise, Folleville, Farivillers et Hédencourt, Freneaux, la Herelle, le Mesnil-Saint-Firmin, Mory-Mocreux, Paillart, Quiry-le-Sec, Rouvroy-les-Merle, Sérevillers, Thieux, Tartigny, Troussencourt et Wavignies. La distraction de ces communes causa un préjudice considérable à la ville. En 1790, le nombre des communes dépendant du grenier de Montdidier n'était plus que de cent dix-neuf ; celui des maisons comprises dans l'étendue de son ressort s'élevait, en t 740, à 10,566, occupées par 32,625 habitants, sans compter les enfants au-dessous de l'âge de huit ans : il y avait en outre dans la ville 897 feux et 3,032 personnes. La quantité de sel à livrer était fixée à soixante-quinze muids par an ou 360,000 livres ; le muid contenait quarante-huit minots pesant cent livres chacun. Le grenier à sel était entièrement de vente volontaire, c'est-à-dire que les habitants ne prenaient que la provision dont ils avaient besoin, et n'étaient pas obligés, comme dans certaines provinces, à en consommer un nombre de livres déterminé, ou à en payer la valeur.
Le grenier à sel, dont une partie existe encore, était situé dans la rue Capperonnier, qu'on appelait indifféremment rue du Grenier-à-Sel, ou des Écoliers, par corruption de son ancien nom, Escohiers, vieux mot français, synonyme de pelletiers. Il est probable qu'au moyen âge les fourreurs demeuraient dans cette rue. Dans les titres de cette époque, il est parlé de la rue aux Saugniers : c'est ainsi qu'on nommait les marchands de sel. Cette rue aux Saugniers paraît être, soit la rue de la Borne-du-Lion, soit la petite impasse qui donne sur la rue du Marché-aux-Herbes.
Le grenier à sel n'était pas seulement destiné à pourvoir le public de cette denrée ; on désignait encore sous ce nom un tribunal chargé de prononcer sur toutes les affaires concernant les gabelles : ce fut Henri III qui en régla la compétence. Il se composait d'un président, d'un grènetier, d'un contrôleur, d'un procureur du roi, d'un greffier, d'un receveur des gabelles et de plusieurs huissiers : les appels de ses jugements étaient portés à la cour des aides. Cette juridiction figurait pour une somme bien minime au budget de l'État : le traitement de tous ses membres ne coûtait au gouvernement que 291 livres.
Les officiers du grenier à sel jouissaient à peu près des mêmes prérogatives que ceux de l'élection, et prenaient rang après eux dans les cérémonies publiques. Le grenier à sel fut supprimé en 1790, en même temps que l'élection.
Il n'y a pas trois quarts de siècle que ces diverses juridictions ont disparu, et c'est à peine si on se souvient de leur existence : leur extinction a été la principale cause de l'amoindrissement de notre ville. « Montdidier ne s'est soutenu jusqu'alors que par les tribunaux renfermés dans son sein. Ce sont eux qui, seuls en quelque sorte, y ont procuré l'abondance des consommateurs, qui y ont attiré les habitants des campagnes et qui y ont fait fleurir le commerce qui y existe.
Otez-lui la justice, une grande quantité de familles qui y sont attachées sont tout d'un coup réduites à la plus grande misère. » Cette triste prophétie ne s'est que trop accomplie.
Le corps des officiers du grenier à sel portait pour armoiries, en 1697 : d'or, à une cloche de sinople.
Les armoiries de la prévôté, du bailliage, de l'élection et du grenier à sel, que nous avons indiquées, furent données à ces corps sous Louis XIV. Ce prince, à court d'argent, ordonna la révision des personnes du royaume ayant droit de porter des armes, et concéda de nouveau cette faculté, moyennant finance, à celles qui en jouissaient précédemment : il agit de même à l'égard des communautés et des corporations. L'édit de création de ces nouvelles armoiries est du mois de novembre 1696 : ses effets furent de courte durée, et un autre édit en révoqua les dispositions. La minute du travail prescrit par Louis XIV, et exécuté par d'Hozier, existe à la Bibliothèque nationale ; comme elle contient l'indication des principales familles du pays, nous avons pensé que le lecteur ne serait pas fâché de trouver ce document à la fin du volume. (Pièce just. 118.) Nous ferons remarquer qu'un grand nombre de familles agirent comme les villes et les communautés, et qu'elles gardèrent leurs véritables armoiries.
Avant de terminer ce chapitre, nous croyons devoir mettre sous les yeux du lecteur le tableau de la magistrature dans le dernier siècle. Comme c'est aux établissements judiciaires dont il était le siége que Montdidier devait sa splendeur, on nous permettra de leur consacrer encore quelques lignes. Le changement opéré par la Révolution a été complet, et les résultats n'en ont été que trop désastreux pour notre pays.
Voici, d'après Piganiol de la Force et Scellier, la composition de la magistrature à Montdidier en 1722 et 1740.
Prévôté. Le prévôt, un lieutenant civil, un lieutenant criminel, un lieutenant assesseur, deux conseillers, un commissaire enquêteur examinateur, un avocat du roi, un procureur du roi, un substitut, un commissaire aux saisies réelles et receveur des consignations, un greffier.
Bailliage. Un lieutenant général, un lieutenant criminel, un lieutenant particulier, un assesseur criminel, quatre conseillers, un avocat du roi, un procureur du roi, deux substituts, un greffier.
Élection. Un président, un lieutenant, quatre conseillers, un procureur du roi, un greffier, deux receveurs.
Grenier à sel. Un président, deux conseillers, un procureur du roi, un greffier.
C'était un personnel de quarante magistrats ; après eux venaient tous les individus attachés par état à ces différents tribunaux. Il y avait seize procureurs, sept avocats, sept notaires ; nous ne parlerons pas des huissiers, des sergents, des archers, ils étaient nombreux. La suppression des anciennes juridictions a contribué plus qu'on ne pense aux progrès fâcheux de la centralisation. Ces places de magistrature retenaient dans leurs foyers beaucoup de personnes qui ont été se fixer ailleurs : là se trouve le motif véritable de la décadence des petites villes, et la raison de l'anéantissement de la société qui y était autrefois si florissante.
ÉTAT DES VILLES, BOURGS, VILLAGES ET HAMEAUX
DÉPENDANTS, EN 1789, DES JURIDICTIONS ÉTABLIES A MONTDIDIER.
La lettre E indique l'élection ; B, le bailliage ; P, la prévôté ; G, le grenier à sel.
(La prévôté fut supprimée en 1749.)
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