Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre VII - Section IV
par Victor de Beauvillé
Section IV
La ville est pourvue de munitions de guerre
On travaille aux fortifications
Lettres de François Ier au sire de la Chataigneraye
Cette inquiétude n'était que trop bien fondée. Le 14 août 1536, le comte de Nassau, à la tête d'une armée de soixante mille hommes, vint assiéger Péronne. La relation de ce siége fameux est étrangère à notre sujet ; Montdidier peut cependant revendiquer sa part de gloire dans la défense héroïque qui a immortalisé nos voisins.
Dès le 15 juillet, notre ville, malgré la pénurie dans laquelle elle se trouvait, avait envoyé à Péronne des munitions de guerre et des provisions de bouche ; mais fournir de pareils secours ne suffisait point à la valeur impatiente de nos ancêtres. Apprenant le danger qui menaçait leurs frères, des habitants de Montdidier coururent s'enfermer dans Péronne, prêts à partager ses périls et à s'ensevelir sous ses débris : leur bravoure contribua puissamment à la conservation de la place.
Les assiégés étaient réduits à l'extrémité, manquant de poudre et de soldats. Le maréchal de la Marck, qui les commandait, voulut donner avis de sa position aux ducs de Guise et de Vendôme, alors à Ham : la mission était dangereuse, il fallait un homme intrépide et sûr ; le maréchal fit choix d'un Montdidérien, de Jean de Haizecourt. Le 28 août, au milieu du feu des assaillants, il descend au pied des murailles, derrière le jardin des archers, passe la Somme à la nage, traverse les marais et gagne Mesnil‑Bruntel, d'où il arrive à Ham. Quatre cents arquebusiers, tous gens résolus, partent le soir de cette ville sous la conduite de de Haizecourt, chargés, chacun, d'un sac renfermant dix livres de poudre. Le duc de Guise les suivait, à la tête d'un corps de cavalerie qu'accompagnait un grand nombre de tambours et de trompettes. Aux approches de Péronne, du côté d'Athies, il fait donner une fausse alarme et sonner la charge ; les trompettes et les tambours, qu'il avait échelonnés à une certaine distance, de manière à faire croire à la présence d'un nombreux corps de troupes, font retentir l'air du bruit de leurs instruments.
Les assiégeants s'inquiètent, prennent les armes, et se disposent à résister aux ducs de Guise et de Vendôme, qu'ils croient réunis pour les attaquer. Pendant ce temps, les quatre cents arquebusiers, profitant de la confusion, traversent les marais, à la faveur de quantité de petits ponts et de chaussées étroites que les ennemis avaient établis avec des arbres entrelacés, et gagnent le pied des murailles : on leur tendit des cordes et des échelles pour les faire monter dans la ville. Le duc de Guise, assuré du succès de sa ruse, donna le signal de la retraite et se retira en bon ordre ; le comte de Nassau ne s'aperçut qu'à la pointe du jour du stratagème dont il avait été la dupe.
Ce renfort redoubla le courage des habitants et les rendit invincibles. Le sang-froid et la bravoure dont Jean de Haizecourt fit preuve dans cette circonstance contribuèrent en grande partie à assurer la conservation de la place. Pour le récompenser de ce service signalé et en perpétuer le souvenir, François Ier lui accorda la permission de porter pour armoiries : d'azur, à une porte de ville d'or et sa barrière d'or au-dessous, la porte de ville accostée de deux fleurs de lis d'or, soutenues de deux croissants d'argent. De Haizecourt était procureur du roi sur le fait des aides ; comme il le prouva dans cette circonstance, il maniait l'épée aussi bien que la plume. Lors de son anoblissement, on opposa qu'outre l'office dont il était pourvu, il exerçait la profession de marchand de drap ; cette considération fut rejetée. De tout temps le mérite a été en butte aux traits de l'envie.
Le P. Daire prétend que de Haizecourt mourut le 18 mai 1543 ; c'est une erreur : en 1544, il donna à l'église Saint-Pierre un lutrin de cuivre, qui servait encore au commencement du siècle dernier. De Haizecourt ne fut pas le seul Montdidérien qui se signala à ce siége, d'autres partagèrent ses dangers : l'histoire malheureusement ne nous a point conservé leurs noms : ceux de Haizecourt et de Hennegrave sont les seuls qui soient arrivés jusqu'à nous. Les armes de ce dernier faisaient également allusion à sa conduite courageuse au siége de Péronne ; elles étaient : d'azur, au chevron d'or chargé de trois coquilles de gueules, accompagné en chef de deux étoiles d'argent et en pointe d'un P d'or couronné, soutenu d'un croissant d'argent.
Pendant l'invasion des Impériaux, une forte garnison occupa Montdidier ; elle était commandée par un nommé Salenelle et se composait d'un corps de cavalerie et de deux mille soldats normands qui vivaient à discrétion et molestaient fort les habitants.
Le siége de Péronne rendit nos compatriotes encore plus circonspects qu'ils ne l'étaient auparavant, et ils prirent les mesures que pouvait nécessiter la présence de l'ennemi : on se hâta de construire un moulin à blé sur la grange de Pierre Pinguet, et un moulin à cheval servant au même usage fut établi dans le jardin des arbalétriers. Titus de la Morlière, procureur de la ville, envoyé à Paris pour acheter de l'artillerie, ramena une grosse pièce de canon ; les frais de son voyage s'élevèrent à 217 livres. Jacques le Bel, fondeur à Amiens, reçut 144 liv. pour deux couleuvrines, et douze arquebuses à croc, pesant environ deux mille, à raison de 20 liv. le cent pesant. On acheta deux cent quarante-neuf livres de poudre, cent longues piques, cent quinze piques hautes à hallebarde et plusieurs demi-piques : trois grosses pièces d'artillerie et des boulets furent ramenés de Péronne. II y avait dans la ville des canonniers d'Amiens et de Beauvais ; un drapeau de taffetas aux couleurs jaune, violette et incarnat, servait de point de ralliement lorsqu'on passait la revue des habitants. Pierre de Bertin, lieutenant général au baillage et maïeur, déploya la plus grande activité pour mettre la ville en état de défense ; d'après ses ordres, on construisit cette année la plate-forme de la tour Rouge, et l'on établit une batterie élevée en arrière de cette tour.
Le danger auquel Péronne venait d'échapper rappela Montdidier au souvenir du roi. Au mois de décembre 1536, il envoya Marc Antoine Castel, gentilhomme italien, visiter notre ville et examiner ce qu'il conviendrait d'y faire. Cet ingénieur dressa le plan de Montdidier et le porta an roi, qui le lui paya 12 liv.: malgré toutes nos recherches, nous n'avons pu découvrir aucun plan de Montdidier du seizième siècle.
Le 25 novembre 1537, on traita avec Jacques Batrel, fondeur à Amiens, qui s'obligea à livrer deux grosses pièces d'artillerie et six arquebuses à croc, aux armes de la ville et aux mêmes conditions que Jacques le Bel. Le 20 janvier de la même année, Titus de la Morlière fut chargé, par François de Montmorency, lieutenant général du roi en Picardie, de la direction des fortifications ; il était autorisé à prendre trente pieds de terrain en dedans des murs, ainsi que l'avait ordonné le duc de Vendôme ; cet espace devait servir à l'établissement d'un chemin de ronde intérieur. Les Normands en garnison à Montdidier furent employés à ces travaux.
La trêve conclue à Nice en 1538, pour dix années, ayant été rompue comme tant d'autres avant le délai fixé, les hostilités recommencèrent. Le 7 février 1542, François Ier écrivait de Paris à Jean d'Humières, gouverneur général : « Que, pour résister au dessein de l'empereur, il ordonne que toutes les villes closes de son royaume contribuent à la solde des gens de guerre jusqu'au nombre de 50,000 hommes par mois. Les trois villes devoient fournir 40 hommes de guerre à pied dont la solde pour quatre mois montoit à 960 liv., qu'il falloit reporter sur chaque ville selon ses moyens. Les avocats et procureurs n'étoient pas exemptés, la répartition devoit s'en faire par six personnes nommées exprès. »
La peste exerça ses ravages en 1544 avec une intensité assez grande. Afin d'empêcher les progrès du mal, on décida, le 9 mars, de monter la garde aux portes de la ville, et d'en interdire l'entrée aux habitants de Montreuil, Abbeville, Roye et autres lieux infectés de la maladie, avec défense aux hôteliers de les recevoir, à peine de bannissement. Un accord fut passé avec un confesseur et un fossoyeur affectés uniquement aux pestiférés ; on donna à ce dernier 5s par jour, plus un setier de blé et un logement sous la tour Rouge ; le confesseur était logé auprès de la Madeleine. Ce n'est que vers le milieu du dix-septième siècle que la peste a complétement cessé de désoler notre pays.
Les fortifications auxquelles on travaillait sans relâche étaient très-avancées ; des ouvriers tirés du Berry, du Nivernois et de la Haute-Auvergne, que l'on appelait castados, et dont le nombre ne s'élevait pas à moins de trois cent soixante, y étaient constamment occupés. L'argent venant à manquer, ces étrangers refusèrent de continuer les travaux, et la ville se trouva dans l'obligation de s'imposer et de payer 10s à chacun d'eux, pour éviter les désagréments que leur soulèvement pouvait occasionner.
François de Vivonne, seigneur de la Chataigneraye, capitaine de Montdidier, que son duel avec Jarnac rendit si tristement célèbre, poussait les ouvrages de défense avec la plus grande activité. Il rendait compte exactement à François Ier de leur degré d'avancement, demandant les fonds et les secours dont il avait besoin. Le roi lui témoignait sa satisfaction du zèle qu'il déployait, mais, quant à l'argent que réclamait la Chataigneraye, il répondait qu'il ne pouvait lui en envoyer ; la lettre de François Ier est curieuse :
« Monsieur de la Chataigneraye, j'ai été très-aise d'avoir entendu par vous l'état auquel est Montdidier, je vous prie d'y faire ce qu'il est besoin par ceux de la ville et des villages circonvoisins en la meilleure et plus grande diligence qu'il sera possible, car d'avoir argent d'ailleurs il n'est possible pour cette heure et quant aux vivres et autres provisions nécessaires pour la garde de la place, adressés vous en à mon cousin le duc de Vendosme pour ordonner qu'il en soit fait telle provision qu'il sera requis et à tout je prirai Dieu mons de la Chastaigneraye qu'il vous ait en sa garde. Escrit à Fontainebleau le 23 jour de juin 1544. François. »
Claude d'Annebault, maréchal de France, en envoyant la lettre du roi, y joignit la suivante :
« Monsieur de la Chastegneraye, le roi vous escrit son intention touchant la fortification de votre ville, mais il n'y a ordre d'avoir d'argent pour vous y subvenir. Il faut que ceux de la ville et du pais de la alentour y fassent du mieux qu'ils pourront. Si vous scavés quelqu'artillerie en lieu dont on vous puisse départir, advertissés en monsieur de Vendosme et de nostre part si vous voies qu'il en soit besoin l'on vous aydera de tout ce que l'on pourra, qui sera la fin, après m'etre recommandé à votre bonne grace priant nostre Seigneur de vous donner ce que desirés. Fontainebleau 24 juin. Votre entièrement bon ami. Dennebault.
Le contenu de ces lettres n'était pas encourageant, il n'indique que trop la pénurie où se trouvaient les finances du royaume. Le roi laissait le champ libre au sieur de la Chataigneraye, mais celui-ci n'avait de ressources à espérer qu'en lui seul. Notre gouverneur ne se découragea pas. Aussitôt après la réception de ces lettres, il convoqua pour le 29 juin suivant les principaux de la ville en une assemblée où il ordonna de lever sur tous les habitants de Montdidier 8s pour livre et 2s sur ceux de la campagne, à prendre sur les deniers provenant de la taille ; l'argent devait être employé aux fortifications. François de Vivonne avait conçu le plan et commencé les travaux d'une citadelle sur l'esplanade du Prieuré ; la mort vint interrompre ses projets.
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