Histoire de Montdidier

Livre II - Chapitre VII - § II - Section IV

par Victor de Beauvillé

Section IV

Foires

Liberté qui y régnait

Règlements municipaux

Lettres patentes de François Ier et de Louis XIII

Halle

Marchés

Mercuriales

 

Les voies de communication, en se perfectionnant, ont changé la nature des relations commerciales. On opère maintenant avec des pays que leur éloignement mettait autrefois en dehors des affaires, ou avec lesquels on n'avait que des rapports extrêmement rares, et seulement à certaines époques déterminées. Les foires réunissaient, au moyen âge, des marchands de tous pays ; il était peu de villes qui n'eussent la leur, car c'était le seul moyen de faire des échanges. Nous n'avons pu découvrir en quelle année commença la foire de Montdidier. Vendre et acheter étant le premier besoin de toute société, aussitôt que la ville aura pris quelque accroissement il s'y sera établi un marché et, par la suite, une foire, qui n'est autre chose qu'un marché plus important. L'origine des foires se rattache souvent à quelque solennité religieuse. L'église du Prieuré, la première et la plus ancienne de la ville, était dédiée à la Vierge, dont la nativité se célèbre le 8 septembre. Cette fête attirait un grand concours de fidèles. Leur présence excita la convoitise des marchands toujours aux aguets des réunions nombreuses où ils peuvent facilement débiter leurs marchandises ; aussi prirent-ils l'habitude de venir à cette époque trafiquer dans nos murs. Nous croyons que c'est à une fête d'abord purement religieuse qu'on doit attribuer l'établissement de la foire de Montdidier. Les lettres patentes de François Ier et de Louis XIII, concernant les foires et francs marchés, ne font que reconnaître ce qui subsistait déjà. L'autorité royale confirmait l'existence d'un fait, mais ne le créait pas.

Les premiers renseignements que l'on trouve sur la foire de la Nativité de Notre-Dame remontent à une date déjà bien éloignée. Dans un compte de 1402, rendu par Pierre de Hangest, argentier de la ville, il est fait mention des marchands forains qui étaient venus vendre des draps aux jours de la feste marchande ; cette fête durait trois jours, et se tenait, comme à présent, au mois de septembre. Les marchands stationnaient entre les portes de Roye et d'Amiens, sur l'emplacement occupé par les rues du Manége, de la Raquette et les maisons comprises entre ces deux rues. Cet endroit formait une espèce de prairie, si l'on peut appeler ainsi un terrain sec et élevé ; mais autrefois il était couvert d'herbes, et dans les anciens titres on l'appelle le priez, le prayel et le pré : les marchands se servaient aussi des halles de la ville pour étaler leurs marchandises.

Pendant la durée de la foire, le maïeur prenait ses précautions pour faire régner le bon ordre et maintenir la tranquillité publique ; il ne sortait qu'avec une escorte. Dans le compte de 1402 on lit : « A Guillaume de Churmont et Freminot le Tissseran, qui par les trois jours de la feste furent tous armés avec le maïeur chacun IIIIs. — A Jean Garnot et Viullot Boutenne, qui pour les trois jours vuardèrent le prié à chacun IIIIs. » Deux gardes placés aux portes d'Amiens, de Becquerel, du Saint-Sépulcre et de Roye, recevaient la même somme pour empêcher les gens suspects d'entrer en ville. Durant la foire et les trois jours suivants, aussitôt après le dernier coup de vêpres, les habitants étaient tenus de mettre une lanterne allumée au devant de leur demeure : dès que le guet commençait, chacun restait chez soi, et les hôteliers ne pouvaient plus recevoir personne. Il était interdit aux forains d'aller en armes dans la ville, de porter épées, couteaux et autres armures, à peine de confiscation ; leurs hôtes devaient leur faire oter leurs harnas et armures et de ce les faire sages à peine de 20 sols parisis d'amende. Les brasseurs et marchands de cervoise étaient obligés de pendre pour enseigne un balai à leur porte ou à leur fenêtre.

Les draps formaient le principal article de commerce ; on les vendait dans deux halles : l'une était destinée aux marchands de la ville ; l'autre, dite les halles droites, servait aux étrangers. Les esguards veillaient avec soin à la vente des objets soumis à leur contrôle. Les fripiers, trafiquants douteux, étaient surtout l'objet de leur surveillance ; il leur était défendu d'exposer œuvre refoulée ou pennes saussées, si elles n'avaient été visitées, sous peine de confiscation et de 60 sols parisis d'amende ; à eux enjoint de ne vendre aucuns draps ou habis de draps, qui ne soient loiaulx et marchans pour vendre en ville de loy, à peine d'amende et de confiscation des marchandises, qui seront arses comme fausses.

La foire était une époque de plaisirs : on se traitait dans les maisons particulières et à l'hôtel de ville ; les banquets se succédaient continuellement ; des trompettes et des joueurs d'instruments égayaient la fête, dont chacun prenait sa part ; le maïeur faisait distribuer deux quennes de vin à chaque corps de métier. En 1518, la dépense en banquets, gastelets, vin pour les maires de bannières et autres choses, monta à 9 ou 10 livres. La foire ne durait que trois jours, mais les jeux et divertissements se prolongeaient plus longtemps. Au chapitre des recettes de la foire de 1402, on voit figurer : « De Adam de Gomer pour le louage du priez à luy loué pour jouer aux dés durant les huit jours de la feste marchande... 16 liv. parisis. » Cette somme de 16 liv. est supérieure à celle du prix de location des halles, qu'on ne louait que 6 liv. 4 sols : le tripot valait mieux que le négoce. La passion du jeu devait être d'autant plus vive que c'était la seule époque de l'année où il fût permis de s'y adonner publiquement ; les jeux de dés étaient formellement interdits, ceux qui s'y livraient étaient condamnés à l'amende et à la prison.

A l'occasion de la foire, pour attirer le monde et faire circuler l'argent, on passait par-dessus bien des choses ; aussi le maïeur se relâchait-il de sa sévérité accoutumée, et faisait un règlement de circonstance. Dans ce règlement, intitulé : Commandemens fais le dimence devant la feste à Montdidier à son de le cloque, on voit : « Item nous deffendons que nulles foles femmes ne tiengnent leur bordel sinon hors des portes et entre deux solaux, et reviengnent à leurs hostels si tost que soleil sera escousé sur peine d'avoir les cheveux brulés et sur l'amende de xxs parisis. » (Pièce just. 87.) Les moralistes ont beau raisonner, le monde ne change pas. La politique ne dédaigne aucun instrument, et en 1816, la police, en fermant les yeux, fit rester dans la capitale une partie de la contribution de guerre payée aux alliés. C'était une bonne mesure d'obliger les folles femmes à demeurer pendant la foire hors de la ville ; on évitait par là bien des rixes et des disputes : elles s'installaient au Pré, à côté des jongleurs et des bouffons qu'attirait la foule ; leur quartier était près de la mare du Chemin-Vert. Dans des titres de 1465, il est parlé de l'arbre, la rue et la mare aux Bordeaux ; dans un acte de 1562, il est fait mention de vignes à l'arbre des Bourdeaux tenantes d'un bout au chemin d'Etelfay. Leurs hôtels, pour parler le langage du maïeur, se trouvaient dans les rues Bordeau et des Hurleurs, que l'on appelait la Putain ruelle et la rue du Bordel : plusieurs maisons de cette rue devaient des censives à l'église Saint-Pierre : une de ces pécheresses, Margot de Broyes, payait, en 1433, pour sa maison, 5 sols parisis à la mi-août, 12 deniers et un chapon à Noël. Le nom des Hurleurs donné à cette rue est moderne, et vient du tapage qui se faisait dans ce quartier mal famé. La foire terminée, tout rentrait dans l'ordre habituel ; le Pré reprenait un aspect champêtre ; les forains portaient leurs marchandises dans d'autres contrées, les baladins et les joueurs d'instruments cherchaient fortune ailleurs, les jeux de dés disparaissaient, et les filles d'Eve, d'humeur trop facile, rentraient pour un an dans leur quartier.

Le maire, si tolérant avant la foire, redevenait après un vrai puritain ; il fulminait au nom de la morale, et décrétait, sous peine d'amende et de prison, l'observation d'un règlement tout différent de celui qu'il publiait quelques jours auparavant ; en voici un aperçu :

Commandemens fais à son de cloque le dimence après lafeste à Montdidier.

« Et premier :

Nous bannisons tous les houlliers qui vivent de houllerie, et si les femmes veuillent demeurer en la ville sans houlliers, faire le pourront ; mais si on puet savoir que elles aient houlliers en la ville, elle seront brulées par les cheveulx.

Item nous deffendons aux hostellains de la ville qu'ils ne tiengnent ou herbegent nuls houlliers en leurs hôtels ne y souffrent foles femmes avec que hommes sur l'amende de LX s. parisis.

Item nous commandons que toutes foles femmes soient en leurs hostels avant que on sonne le cloquette et s'elles sont trouvés hors de leurs hostels après la cloquette sonnée, elles seront mises en prison et puis banies.

Item nous deffendons le jeu dez ès hostels, au priez, au bos de Montdidier, et en tous les autres lieux dedans le pais de la ville, et qui sera trouvé juant, il paiera VI s. p. d'amende pour chacune fois.

Item les hostes qui soufferont juer au dés en leurs maisons, paieront pour chacune fois amende de X s. parisis. » (Pièce just. 88.)

Il était défendu, après le derrainne sonnée, d'aller en ville sans une candaille alumée en une lanterne ou en se main, sur l'amende de VI s. p. pour chaque fois ; défense, sous même peine, aux taverniers d'aller traire vin à candaille d'escieu, mais le traient a bougie de chire ; aux mêmes, défense de vendre vin tout d'une couleur, qu'a un feur, sur l'amende de LX s. p. se ce ne sont vins estrangers comme de Biome, Portingal et Pinoc. Chaque marchand était tenu de se borner à son commerce, sans entreprendre sur celui de son voisin : les habitants, pas plus que les pâtissiers, ne pouvaient vendre de chair cuite au four ; il leur était permis seulement de la vendre cuite en broque : la viande devait être nouvelle, bonne et souffisante, à peine de LX s. p. d'amende, de perte du métier pendant un an et jour et pugnicion de prison. Un article concernant les fripiers et parmentiers leur interdisait de vendre pourpoins mis à l'envers que il n'y ait ung punch de bort pardessous passant le toile sur l'amende de LX s. p. et seront telles denrées arses. Clause singulière ! à quoi bon vouloir que les vieux habits retournés aient une poche ? Il n'y a guère que les gens qui n'ont rien à y mettre qui se pourvoient chez le fripier.

Après la foire, les règlements concernant la visite des denrées étaient remis en vigueur, et il fallait que tout marchand fit bien attention à vendre à bon poids, bonne aune et bonne mesure. Le dernier article des commandements municipaux était ainsi conçu : « Item nous deffendons à toutes personnes qu'ils ne renoncent, maugréent, ne dispitent en quelque manière que ce soit Nostre Saulveur Jésus-Christ, ne sa benoitte mère, ne les saints ou saintes de paradis, sur paine de pugnicion de prison et d'amende. » (Pièce just. 88.)

Les commandements qui suivent la foire sont fort différents de ceux qui la précèdent ; on pourrait en inférer la conséquence que pendant ce temps exceptionnel tout était permis : les bourgeois et les pâtissiers se faisaient rôtisseurs et étouffaient le public ; les taverniers l'empoisonnaient avec leur vin frelaté ; chacun tirait à soi ; tant pis pour l'acheteur, c'était à lui de s'y connaître ; les galants couraient les filles ; les buveurs, les cabarets ; les joueurs, les brelans ; on jurait, on blasphémait Dieu, la Vierge et les saints ; On ruinait son corps et l'on damnait son âme : mais il n'y avait rien à dire ; cela n'arrivait qu'une fois l'an, ne durait que huit jours, et puis tout ne se faisait-il pas avec la permission du maïeur ? Dès lors c'était parfaitement régulier.

La foire de Montdidier s'est perpétuée jusqu'à présent, sans autres interruptions que celles qui furent occasionnées par la peste ou la guerre. La foire de l'an 1493 fut marquée par un meurtre horrible commis par le seigneur de Pérennes sur la personne de Courtehouche et de sa femme ; nous rapportons cette tragique histoire au chapitre VIII, § vi de ce volume.

La foire était le résultat d'une coutume séculaire ; Francois Ier sanctionna et régularisa ce qui jusqu'à son règne était fondé seulement sur une possession immémoriale. Les lettres patentes de ce prince sont du mois de janvier 1538, en voici la teneur :

« Françoys, savoir faisons, etc. Nous avoir reçeue l'humble supplication de nos bien amez les manans et habitans de notre ville de Mondidier, contenant que ladite ville est bonne et grosse, bien peuplée et habituée d'un bon nombre de marchans, assise et située en notre pays de Picardye en bon et fertile pays sur chemin passant, par quoy pour le bien prouffit et utilié de notre chose publicque seroit bien requis et nécessaire qu'il y eût deux foires par chacun an et deux marchez par chacune sepmaine, nous humblement requerans lesdits supplians les y vouiloir creer exiger et establir, et sur ce leur impartir nos lettres de grace, permission et octroy. Pour quoy nous, ces choses considérées, désirans lesdites supplians noz subgectz subvenir en ceste partie et en tous leurs autres faictz et affaires les favorablement traicter. Pour ces causes et autres consideracions à ce nous mouvans, inclinans liberallement à leur supplication et requestes, audit lieu et ville de Mondidier avons faict, créé, érigé, estably, faisons, créons, erigeons et establissons de notre certaine science, grace espéciale et auctorité royale, par ces presentes, deux foires par chacun an, la première au mardi d'après Notre-Dame de septembre, qui est celle acoustumée et l'autre au quinzième may, chacune d'icelle durant huit jours et deux marchez chacune semaine, assavoir aux jours de mardy et samedy pour lesdites foyres et marchez y estre doresnavant perpetuellement et a tousiours tenuz et exercez, et au joyr par lesdits supplians, leurs hoirs, successeurs et aians cause plainement et paisiblement ; voullons et nous plaist que tous marchans et autres fréquentans foires et marchez y puissent aller et les frequenter, vendre, debiter, achepter et permuter toutes manières de denrées et marchandises licites, et que en ce faisant ilz joissent de telz et semblables privilleiges, franchises et libertez qu'ilz ont acoustumé de faire es autres foires et marchez de notre royaulme, et en oultre que pour lesdites foires et marchez tenir et exeréer iceulx supplians puissent faire dresser, construire et ediffier halles, estaulx et loges en tel lieu ou lieulx qu'ilz verront et congnoistront estre propices et convenables, pourveu toutes foys que es dits jours desdites foires et marchez n'y ait à quatre lieues à la ronde autres foires et marchez. Si donnons en mandement au gouverneur dudit Montdidier, Peronne et Roye, ou à son lieutenant ou lieux-tenants ou autres premier juge royal sur ce requis et à tous noz autres justiciers et officiers que de noz présens, grâce, creacion et érection, establissement, et de tout le contenu en ces présentes ilz facent, souffrent et laissent lesdits supplians, leurs hoirs, successeurs et ayans cause, joyr et ueser plainement et paisiblement et perpetuellement, tout ainsi et par la forme et manière que dessus est dit, sans leur faire mectre ou donner ne souffryr estre faict, mis ou donné aucun destourbier ou empeschement au contraire, lequel si faict mis ou donné leur estoit, le mectent ou facent mectre incontinent et sans delay à pleine délivrance et entier estat et deu, et avec ce leur souffrent et permectent faire crier et publier es villes et lieulx dentour ladite ville de Mondidier lesdites foyres et marchez ainsi qu'il en est tel cas requis et acoustumé, car tel est notre plaisir, et affin que ce soit chose ferme et estable à jamais, nous avons faict mectre notre scel à ces dites présentes, sauf notre droict en autres choses et l'aultruy en toutes.

Donné à Parys ou moys de janvier, l'an de grace mil cinq cens trente huit et de notre règne le vingt cinquiesme, ainsi signé par le Roy en son conseil : Bayard ; visa contentor : Deslandes. »

François Ier nous semble exagérer en disant que la ville de Montdidier est bonne et grosse, bien peuplée et habituée d'un bon nombre de marchans : en 1523, la ville avait été prise et brûlée en partie par les Anglais et les Allemands ; il est difficile qu'en quinze ans elle ait pu effacer complétement les traces de ce désastre ; cependant le texte des lettres patentes est formel, et doit être regardé comme la preuve irrécusable de l'activité et de l'énergie avec lesquelles nos ancêtres surent réparer les pertes causées par ce funeste événement. François Ier parle de deux foires et de deux marchés, le mardi et le samedi ; ils subsistent encore. Quant à la foire du 15 mai, nous ne savons si elle avait lieu avant 1538, il n'en est pas question auparavant, et il n'en est point fait mention depuis ; son existence a toujours été plus nominale que réelle, et la force de l'habitude a constamment fait regarder comme la seule foire de Montdidier celle qui se tient le mardi après la fête de la Vierge de septembre. Le marché du samedi est fort ancien, les vieux règlements concernant la vente des draps portent que ce jour-là seulement il est permis d'en exposer en vente sous les halles marchandes.

Après les guerres de la Ligue, lorsque la ville se fut soumise à l'autorité royale, les habitants eurent grand soin de stipuler le maintien de leurs foires et marchés. L'article 8 du traité conclu avec Henri IV, le 21 avril 1594, garantit en effet à nos ancêtres la jouissance des franchises et priviléges, foires et marchés énoncés dans les lettres obtenues des prédécesseurs de ce prince, sans être tenus de payer finance. Mais l'original de ces lettres s'étant perdu, les habitants se virent, de la part de la cour des aides, exposés à des tracasseries dont nous avons parlé dans le livre I. chap. x, p. 295 de cette Histoire ; ce fut pour s'y soustraire qu'ils sollicitèrent en 1636 la confirmation des priviléges dont ils avaient joui jusqu'alors. Louis XIII, en récompense du courage que nos aïeux avaient montré en défendant la ville contre Jean de Werth et Piccolomini, s'empressa de faire droit à leur demande. Les lettres patentes du roi contenant un éloge aussi flatteur que mérité de la valeur de nos pères, nous ne saurions résister au plaisir de mettre ce titre glorieux sons les yeux de leurs descendants :

« Louis, par la grace de Dieu roy de France et de Navarre, à tous presens et advenirs, salut. Comme il est du devoir d'un grand roy envers son estat de faire punir et chatier exemplairement ses mauvais sujets, et particulièrement ceux qui par lacheté et perfidie remettent ses villes et places entre les mains de ses ennemis, aussi est-il raisonnable qu'il estende ses bienfaits sur ceux qui par générosité, affection et fidélité au service de leur prince, se maintiennent dans le devoir et l'obéissance à laquelle ils luy sont naturellement obligés.

Et d'autant que nos chers et bien amés les mayeur, eschevins et habitans de nostre ville de Montdidier ont fait tout ce que l'on pouvoit attendre de bons, vrais et loyaux serviteurs et subjets en la conservation de ladite ville contre les efforts et les courses de nos ennemis qui estoient entrés en nostre province de Picardie, nous les avons aussi estimés dignes de quelques grâces particulières, qui puissent estre vues et connues à la postérité. Et sur la très-humble remontrance qu'ils nous ont faite, que lad. ville est à la vérité belle et ample, mais située en pais assez sterille de quantité de choses nécessaires pour leur vivre et entretenement qui leur manque d'ailleurs faulte de commerce. Nous suplians pour leur donner moyen de subsister plus commodément à l'advenir, et se remettre des pertes et despenses qu'ils ont souffertes dans les occasions passées, leur vouloir conceder et accorder deux foires franches l'année et deux marchés francs chaque semaine, et leur octroier nos lettres à ce convenables. Sçavoir faisons que nous inclinant volontiers à leurd' suplication et requeste pour les considerations que dessus, et pour leur donner d'autant plus de subjet de continuer à nous servir avecq le mesme zele qu'ils ont eu pour le passé. Pour ces causes et autres à ce nous mouvans, avons en lad. ville de Montdidier créé, ordonné et estably, et de nostre certaine science, grace speciale pleine puissance et autorité royalle, créons, ordonnons instituons et establissons par ces présentes signées de nostre main lesd. deux foires franches l'année, pour estre tenues en lad. ville, sçavoir, la première, le quinziesme de may, et la dernière, le premier mardy d'après la Nostre-Dame de septembre ; et deux marchés francs chaque semaine, sçavoir, le mardy et le sammedy, pour y estre ausd. jours et en lad. ville de Montdidier doresnavant, perpetuellement et à tousjours gardées, observées et entretenus. Voulions et ordonnons qu'ausd. jours tous marchans y puissent aller, venir et sejourner, vendre, acheter, trocquer et eschanger toutes manières de marchandises licites, et qu'ils jouissent et usent de tous et tels droits, privileges, franchises, libertés et exemptions que l'on a accoustumé faire ès autres foires et marchés francs de nostred. royaulme, pourvueu toutefois qu'à quatre lieues à la ronde de lad. ville il n'y ait autres foires et marchés aux jours dessusd. ausquelles ces présentes ne puissent nuire ne prejudicier. Si donnons en mandement à nos amés et feaux conseillers les gens tenant notre cour des aydes à Paris, bailly dudit Montdidier ou son lieutenant, et tous autres nos justiciers et officiers présens et advenir, et chacun d'eux, si comme il lui appartiendra que de nos présente creation et establissement de foires et marchés francs, ils facent, souffrent et laissent lesd. habitans et leurs successeurs, ensemble les marchands, allans, venans, frequentans icelles foires et marchés, jouir et user pleinement, paisiblement, et perpetuellement, les faisans publier, crier et signifier es lieux circonvoisins et ailleurs ou et ainsi qu'il appartiendra. Et pour lesd. foires et marchés tenir, permettre ausd. habitans, comme nous leur avons permis et permettons de grace spécialle par cesd. présentes, faire construire et edifier en lad, ville, et aux lieulx plus commodes qu'ils verront à faire halles, bancs, estaux, et autres choses necessaires, en cas qu'il n'y en ait à présent suffisamment pour le logement des marchans et seureté de leurs marchandises. Car tel est nostre plaisir, et afin que ce soit chose ferme et stable à tousjours, y avons fait mestre nostre sel, sauf en autre chose, nostre droit, et l'autruy en toutes. Donné à Noisy au mois de decembre, l'an de grace mil six cents trente-six, et de nostre regne le vingt-sept,       Louis.

Par le roy,

Phelipeaux.

Registrées en la cour des aydes à Paris, ouy le procureur général du roy pour jouir par les impetrans de l'effet y contenu, selon leur forme et teneur, suivant l'arrest du jourd'hui. Donné à Paris, le 16 jour de febvrier 1637.        Boucher. »

En vertu de ces lettres patentes, la ville de Montdidier s'est toujours maintenue en jouissance de la foire du mois de septembre, qui n'est plus que l'ombre de ce qu'elle était. Au lieu de huit jours, elle n'en dure qu'un seul, et ce n'est réellement qu'un franc marché plus considérable que les autres : le long de la Place se dressent les étalages des ambulants ; trois ou quatre marchands de jouets et de sucreries s'établissent au rez-de-chaussée de l'hôtel de ville ; les divertissements ont cessé ; la promenade du Chemin-Vert est presque abandonnée et n'est que l'écho lointain, bien triste et bien affaibli, de la gaieté bruyante qui animait le Pré.

Les foires tendent à disparaître ; les idées progressent : l'on n'attend plus pour faire ses acquisitions cette époque de l'année autrefois si impatiemment désirée des petits et des grands : le pays présente plus de ressources, et l'on y trouve presque tout ce dont on a besoin sans avoir recours à des étrangers. En 1827, le conseil municipal demanda, mais inutilement, l'établissement d'une seconde foire de huit jours, qui devait commencer le jeudi après l'Annonciation : à l'appui de sa réclamation, il signalait les obstacles que rencontre la foire actuelle, qui tombe au moment où les travaux agricoles sont en pleine activité et s'opposent à ce qu'elle soit aussi fréquentée qu'elle devrait l'être. On fut plus heureux en 1849 : la ville crut l'instant propice pour reproduire sa requête, et la vit en effet accueillie avec faveur. La foire de mai fut donc régulièrement rétablie, mais jusqu'à présent elle a eu peu de succès ; peut-être un jour prendra-t-elle quelque accroissement.

La ville n'offre pas d'emplacement convenable pour la tenue d'une foire : on n'a jamais pu s'entendre pour avoir une halle. En 1821 et 1824, il fut question d'acquérir l'hôtel de la Hache, qui avait une entrée sur la Place et une autre sur la rue du Marché-aux-Herbes ; plus tard, en 1832, on pouvait acheter l'Hôtel-Dieu : la ville commit la faute irréparable de ne pas en faire l'acquisition. Le terrain avait une superficie de vingt ares, les bâtiments étaient nombreux et en assez bon état ; on aurait pu les utiliser facilement, et en faire tout à la fois une halle, une caserne de gendarmerie et une habitation pour les vicaires de la paroisse Saint-Pierre ; le département et la fabrique eussent payé à la ville un loyer qui l'aurait indemnisée largement du sacrifice qu'elle se serait imposé ; enfin la vente de la gendarmerie devenue inutile diminuait d'autant le prix d'acquisition : c'était une excellente affaire, on la laissa échapper. L'Hôtel-Dieu par sa position à l'entrée de la ville, dans une rue large et fréquentée, complétement isolé des habitations, et ayant accès sur plusieurs rues, convenait parfaitement pour une halle. Le conseil municipal, mal inspiré, repoussa cette proposition, donnant pour raison que les voitures qui apportaient des grains à la halle n'auraient point à traverser la ville, qu'il en résulterait des pertes certaines pour les marchands éloignés de la halle, et principalement pour ceux de la Placee. Si les uns perdaient, les autres gagnaient, il y avait compensation, et les intérêts de la cité n'en souffraient point. Dans tous les projets, ajoutait-on, il faut prendre garde d'attaquer les existences particulières, il faut respecter les positions que l'on peut regarder comme des droits acquis. Raisonnement déplorable ! Avec une pareille manière de voir on n'arriverait à aucune amélioration, car il est impossible d'en réaliser une seule sans froisser quelque susceptibilité. Faut-il renoncer au gaz et aux chemins de fer, par respect pour les fabricants de chandelles et les entrepreneurs de diligences ? L'intérêt général ne doit-il pas passer avant l'intérêt privé ? C'est cependant sur d'aussi pauvres motifs, sans même vouloir discuter la question, que le conseil municipal, nous avons regret de le dire, décida, à la majorité de quinze voix contre huit, que l'on n'achèterait pas l'Hôtel-Dieu. Ceux qui ont émis un pareil vote sont bien coupables : c'est ainsi que les villes restent stationnaires et se nuisent à elles-mêmes par la faiblesse et le mauvais vouloir des personnes dont la mission est d'imprimer aux affaires une direction intelligente. Malheureusement ce sont des fautes qu'on ne répare pas facilement, et les générations qui suivent sont obligées de souffrir des erreurs de celles qui les ont précédées.

Il n'y a pas à Montdidier un seul endroit où l'on puisse vendre et étaler des marchandises à couvert, et il est pénible de voir, les jours de marché, les marchands exposés à la pluie, au vent, à la neige, tandis que des bourgs comme Saint-Just, Maignelay, Moreuil, mieux partagés que notre ville, sont en possession de halles commodes.

Le marché aux légumes se tient quatre fois par semaine, les mardi, jeudi, vendredi et samedi ; le dernier est le plus important, c'est le seul où l'on vende aussi des grains et des bestiaux ; le franc marché a lieu le deuxième samedi de chaque mois. On expose maintenant en public moins de blé qu'autrefois ; il n'était pas rare, dans le siècle dernier, de compter cinq ou six cents sacs en vente à la fois ; les affaires se font aujourd'hui sur montre, et il n'y a que les petits cultivateurs qui apportent du grain sur la Place. On trouvera aux Pièces justificatives le prix du blé pendant une longue suite d'années ; c'est un document que l'on peut consulter avec utilité, le taux du blé étant un guide sûr pour juger de la valeur des denrées et du prix de la main-d'œuvre. (Pièce just. 89.) Plusieurs fois la mercuriale de Montdidier a été accusée d'inexactitude, et de coter un cours inférieur à celui qui existait réellement ; comme il n'y a aucune espèce de contrôle, le reproche peut être fondé. Le chemin de fer du Nord a donné de l'importance au marché, et depuis quelques années il est en voie d'augmentation..

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