Histoire de Montdidier

Livre II - Chapitre I - Section V

par Victor de Beauvillé

Section V

Confrérie

Chapelle de la Vierge

Peintures qu'elle renferme

Verrière

Chœur

Vitraux

 

La confrérie des saints Lugle et Luglien fut établie dans le seizième siècle ; les drapiers se placèrent sous leur protection, et obtinrent, en 1621, de faire redorer les bustes qui contenaient leurs têtes. Les marchands de drap étaient alors au nombre de dix ; plus tard, beaucoup de simples particuliers s'étant fait recevoir dans la confrérie, les drapiers l'abandonnèrent et se mirent dans celle des épiciers, qui reconnaissaient saint Marcoul pour patron. Au mois d'avril 1660, Alexandre VII accorda une indulgence à perpétuité aux confrères qui rempliraient les conditions exigées par sa bulle. (Pièce just. 68.) Le 25 juin suivant, François Faure, évêque d'Amiens, lui donna son approbation, et en ordonna la lecture au prône de la messe paroissiale. Un bref de Pie IX, du 22 juin 1846, confirme les indulgences accordées à cette confrérie (Pièce just. 69). Les personnes des deux sexes peuvent en faire partie ; elle compte près de six cents membres. La cotisation annuelle est de 25 centimes. Le bureau d'administration se compose d'un directeur, d'un gardien-trésorier et de six conseillers ; une députation de confrères assiste à la procession les jours de la fête et de la translation : ce sont eux qui portent les reliques et pourvoient à l'entretien de la chapelle.

Dans ces dernières années, nos bienheureux protecteurs ont été en butte à des rigueurs inconnues jusqu'alors. En 1853, l'évêque d'Amiens voulut supprimer leur fête, et, sans égard pour les droits acquis, il les raya impitoyablement de la liste des saints dont on fait mention dans le propre diocésain. Cette mesure, que rien ne justifie, est d'autant plus sévère que la même année notre premier pasteur introduisait parmi nous le culte de sainte Theudosie, dont les droits à la vénération publique sont assurément beaucoup plus modernes et plus contestables que ceux des saints Lugle et Luglien, martyrs, honorés depuis des siècles dans le diocèse d'Arras. Je l'ai vu venir au monde sainte Theudosie ; lorsque son parrain, l'un des hommes les plus aimables que je connaisse, m'en parla pour la première fois, il ne se doutait guère à quels honneurs était destinée sa filleule ; grâce à lui, elle a fait un chemin brillant dans ce monde. Mgr de Salinis, si bienveillant pour sainte Theudosie, ne s'est-il pas montré trop rigoureux pour nos patrons ? Au moment même où il effaçait leur fête du bréviaire amiénois, Mgr Parisis la conservait dans le bréviaire artésien. La cour de Rome, de son côté, a consacré depuis longtemps le culte que l'on rend aux deux apôtres de la Morinie ; la bulle d'Alexandre VII en est la preuve. Le souverain pontife actuel, par un bref de 1846, a reconnu formellement que la venération dont ils sont l'objet avait l'approbation de l'Église, et cependant c'est contrairement à ces marques de faveur des chefs de la chrétienté que Mgr de Salinis a fait disparaître les protecteurs de notre cité du martyrologe picard : si l'on célèbre encore leur fête à Montdidier, ce n'est que par tolérance, mais ils n'ont plus d'office particulier. A quoi bon froisser inutilement le sentiment religieux des populations ? Au mois d'octobre 1853, à l'occasion de la translation des reliques de sainte Theudosie, la châsse et les bustes des saints Lugle et Luglien, transportés à Amiens, firent, sous les yeux de vingt-sept prélats et cardinaux, leur entrée triomphale dans la cathédrale ; ils attiraient les regards ; leur éloge était dans toutes les bouches ; ils éclipsaient presque l'héroïne de la fête. On trouvera d'autres détails sur les patrons de Montdidier au chapitre du prieuré de Notre-Dame. Revenons à la description de l'église, et examinons les objets intéressants que renferme le collatéral opposé à celui que nous avons parcouru.

Dans le bas-côté droit, on voit sur le lambris un saint Pierre sculpté en demi-relief ; près de lui est une image imparfaite du clocher démoli en 1742. Plusieurs chapelles insignifiantes occupent cette partie de l'édifice : elles sont dédiées à saint Roch, à saint Joseph et à sainte Marguerite ; la fenêtre de cette dernière est la seule qui ait conservé ses menaux et le réseau de son tympan. Ces chapelles furent construites en 1513, et modernisées en 1739 ; elles n'offrent rien de remarquable. Le tableau de la chapelle de Saint-Roch, laquelle sert aujourd'hui de passage, est un original de l'école flamande, il est signé C. Hergosse fesit (sic), et représente saint Roch montrant sa cuisse gauche malade à un ange. L'église renfermait encore d'autres chapelles dédiées à saint Louis, à saint Jean, à saint Michel, à sainte Barbe. Où étaient-elles ? Nous ne le savons. On ne devrait jamais changer le nom des chapelles. Les saints ne sont-ils pas de tous les temps ? Ces bouleversements causent de la confusion et empêchent de faire ce que nous appellerons volontiers la topographie d'une église. Contre la muraille, après la chapelle de Sainte-Marguerite, se trouve un grand tableau représentant le Martyre de saint Crépin ; le dessin en est incorrect, et le coloris lourd ; mais le fond offre une vue de Soissons au dix-septième siècle, qui est curieuse : on lit au bas : Leber pinxit.

La chapelle de la Vierge, autrefois du Rosaire, et plus anciennement encore de Saint-Nicolas, termine le bas-côté droit. La sculpture en fut achevée en 1642 par Robert Fissier, à qui l'on doit la belle chaire du Saint-Sépulcre, et par Pierre Blasset, d'Amiens : elle fut dorée en 1644 par Marie Devillers, de la même ville. L'ensemble est plus léger que celui de la chapelle de Saint-Luglien ; les colonnes cannelées corinthiennes sont droites an lieu d'être torses ; un cep de vigne et des grappes de raisin couraient à l'entour et enlaçaient les colonnes jusqu'à la naissance de la cannelure ; mais, par suite du besoin incessant de changement qui semble tourmenter les paroissiens, en 1835 on se mit à la besogne, et le nom de Blasset fut impuissant à protéger son œuvre. On laissa subsister les colonnes, dépouillées de leurs ornements ; les appliques qui décoraient la frise furent enlevées et livrées aux flammes ; une partie des anciennes boiseries qu'avait animées le ciseau de Fissier et de Blasset fut brûlée pour en retirer le peu d'or qui les recouvrait. Une statue de la Vierge surmonte cette chapelle ; deux autres, l'une de la mère du Sauveur, l'autre de sainte Anne, sont placées à droite et à gauche du tableau d'autel. Le blanc et l'or sont prodigués de toutes parts. A côté de la Vierge, il y avait les statues de saint Nicolas et de sainte Thérèse, que l'on a reléguées contre les piliers des chapelles latérales lors des modifications opérées il y a une vingtaine d'années.

L'autel est de marbre blanc, le tableau du contre-retable fait allusion à l'institution du Rosaire. Sur le premier plan on voit, en regard l'un de l'autre, sainte Thérèse et saint Dominique, auteur de cette pratique de dévotion ; entre eux est un chien tenant dans sa gueule un flambeau avec lequel il embrase un globe, image du monde ; c'est l'emblème de l'ordre des Frères prêcheurs. Jeanne d'Aça, mère de saint Dominique, étant grosse de lui, eut un songe dans lequel elle s'imagina accoucher d'un petit chien qui, tenant un flambeau allumé dans la gueule, portait la lumière et le feu par toute la terre. Sur le second plan se trouve la sainte Vierge ayant un chapelet à la main, et à ses côtés saint Pierre et saint Paul.

Ce tableau vaut la peine d'être examiné ; il n'est ni signé ni daté, mais il doit être de 1641 environ, puisque la confrérie du Rosaire n'a été établie à Montdidier que le 20 août 1639, et que cet autel fut terminé en 1642. Dans le tableau, le peintre a représenté, à côté de saint Dominique et de sainte Thérèse, Louis XIII et Anne d'Autriche offrant leur couronne à la sainte Vierge, en souvenir du vœu solennel fait à Abbeville le 15 août 1637.

La fenêtre était ornée de beaux vitraux ; on y lisait cette inscription :

CETTE VERRIÈRE A ÉTÉ DONNÉE PAR DAMlle MARIE LE MAIRE Ve DE NOBLE HOMME JEHAN CAUVEL, CONSr DU ROI, ÉLU EN L'ÉLECTION DE MONDIDIER, A L'HONNEUR DE DIEU ET DÉCORATION DE LA CHAPELLE DU SAINT-ROSAIRE EN 1645.

Cette verrière subit le sort réservé à toutes celles de l'église, la brutalité révolutionnaire détruisit ce que le temps avait respecté.

La verrière actuelle, exécutée à Paris dans l'atelier de M. Lusson, a été posée le 6 mai 1856 ; elle a été donnée par mon frère. Cette verrière, divisée en quatre compartiments, représente divers sujets tirés de la vie de la sainte Vierge : dans le bas on voit l'Annonciation et la Visitation ; dans le haut, la Nativité et l'Adoration des mages. Le coloris est magnifique, et fait le plus grand honneur à l'artiste, M. Holtorp. Ces quatre sujets, dont la composition, due à M. Alletz, est aussi soignée que l'exécution en est parfaite, sont encadrés dans de gracieux enroulements de fleurs et de feuillage ; des Anges placés dans le tympan jouent de divers instruments, et font retentir les airs de chants d'allégresse. Sur un ruban on lit : Evangeloizo vobis gaudium, et sur un autre : Jubilate Deo in voce. L'inscription placée à la partie inférieure rappelle la verrière qui existait avant la Révolution, et constate l'époque à laquelle celle-ci a été mise en place :

VERRINAS. AR. AVO. DONATAS. MDCXLV
IMPIIS. MANIBUS. EFFRACTAS. MDCCXCIII
NEPOS. RESTITUENDAS. CUBAVIT
ANNO.AB.INCARNAT.DMI.MDCCCLVI.

Dans le milieu de l'inscription sont les armes de la famille : d'azur, à trois gourdes d'argent, 2 et 1. Timbre : un casque d'argent accompagné de lambrequins de même. Ces armoiries sont la reproduction exacte de celles qui se trouvent sur le tableau de saint Sébastien, de la compagnie de l'Arc, peint il y a précisément deux cents ans (1656). Cette verrière a coûté 3,500 francs ; la reconstruction de la fenêtre, le grillage et autres travaux accessoires ont nécessité en plus une dépense de 800 francs. Je craindrais, en m'étendant davantage sur ce sujet, de paraître faire l'éloge du donateur ; je manquerais cependant à la vérité si je n'exprimais à M. Lusson la satisfaction que ce beau travail a fait éprouver aux personnes en état de l'apprécier : admise à l'Exposition universelle de 1855, sa verrière est sortie victorieuse de cette épreuve redoutable ; elle a-fixé à un haut degré l'attention des connaisseurs et réuni tous les suffrages. Les véritables amis de leur pays verront avec plaisir une œuvre aussi remarquable faire, grâce à la générosité d'un concitoyen, l'ornement de l'église principale de Montdidier.

Au-dessous de la fenêtre, cinq tableaux représentent la Visitation ; la Circoncision, la sainte Famille, l'Assomption et le Couronnement de la mère du Sauveur ; sur plusieurs on lit le nom de la donatrice et la date de la donation : Dt. Marie le Maire 1645. Au bas du tableau de la Visitation on voit les armes des le Maire : de gueules, au chevron d'or accompagné de deux besans d'or en chef et d'une tour d'argent maçonnée de sable en pointe ; elles avaient été effacées, et la toile coupée en 1791, par les volontaires du département de l'Aisne. Les armes des Cauvel, dont nous avons donné plus haut la description, sont au bas du tableau de la sainte Famille : à la Révolution on n'avait laissé subsister que les initiales I. C., le fond de l'écu et les palmes qui l'entourent : ces armoiries ont été très-mal restaurées en 1856, en même temps que les autres peintures de l'église.

Les deux piliers à l'entrée de la chapelle sont ornés de tableaux ovales encadrés dans de riches bordures ; celui à droite montre Saint Jean prêchant dans le désert. Sur le devant, on voit le donateur Pierre Petit, tête nue, la barbe longue, les mains jointes, vêtu d'une robe noire à larges manches et petit collet rabattu ; il est agenouillé en face d'une table recouverte de velours rouge sur laquelle est posé un livre. Au-devant de cette table sont les armes de Pierre Petit : d'azur, à la fasce d'or chargée d'un croissant de gueules, accompagnée en chef de deux étoiles d'or et en pointe d'une coquille de même. Timbre : un casque d'argent avec lambrequins d'azur et d'argent. Au-dessous on lit : ætatis suæ 40 ; plus bas on voit une abeille d'argent et la date 1645. Derrière la table est une sphère armillaire, autour de laquelle est inscrit : Totam infusa per artus mens agit. Nous avons fait lithographier ce portrait, qui nous a paru en mériter la peine.

Pierre Petit était maïeur en 1645, année où il fit don de ce tableau ; il avait déjà rempli cette place en 1640-1641 et 1644 ; il était tellement populaire qu'en 1645, n'ayant point été compris par les syndics et maires de bannières au nombre des trois personnes sur lesquelles devait s'arrêter le choix du peuple, celui-ci, mécontent d'une telle exclusion, n'en tint aucun compte et le nomma maïeur par acclamation ; Pierre Petit fut, malgré lui, obligé de prêter serment et d'accepter les fonctions que lui décernait la voix publique. Il était parent d'Antoine Petit, célèbre médecin, né au Mesnil Saint-Georges, où l'on voit dans l'église son épitaphe en grec et en latin, gravée sur une pierre enchâssée dans la muraille ; cette épitaphe fut envoyée toute gravée de Paris. Antoine Petit est enterré dans l'église Saint-Étienne du Mont à Paris, et non au Mesnil, comme quelques personnes le croient. Par testament Pierre Petit, maïeur de Montdidier, son descendant, fonda un obit dans l'église du Mesnil.

Au pilier à gauche est attaché un autre tableau, représentant le Baptême de Notre-Seigneur ; il fut donné en 1645 par Matthieu Renouart, receveur des tailles, maïeur de Montdidier en 1656-57-58 ; c'est à lui que Bonaventure Fricourt dédia sa tragédie de Saint Luglien ; au-dessous est une Descente de croix, peinte sur bois, signée R. L. et portant la date 1632 : à la clef de voûte de la chapelle on aperçoit une sainte Face dont on a respecté le coloris.

Contre les piliers à l'entrée du chœur sont deux portraits en pied de grandeur naturelle des saints Lugle et Luglien ; ils ont été exécutés dans le siècle dernier par un nommé La Roche, de Paris ; c'est un cadeau de madame Fourment, veuve de Firmin le Boucher, avocat en parlement, maire de Montdidier en 1728. Le distique placé au bas des tableaux rappelle les miracles opérés par l'intercession de nos patrons ; il est de Jacques Fourment, dernier prévôt de cette ville, neveu de la donatrice. Au bas de saint Luglien on lit :

FLAMMARUM CELERES PRECIBUS COMPESCUIT IRAS,

et sous saint Lugle :

SICCA SALUTIFERIS ABVA REFOVIT AQUIS.

Les armes des Fourment se voient sur le côté droit du tableau de saint Luglien : d'azur, au chevron d'argent, accompagné en chef à droite d'une étoile d'or, à gauche d'un croissant d'argent, et en pointe d'une gerbe de froment d'or. La boiserie de ces piliers a été faite en 1735.

Le chœur est en hémicycle et éclairé par six fenêtres de moyenne grandeur ; les quatre fenêtres de l'abside, plus étroites que les autres, le paraissent encore davantage par suite de la mauvaise conformation des voûtes, dont les retombées, fortement arquées, coupent les fenêtres en deux. Le fond du chœur est terminé par un pilier, disposition peu gracieuse, qu'on ne remarque que dans un petit nombre d'églises.

Les vitraux, placés le 15 août 1852, ont été exécutés au Mans chez M. Lusson ; ils ont coûté 4,000 fr. : c'est un don de mesdemoiselles Henriette et Charlotte Bosquillon de Bouchoir, et de leurs parents MM. Bosquillon de Jenlis et d'Aubercourt. Ces vitraux représentent saint Pierre, saint Paul, saint Matthieu et saint Jean. Les manteaux des deux apôtres sont d'un beau coloris, les autres vêtements riches et largement exécutés ; mais il y a trop d'uniformité dans ceux des deux évangélistes, les nuances paraissent douteuses et les têtes communes. Les chairs ne sont pas naturelles. La même observation peut s'appliquer à saint Paul : la tête et les mains ont une couleur lie de vin très-prononcée, tandis que saint Pierre, au contraire, est d'une pâleur extrême. Les supports sont soutenus par des anges entourés d'ornements, et tenant un rouleau sur lequel est écrit le nom du saint ; au-dessous se voient les armes des donateurs : d'azur, a trois serpettes d'argent garnies d'or, 2 et 1, au chef d'argent chargé de trois roses de gueules. Chaque personnage est surmonté d'un dais richement historié dans le style de la Renaissance. L'encadrement est formé de différents ordres d'architecture, dans lesquels le grisaillé domine sans partage. Le fond des fenêtres est un peu clair : de loin cette partie des vitraux ne produit aucune illusion ; les personnages manquent d'accompagnement.

*