Histoire de Montdidier

Livre I - Pièce justificative 56

par Victor de Beauvillé

Pièce justificative 56

Note sur madame d'Armanville.

 

Madame d'Armanville, dont la présence impressionna si vivement le duc de Chartres, avait toutes les habitudes militaires ; elle allait même jusqu'à fumer la pipe, ce qui était une énormité, à une époque où les lorettes n'avaient pas encore mis le tabac en vogue chez le beau sexe. Son père, M. de Comerford, était issu d'une famille originaire d'Irlande, établie à Montdidier à la fin du dix-septième siècle. Lors de la neuvaine des saints Lugle et Luglien, qui sont Irlandais, il ne manquait pas d'aller à l'église du Prieuré, pour rendre, disait-il gravement, ses devoirs à ses grands parents.

M. d'Armanville n'était pas moins bizarre que sa femme. Lors de sa dernière maladie, il venait de recevoir les sacrements ; la cérémonie achevée, il se lève sur son séant, prend son chapeau et son épée, déposés dans la ruelle du lit, et demande ses habits. Les personnes qui l'entouraient, croyant qu'il avait le délire, l'engagèrent à demeurer en repos, mais il n'y eut pas moyen, et il persista dans son idée : « C'est bien la moindre chose, » dit-il, « lorsque Dieu me fait l'honneur de venir chez moi, que je le reconduise jusqu'à la porte. » Il s'habilla effectivement, et reconduisit, l'épée à la main, à la porte de la rue, le prêtre qui venait de lui porter l'extrême-onction. Peu après il mourut. La famille de Comerford et M. d'Armanville occupaient, rue des Juifs, la maison où je demeure. La scène dont je viens de parler s'est passée dans mon cabinet.

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