Histoire de Montdidier

Livre II - Chapitre III - § II - Section II

par Victor de Beauvillé

Section II

Officiers de la ville

Leur traitement

Formules municipales

Luttes électorales

 

« A Hue Cailleu, avocat de la ville, vi liv. pour sa pension d'un an.

A Étienne le Maire, procureur de ladite ville, iv liv. pour sa pension d'un an.

A Jean du Mesnil, clerc de la ville, pour un quart de sa pension, lx s.

A Jean de Welle, sergent à mache, pour le quart de sa pension, L s.

A Jean le Carpentier et Jean le Sauvage, sergens à verge, pour le quart chacun, xl s.

A Gautier Bourgeois et Jean Sauvechon, sergens de nuit, pour le quart chacun, xl s.

A Wuillaume Morant, garde de l'horloge, pour le quart de sa pension, xl s.

A Jean Talon, assouageur du puits de la ville, pour la moitié de sa pension, vi liv. »

Les gages du maïeur n'ont jamais changé : la valeur des vins de présent qu'on lui offrait était de 14 liv. par an. Quant aux émoluments des officiers de ville, ils ont éprouvé diverses variations : dans les dix-septième et dix-huitième siècles, l'avocat avait 11 liv. ; le procureur, 19 liv. ; le greffier, 11 liv. ; le receveur-trésorier, 25 liv. ; le voyer, 8 liv. ; les sergents avaient été réduits à 50 sols, mais ils recevaient 3 liv. à la nomination du maire, 3 liv. pour assister à la procession de l'Assomption, et on leur donnait 12 liv. pour acheter une robe tous les ans. En 1591, le voyer n'avait pour tous gages, salaires et vacations, que le vieux bois de démolition qui ne pouvait être remis en œuvre ; on est aujourd'hui beaucoup plus généreux.

Jean du Mesnil, clerc de la ville, ayant été député en 1402 à Paris, pour demander quelques secours en faveur de la commune, il lui fut alloué une indemnité de 8 sols par jour. Lorsqu'il s'agissait de faire un voyage dans l'intérêt public, ce qui arrivait fréquemment à une époque où il fallait sans cesse s'adresser à la cour, au gouverneur général ou à l'intendant pour obtenir des aides ou des exemptions, c'était un membre du corps de ville qui devait être envoyé en députation : les simples particuliers n'étaient pas obligés d'accepter des missions au dehors.

Nous avons employé indifféremment le mot maire ou celui de maïeur ; ce dernier terme est moins ancien que l'autre. Ce n'est qu'à partir de 1345 qu'il a été fréquemment usité. Jusque-là l'intitulé des actes de l'échevinage portait : A tous chiaux que ches lettres verront ou orront (suivait le nom), adoncq maires de le ville de Montdidier, salut. Dans les premiers temps, les actes de l'échevinage étaient en latin ; le chef de la commune employait le style des actes seigneuriaux : Ego major de Montedesiderii. Un fragment d'un acte d'échange passé en 1196 entre la ville de Montdidier et l'abbaye de Froidmont est parvenu jusqu'à nous ; cet acte, le plus ancien assurément de la commune, puisqu'il est de l'année qui suivit l'octroi de la charte municipale, mérite, quoique incomplet, d'être rapporté ; il fait connaître les noms du premier maire et des premiers échevins :

« Ego Joannes cognomento Dochart major de Montedesiderii et jurati, videlicet Theobaldus de Hangest et Guillelmus de Mesnil et Riboldus et Ricardus Teroul , et Ingelrannus de Villebuch et Joannes Leones et omnes alii, notum facimus quod dominus abbas Salicius de Fresmont et conventus dederunt sub annuo censu decem solidos Paris. et un. denar. et oboli reddendo ecclesiæ de Fresmont in festo sancti Andreæ legali consuetudine census. Ecclesia vero de Fresmont redet de eodem censu annuatim scabinis de Montisdesiderii un. den. et ob. »

Les échevins étaient donc, dans le principe, au nombre de six ; on remarquera que leur intervention n'est pas suffisante, et que beaucoup d'autres personnes qui ne sont pas désignées, omnes alii, concourent également à la rédaction de l'acte. L'expression de maïeur subsista jusqu'au milieu du dix-huitième siècle ; elle tomba alors tout à fait en désuétude, pour être remplacée par celle de maire ; le nom d'échevin s'est conservé jusqu'à la Révolution.

Que de brigues, que de cabales pour arriver à cette place de maïeur ! On crie de nos jours à l'intrigue, à la corruption dans les moindres opérations électorales : croit-on que les choses se passaient mieux autrefois ? Les faiseurs d'élections étaient de bonne heure sur la place, manœuvrant tout à leur aise et se donnant carrière. Comme les mœurs étaient moins raffinées, l'action se montrait plus à découvert ; on n'y mettait pas tant de mystère. Au moment décisif, à l'appel des noms, les meneurs étaient à leur poste, ils se plaçaient, comme des sentinelles avancées, à droite et à gauche de la porte par où chaque habitant défilait successivement avant de voter ; ils lui soufflaient son vote au passage, vantant leur candidat, dépréciant celui de leurs adversaires : aussi que de protestations ! que d'attaques contre la nomination du maïeur ! Il en est peu qui n'aient donné lieu à des réclamations, voire même à des procès. Les hommes éminents n'étaient pas plus épargnés que les autres. Pierre de Vuignacourt, qui avait été longtemps gouverneur de Montdidier, ayant été réélu maïeur pour la cinquième fois en 1523, son élection fut attaquée avec acharnement, et la cabale la plus terrible s'organisa contre lui ; mais il l'emporta, et fut encore renommé l'année suivante.

Le mode de nomination du maïeur suivit le progrès des lumières. Au vote public, le seul possible à une époque où peu de personnes savaient écrire, on substitua, dans le dix-huitième siècle, le vote par écrit, sans cependant interdire le vote oral : ce furent les syndics des communautés et les maires de bannières qui y renoncèrent les derniers. Les habitants apportaient leurs billets à l'hôtel de ville, comme cela se pratique maintenant. L'élection des échevins subit aussi un changement ceux qui devaient être élus par le peuple l'étaient le lendemain de la nomination du maïeur, et, le jour suivant, ce dernier faisait choix des échevins dont la nomination lui était réservée.

L'usage de voter par billets n'empêcha pas l'effervescence populaire. L'élection de 1675 fut tellement orageuse que, l'hôtel de ville s'étant trouvé trop étroit, l'on fut obligé de tenir la réunion à la Salle du Roi ; les agitateurs y avaient leurs coudées plus franches. L'élection de 1679 ne fut pas moins animée. Florent de Lestocq, conseiller au bailliage, disputait la place à François de la Morlière, son collègue au même siége ; la ville se divisa en deux camps. De part et d'autre on déploya un acharnement sans égal, les pamphlets pleuvaient de tous côtés ; c'était une grêle de factums et de libelles où la verve satirique de nos ancêtres brillait du plus vif éclat : il y aurait matière aujourd'hui à vingt gros procès correctionnels avec une seule de ces pièces ; en les lisant on assiste à la lutte électorale, on en suit toutes les péripéties ; on voit les intrigues qui partageaient la cité et toutes les ambitions qui s'y agitaient. On observe dans ses moindres détails la physionomie d'une petite ville sans commerce, sans industrie, habitée par des hommes de loi, pour lesquels l'élection du maire, juge souverain dans un grand nombre de causes, est une affaire capitale. C'était presque la seule chose qui pût tirer nos pères de leur calme habituel et exciter leurs passions. Rappeler les mémoires, les requêtes, les recours à l'intendant de Picardie, les procès, les pourvois en parlement que suscita l'élection de 1679, nous entraînerait beaucoup trop loin ; mais le lecteur peut aisément s'imaginer que chaque parti ne négligea aucun moyen pour faire triompher son candidat. La victoire resta au fastueux de la Morlière, qui n'en jouit pas longtemps, car, l'année suivante, l'orgueilleux de Lestocq, Tarquin le Superbe, comme l'appelle son rival, le remplaça au pouvoir. La lecture des factums de cette époque est une des choses les plus amusantes et les plus curieuses que je connaisse.

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