Histoire de Montdidier

Livre I - Chapitre VII - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Blocus de la ville par des aventuriers

Siège et prise de Montdidier par les Impériaux

Événements qui suivirent la bataille de Pavie

Charles-Quint renonce à ses prétentions sur Montdidier

François Ier visite la ville

La peste y fait de grands ravages

 

En 1522, des aventuriers commandés par les capitaines Miracle et Robert Leleu se présentèrent devant Montdidier. Les désordres qu'ils avaient commis dans d'autres villes leur en firent fermer les portes. Furieux, ils s'établirent devant la place, et la tinrent bloquée pendant trois jours, du 31 juillet au 3 août. On fut obligé, pendant le temps qu'ils campèrent au pied des murs, de leur fournir les vivres à discrétion ; on leur descendait le long des murailles le vin par sceaux, brocs et buires, le pain par mandelées, et le mouton par quartier. Tout cela ne satisfaisait pas leurs projets de pillage, et le blocus se transforma en un véritable siége. Les aventuriers voulurent pénétrer de force dans la ville, et livrèrent l'assaut du côté de la tour Rouge ; mais ils furent repoussés et contraints de s'éloigner. On lit dans l'extrait d'un compte de cette année : A Colin Lefebvre, arbalestrier, 52 sols pour avoir refait une arquebuze de fer à crochet qui fit rompue à la tour Rouge à l'assaut des aventuriers. La ville était divisée en douze quartiers, placés sous les ordres des capitaines Baude Soubito, Godefroy de Baillon, Cloquemant, de la Morlière, Hérault, Bosquillon, Moranvillers, Lendormy, Jean Parmentier, Vincent Piquié, Michemont et Jacques Boullé : ce dernier commandait le quartier où l'assaut fut donné. Une lettre de Jean d'Humières, du 19 octobre 1522, enjoint au seigneur de Lorge, chef de ces aventuriers, de les empêcher de repasser à Montdidier, lui faisant connaître qu'il y avait eu six habitants tués à coups d'arquebuse pendant les trois jours qu'avait duré le blocus.

Ce n'était que le prélude de plus grands malheurs. L'année 1523 s'annonça sous les plus fâcheux auspices : l'hiver fut très-rigoureux, les blés gelèrent presque partout, et à la disette qui en fut la suite se joignit la présence de l'ennemi.

Une armée forte de trente mille hommes d'infanterie et de six mille cavaliers, composée d'Anglais et d'Allemands, commandés par le duc de Norfolk et le comte de Bure, entre en Picardie, passe la Somme à Bray, détruit cette ville, et s'avance vers Montdidier. Le sire de la Trimouille, lieutenant du gouverneur général de Picardie, qui tenait garnison à Corbie, résolut d'introduire des secours dans notre ville. La chose paraissait impossible, l'ennemi étant campé entre Corbie et Montdidier ; mais le sire de Pont-Remy, bâtard de la maison de Créquy, que rien n'effrayait, tenta l'entreprise et réussit.

Il parvint à tromper la vigilance de l'ennemi, et fit entrer dans la ville Rochebaron, gentilhomme d'Auvergne, et Fleurac, lieutenant de la compagnie du sire de Dammartin, chacun avec cinquante hommes d'armes que suivaient mille francs archers, conduits par René de la Palletière. Ce renfort ne put que retarder la prise de Montdidier. Après douze jours d'un siége poussé avec une vigueur extrême, les hommes d'armes et les archers, voyant la brèche ouverte entre la porte de Roye et la tour Rouge, les tours des portes Becquerel et de Roye abattues, capitulèrent et se rendirent bagues sauves ; ils obtinrent de se retirer vers le sire de la Trimouille. René de la Palletière, en véritable chevalier, ne voulut jamais consentir à cette composition ; mais ses efforts pour retenir ses soldats furent impuissants. Charles de Bourbon, duc de Vendôme, gouverneur de Picardie, blâma vivement la garnison de n'avoir point fait une plus longue résistance : si les hommes d'armes avaient tenu quelques jours de plus, les assiégeants auraient été obligés de s'éloigner, car il leur était impossible de rester davantage devant la place, faute de vivres.

Dans cette circonstance, Pierre de Vignacourt, maïeur et capitaine de Montdidier, fit noblement son devoir ; il ne sortit que lorsque Jean de Batterel, lieutenant général au bailliage, les officiers du roi, les gens d'état et tous les hommes de guerre se furent retirés. Malgré la défection de la garnison, beaucoup d'habitants, n'écoutant que leur courage, ne voulurent pas se rendre, et résistèrent encore ; mais cette opiniâtreté ne produisit que des malheurs : la ville fut emportée d'assaut et livrée au pillage.

Les ennemis pénétrèrent par le boulevard de la porte de Paris, qui, n'étant pas entièrement achevé et mis en état de défense, fut facilement démoli ; c'est aussi de ce côté que les Français s'étaient emparés de Montdidier en 1470. Les Anglais et les Allemands demeurèrent six jours dans nos murs. Informés de l'approche du duc de Vendôme, ils quittèrent la ville après y avoir mis le feu, pillant et emmenant prisonniers une partie des habitants. Cet événement déplorable arriva à la fin du mois d'octobre 1523. La majeure partie de la cité fut brûlée ; l'hôtel de ville réduit en cendres, la grosse cloche fondue dans les flammes. Le désastre fut tel que beaucoup de Montdidériens se refugièrent à la campagne ; ceux qui restèrent logèrent dans les caves de leurs maisons incendiées. Lorsqu'après le départ des ennemis les habitants se réunirent, les maire et échevins furent obligés, pour délibérer, de s'assembler dans la maison de Robert Rohaut, appelée l'hôtel des Trois Rois. Cette maison subsiste encore sur la place ; c'est la seconde à main droite, en descendant après l'hôtel de ville : on voit, dans la cour, quelques restes de sculptures en bois assez bien conservées. On fit revenir de Beauvais le coffre renfermant les titres de la ville, qu'on avait eu la précaution d'y faire transporter à l'approche de l'ennemi.

Nos ancêtres ne se laissèrent pas abattre par ce cruel revers ; ils se mirent promptement à l'œuvre, et réparèrent leurs pertes. En 1524, l'hôtel de ville était reconstruit et les brèches fermées en partie. Le Ier mai de cette année, François Ier vint à Montdidier, et visita la ville, accompagné de l'ingénieur Petre Francisque, auquel il donna ses ordres pour la construction de nouvelles fortifications : on publia la paix conclue entre le roi, le pape, les républiques de Venise, de Florence et de Lucques, et il y eut à cette occasion des réjouissances publiques et des feux de joie.

Voulant mettre à profit les bonnes intentions de François Ier, les habitants députèrent vers lui Godefroy de Baillon et Vincent Piquié, afin d'obtenir quelques secours ; les envoyés partirent le 9 mai 1524, et revinrent le 20 juin suivant. On voit dans un extrait de compte que les brèches faites par les ennemis entre les portes de Roye et la tour Rouge ont été réparées par marché du 2 août de la même année : mais fut-ce avec l'argent du roi ou avec celui de la ville ? c'est ce qu'il n'est pas possible de savoir.

La perte de la bataille de Pavie fit évanouir bien des espérances. Pendant la captivité de François Ier, Charles de Bourbon, duc de Vendôme, chef du conseil de France, écrivit aux maïeur et échevins, leur exposant ce qu'on faisait pour la délivrance du roi, et les exhortant à faire bonne garde de peur d'être surpris par l'ennemi. Sa lettre est du 12 octobre 1525.

Pour obtenir sa liberté, Francois Ier signa, le 14 janvier 1526, le traité de Madrid. L'article 5 de ce traité contenait, de la part de Charles-Quint, renonciation, en faveur du roi de France et de ses successeurs, de tous les droits qu'il prétendait avoir sur Montdidier ; une déclaration semblable fut renouvelée dans le traité de Cambrai et dans celui qui fut signé à Crépy en 1544.

Cette renonciation de l'empereur était inutile, puisqu'il n'avait jamais possédé Montdidier. Les droits qu'il prétendait sur cette ville provenaient, suivant lui, du chef de sa mère, descendante en ligne directe de Charles le Téméraire ; mais c'étaient des droits imaginaires. Les traités d'Arras et de Conflans n'avaient assuré la possession de Montdidier aux ducs de Bourgogne qu'à eux et à leurs héritiers mâles seulement ; la mort de Charles le Téméraire sans descendance masculine avait annulé les clauses de ces traités, et fait rentrer de plein droit Montdidier sous la domination des rois de France : Charles-Quint était aussi rusé diplomate qu'habile capitaine, et les concessions qu'il faisait n'affaiblissaient point ses États. Les nobles de la prévôté de Montdidier contribuèrent pour une somme de 1,530 liv. tournois à la rançon du roi et de ses enfants.

Le 2 août 1527, François Ier arriva à Montdidier ; il y resta quelques jours. On sollicita encore pour avoir des secours, mais ces instances nouvelles ne paraissent pas avoir eu plus de succès que les précédentes. Le traité de Cambrai, et la paix momentanée qui en fut la suite, donnèrent lieu à des fêtes et à des réjouissances. Le 18 août 1529, on fit deux processions, et on alluma des feux de joie ; l'échevinage livra deux quennes de vin à 20d le lot pour donner à boire aux gens de bien de la ville, et l'on remit une gratification à Jacques Platel, Jacques Harlé et autres, qui jouerent ledit jour plusieurs moralités et farces pour récréer le peuple à l'occasion et à cause de la paix.

Pierre de Bertin, lieutenant général au bailliage, fut employé dans les négociations qui eurent lieu lors du traité de Cambrai. Il fut envoyé par le roi comme conseil pour recevoir les obligations et contrats de madame de Savoie, des ducs d'Arscot, de Burch et des autres personnages qui s'étaient portés garants de la sortie d'Espagne des enfants de France. François Ier avant, d'après ce traité, renoncé à la souveraineté de la Flandre et de l'Artois, Pierre de Bertin fut encore un des commissaires nommés pour régler les limites entre la France et les Pays-Bas. Les réjouissances qui avaient accueilli la nouvelle du traité de Cambrai se renouvelèrent en 1530, lors de la rentrée en France des enfants du roi retenus comme otages en Espagne, en vertu du traité de Madrid.

La porte Becquerel, abattue pendant les guerres précédentes, fut reconstruite en 1531 ; la maçonnerie se fit à raison de quatorze sols la toise, à la charge de livrer l'eau, hours et manœuvres ; la terre coûtait 45s les cent tombereaux, et la chaux, 24s le muid.

Le 14 novembre de l'année suivante, le roi, la reine et leurs enfants passèrent à Montdidier ; la reine fut reçue sous le poële qui servait dans l'église du Sépulcre quand on portait le saint-sacrement. La ville paya aux marguilliers 3s 4d pour refaire quatre bâtons dont on avait besoin dans cette cérémonie.

La peste éclata dans plusieurs maisons en 1531, et ralentit les travaux des fortifications. On fut obligé, pour subvenir aux frais de la maladie, de faire une levée sur les habitants, mais rien ne put arrêter la violence du fléau, dont les ravages, en 1533, étaient tellement effrayants qu'il ne se trouva personne pour enterrer les morts : le fossoyeur épouvanté prit la fuite ; les maître et sœurs de l'Hôtel Dieu, oubliant leur devoir, refusèrent leur ministère. Dans cette circonstance, une fille de Maresmontiers, âgée de trente-six à quarante ans,et dont nous regrettons vivement de ne point connaître le nom, donna l'exemple du courage : elle offrit de porter aux malades tous les secours que réclamait leur position, à la seule condition d'être reçue sœur de l'Hôtel-Dieu : son offre généreuse fut acceptée avec empressement.

Les appréhensions que l'on avait d'une invasion de la part de Charles-Quint forcèrent les habitants à se tenir sur la défensive : dans la crainte d'une surprise, il fut résolu que chaque bourgeois, suivant sa fortune : ferait venir des villages voisins des gens qu'il entretiendrait dans sa maison, à ses propres dépens ; Jean de Batterel, lieutenant général au bailliage, offrit d'avoir quatre hommes embastonnés. A ces moyens de défense on chercha à en joindre de plus efficaces : on s'efforça de se procurer de l'artillerie, et, pour arriver à ce but, chaque corps de métier fut invité à donner une pièce de canon.

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