Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre II - Section VII
par Victor de Beauvillé
Section VII
Suppression de la cure du Sépulcre
L'église est érigée en succursale
Les confréries étaient moins nombreuses au Sépulcre qu'à Saint-Pierre ; cependant il y en avait encore dix-neuf, chiffre assurément très-respectable. La plus ancienne était celle du Saint-Sacrement ; les statuts en furent dressés le 12 avril 1441, en présence d'Adam le Lavendier, doyen de Montdidier, et renouvelés le 1er juin 1497, par-devant Robert Hubelet, curé du Sépulcre, également doyen de Montdidier. Quelques articles méritent d'être cités :
« Les confrères seront tenus assembler au domicile du gardien la vigile du Saint-Sacrement dedans le tiers cop de vespres sonnées chascun vestu d'une blanque coste fustenne en laquelle aura assis deux Agnus Dei l'un devant l'autre derrière. Lorsque les confrères ne pourront mettre en leurs dites costes aultres agesments de soye de couleur fors que blanque et aura chascun ung blanc chaint de quoi il sera chaint par dessus la coste sans aultre couleur et auront les dis confrères cauches blanques semelées et peut etre poira chascun avoir chaperon blanc ou d'aultre couleur s'il leur plait et en cet habit seront les dits confrères la vigille de St. Sacrement aux vespres a matines et lendemain a la messe et aux heures de tout le jour.
Item les dis confrères seront tous ensemble en la maison du dit gardien au disner et au soupper ou en aultre lieu la ou ledit gardien ordonnera a estre au dit jour du St. Sacrement et lendemain ou disner en eulx esjouissant de ceste digne journée en prenant en gré benignement tels mais que bon semblera audit gardien et a plus saine partie des dits confrères et sera tenu chascun des dits confrères de bailler audit gardien on à son commant huit jours devant la dite feste 2 sols par pour faire la pourveance.
Item au dit disner aura treize poures les quels poures seront assis et servis de tels biens côme il plaira à la plus saine partie des dessus dis confrères en l'honneur et ressembrence de Notre Seigneur Jesus-Christ.
Item est ordonné que s'aucun des dis confrères estoit en la fin en si grande necessité quel n'eust mie des biens terriers assès pour lui enterrer lesd. confrères sont et seront tenus à le faire enterrer à leurs coust et frais selon qu'ils verront que bon sera. »
En 1648, les curé et marguilliers obtinrent l'union et l'incorporation de cette confrérie à celle du Saint-Sacrement, établie à Rome dans l'église de Notre-Dame de la Minerve.
Il y avait des confréries générales, comme celle du Saint-Sacrement ; d'autres, au contraire, étaient réservées à certains corps d'état : ainsi la confrérie de la Visitation était pour les tisserands ; celle de Notre-Dame, pour les tailleurs ; celle de saint-Cucuphas, pour les tanneurs ; celle de saint-Arnould, pour les brasseurs ; celle de saint-Blaise, pour les marchands et ouvriers en laine ; saint Crépin, saint Éloi, saint Sébastien, sainte Barbe, sainte Catherine, sont des patrons de confréries trop connus pour qu'il soit nécessaire d'en parler. Tous les ans, le jour de la fête de saint Claude, évêque de Besançon (6 juin), les confrères de ce nom, précédés de tambours et de drapeaux, et portant le bourdon de pèlerins, se rendaient processionnellement à la croix Saint-Claude, qui était dans le fond de Compiègne, près de l'entrée de la promenade de la Bouloire-des-Prêtres ils sortaient par la porte de Roye, traversaient le Val-à-Carré et rentraient par la porte de Paris. D'après la tradition, saint Claude aurait passé dans le pays, et c'est pour conserver la mémoire de ce fait qu'une croix aurait été élevée en ce lieu ; elle fut abattue en 1793. Les confrères de Saint-Roch faisaient aussi la procession, mais à l'intérieur, en portant l'image de leur patron.
Des tableaux suspendus dans l'église représentaient les patrons des corporations. Des offices distincts, des pratiques particulières, réunissaient à certaines époques les individus appartenant à une même industrie. Il y avait dans l'organisation de l'ancienne société une solidarité étroite entre la vie civile et la vie religieuse : l'ouvrier ne se trouvait jamais abandonné à ses propres forces, il était toujours soutenu ; l'association n'était pas une vaine théorie, mais un fait qui recevait chaque jour son application. Après avoir fortement déclamé contre les corporations et les confréries, il s'opère maintenant dans les esprits un travail en leur faveur : le rétablissement d'institutions qui firent pendant des siècles la gloire et la force de notre pays n'est peut-être pas éloigné ; il ne faudrait que les modifier, en tenant compte du progrès et des changements qui se sont opérés dans les mœurs et les idées.
Lorsque le gardien d'une confrérie entrait en charge ou en sortait, il donnait un repas à ses confrères ; le chapelain était tenu de payer la collation des femmes. Pour subvenir aux frais d'entretien des confréries, chaque apprenti, à son entrée dans un corps de métier, devait acquitter un droit de 60 sols. Ces usages, qui se pratiquaient encore au dix-septième siècle, tombèrent depuis en désuétude. Honorat Adevin, capitaine de Montdidier, donna, par son testament du 22 novembre 1489, 12 liv. à toutes les confréries, le jour de son service pour leur récréation. La seule confrérie existante aujourd'hui est celle du Sacré-Cœur de Jésus, instituée en 1712 ; avant la Révolution elle faisait chaque année la procession dans le faubourg de Paris.
La paroisse du Sépulcre fut toujours considérée comme la seconde de la ville ; entre elle et celle de Saint-Pierre, il y avait une rivalité assez prononcée ; cependant on n'en vint jamais à faire de scandale. Une petite guerre sourde existe encore entre les deux églises : c'est à qui aura les plus beaux ornements et fera montre de cloches et de vitraux. Quoique bien moins nombreux, les paroissiens du Sépulcre ont jusqu'à présent soutenu la lutte sans désavantage. Cette louable concurrence a pour résultat de faire embellir les églises et contribue à la splendeur de la ville. Dans les processions où le clergé des deux paroisses est réuni, celui du Sépulcre se venge de son infériorité hiérarchique en n'y paraissant qu'avec la modeste croix argentée et les ornements de seconde classe : représaille bien inoffensive.
Un décret de l'Assemblée nationale du 29 mai 1791, sanctionné par le roi le 1er juin suivant, réunit à la paroisse Saint-Pierre l'église du Sépulcre, en conservant cette dernière comme un simple oratoire, où l'on dirait des messes basses les dimanches et jours de fêtes. Le 8 juin de l'année précédente, l'Assemblée nationale avait décrété que, dans les bourgs et villes qui comprendraient moins de six mille âmes, il n'y aurait qu'une seule paroisse. L'application de ce décret donna lieu à une vive polémique. Les paroissiens du Sépulcre demandèrent à conserver leur église ; un arrêté de l'administration générale du district du 29 octobre 1791 les y autorisa : en vertu de cet arrêté et de délibérations postérieures prises par le conseil municipal, l'exercice du culte continua dans cette église jusqu'à la fin de 1793.
Le curé, M. Pillon de la Tour, avait refusé le serment constitutionnel prêté par M. Turbert, curé de Saint-Pierre. Cette différence d'opinion occasionna un schisme dans la ville : les paroissiens de Saint-Pierre affluèrent au Sépulcre ; mais M. de la Tour fut bientôt obligé de se soustraire par la fuite aux attaques de ses ennemis. Fermée durant la Terreur, l'église du Sépulcre servit pendant quelque temps de lieu de dépôt pour des prisonniers ennemis qu'on y entassait les uns sur les autres ; l'on était édifié, alors que les autels étaient déserts, les chaires silencieuses ou profanées par de vaines déclamations et d'affreux blasphèmes, d'entendre des chants religieux sortir de la bouche de ces infortunés. On voit encore quelques-uns de leurs noms gravés sur les stalles et contre la boiserie du chœur. Rendue au culte en 1795, l'église du Sépulcre fut la première de la ville où l'on célébra le service divin.
L'article 1er de la loi du 30 mai 1795 portait : « Les communes et sections de commune auront le libre usage des églises non aliénées dont elles « étaient en possession au premier jour de l'an II (22 septembre 1793). » En vertu de cette disposition, la municipalité, à la demande des habitants, s'empressa de rouvrir l'église du Sépulcre. Le 26 juillet 1795, M. Bigorgne, ancien grand vicaire de Mgr de Machault, et M. Thomas, missionnaire, vinrent d'Amiens faire la réconciliation de l'église. M. Poulet, curé de Courtemanche, y exerça le ministère jusqu'au mois de février 1796 ; des tracasseries de l'administration l'obligèrent alors à se retirer : il fut remplacé par M. Caron, ancien curé de Domfront, qui resta en fonction jusqu'en 1803. M. Navarre lui succéda. Aucun de ces ecclésiastiques n'avait prêté le serment civil.
En 1803, il s'éleva de grands débats pour conserver l'église du Sépulcre comme succursale. Le clergé de Saint-Pierre, appuyé fortement par M. Lendormy, sous-préfet, voulait que le Sépulcre ne fût qu'une simple chapelle vicariale, où, le dimanche, un ecclésiastique de Saint-Pierre aurait dit la messe ; c'était annihiler complétement le Sépulcre : n'ayant plus ni clergé particulier, ni revenus spéciaux, l'église n'aurait pas tardé à être sacrifiée, heureusement elle trouva de vigoureux défenseurs dans la personne de MM. Pucelle, président du tribunal, et Lefèvre, notaire ; les anciens paroissiens les secondèrent activement. A force de persévérance, ils arrivèrent à leur but. Par arrêté du premier consul en date du 13 mai 1803, l'église fut érigée en succursale, au grand contentement des habitants du quartier, qui s'engagèrent à subvenir à son entretien et à payer eux-mêmes le desservant. Le 14 août de la même année, l'ancien curé, M. Pillon de la Tour, en reprit possession. Le 8 février précédent, M. Lefèvre, qui avait sauvé durant la Révolution la chaire et les boiseries, donna à la paroisse le presbytère qu'il avait racheté d'un nommé Leclercq, lequel s'en était rendu acquéreur révolutionnairement. M. Lefèvre fit cette donation à charge de retour du presbytère à ses héritiers, dans le cas où l'église viendrait à être supprimée ; l'acte de donation fut enregistré le 27 septembre 1807. Le presbytère, situé derrière l'église, est spacieux et bien distribué ; il a été bâti en 1754, sur l'emplacement de l'ancien, qui tombait en ruine. Les paroissiens s'imposèrent à cet effet une cotisation volontaire ; les pierres dont on s'est servi proviennent, avons-nous dit, de la seconde église du Sépulcre. Le presbytère a été agrandi en 1849, et communique directement avec l'église.
*