Histoire de Montdidier

Livre I - Chapitre VI - Section IV

par Victor de Beauvillé

Section IV

Nouvelles hostilités

Les Français s'emparent de Montdidier

Louis XI le fait réparer et fortifier

Charles le Téméraire en redevient maître

Olivier de la Marche, capitaine de Montdidier

 

Louis XI n'avait signé le traité de Conflans, et surtout la paix de Péronne, que contraint et forcé ; il conservait une haine profonde contre le duc de Bourgogne, et n'attendait que l'instant de se venger. En 1470, il déclara la guerre à son puissant vassal : cet acte de vigueur lui fut inspiré par le duc Guyenne, son frère, et surtout par le connétable de Saint-Pol, qui s'était brouillé avec le duc de Bourgogne.

Au mois de janvier 1470, le comte de Dammartin, grand maître d'hôtel du roi de France, se présenta devant Roye. Le capitaine, fils du seigneur de Moreuil, n'opposa aucune résistance. De là, le comte vint à Montdidier, où commandait le Bon de Rely ; plusieurs gentilshommes dévoués au duc de Bourgogne s'y trouvaient avec lui. N'ayant pas de forces suffisantes, ils envoyèrent demander des renforts à Charles, lui offrant de tenir cinq ou six jours, s'il lui plaisait. La déclaration de guerre avait été tellement soudaine que le duc de Bourgogne n'avait pas eu le temps de rassembler ses troupes ; aussi ses villes frontières étaient-elles dépourvues de garnison. Pris à l'improviste, ce prince répondit à l'envoyé des gentilshommes qu'ils fissent du mieux qu'ils pourraient ; que, son armée n'étant pas prête, il lui était impossible de les secourir. Ne prenant conseil que de leur attachement à sa personne, les habitants de Montdidier, mesmement les femmes, ne vouloient consentir de se rendre au roi parce que tout le temps passé ils avoient tenu le parti de Bourgogne. Mais la ville était hors d'état de soutenir un siége : elle avait été brûlée entièrement quelques mois auparavant, et ses fortifications n'avaient pu être réparées. N'espérant aucun secours, n'ayant aucun moyen de défense, les Montdidériens furent malgré eux obligés de se soumettre, après avoir résisté autantqu'il était en leur pouvoir. Le comte de Dammartin dut recourir à la force et livrer l'assaut pour pénétrer dans la place. Une quittance du 2 janvier 1472, pour la couverture de la logette de la porte du Saint-Sépulcre, mentionne qu'elle a nagaires esté faite depuis l'assaut de la ville fait par les François, lesquels ardirent et boutèrent le feu à ladite logette et tapecul d'icelle porte. Les gens d'armes qui étaient à Montdidier retournèrent joindre le duc de Bourgogne.

Au mois de février 1470, Louis XI, alors à Noyon, fit don au connétable de Saint-Pol des terres et seigneuries de Péronne, Montdidier et Roye, au cas que Dieu nous face grâce de les conquérir sur ledit duc de Bourgongne, portent les lettres de donation. (Pièce just. 40.) Cette condition était déjà accomplie pour Roye et Montdidier ; quant à Péronne, elle ne put recevoir son exécution, le roi n'étant point parvenu à s'en emparer. Louis XI profita sans doute de ce qu'il ne s'était pas rendu maître de cette ville, pour éluder son engagement à l'égard des deux autres. Les événements qui survinrent l'empêchèrent de donner suite à cette donation, qu'il n'aurait peut-être point effectuée, quand même il aurait pu le faire.

La prise de Montdidier, de Roye et d'Amiens, fut célébrée à Paris comme un événement d'une haute importance. On fit une procession pour rendre grâce à Dieu du succès des armes royales. Le mardi 4 février 1470, la reine, la duchesse de Bourbon et toute la cour se rendirent processionnellement à Notre-Dame, à l'église de Recouvrante et aux Carmes ; des prières eurent lieu dans ces églises pour la prospérité des troupes du roi, et l'on y annonça publiquement la reddition de Montdidier.

Louis XI prit aussitôt toutes les précautions pour empêcher que cette ville ne retombât entre les mains des Bourguignons ; il fit rouvrir les fossés, relever les murailles, et, comme les bras manquaient, il envoya de Paris un grand nombre de pionniers, de maçons et de charpentiers. Henri de la Cloche, procureur du roi au Châtelet, bon et loyal François, eut la direction générale des travaux, qu'il poussa de la manière la plus active ; les ouvriers étrangers restèrent à Montdidier jusqu'au mois d'avril. Le 9 de ce mois, qui était la fin de l'année 1470, le roi et le duc de Bourgogne conclurent près d'Amiens une trêve de trois mois, que l'on prolongea ensuite pour un an, et qui devait se terminer par une paix définitive. Le traité fut signé au Crotoy le 3 octobre 1471 ; par l'un des articles, Louis XI s'engageait à remettre au duc de Bourgogne la ville de Montdidier et les autres places qu'il avait prises depuis un an environ ; le duc devait en jouir comme par le passé ; enfin le roi confirmait les dispositions des traités d'Arras, de Conflans et de Péronne.

Il en fut du traité du Crotoy comme de tant d'autres ; chacune des parties contractantes ne cherchait qu'à tromper et à gagner du temps : la paix entre deux princes tels que Louis XI et Charles le Téméraire était réellement impossible.

Avant même l'expiration de cette trêve d'un an, Charles le Téméraire rassembla ses troupes à Arras, et en partit le 4 juin 1472 ; son armée était la plus belle qu'il eût encore réunie.

Le vendredi 12 juin, il assiégea Nesle, s'en empara, et en fit massacrer les habitants ; le dimanche suivant, il mit le siège devant Roye, qui était défendu par quinze cents archers de la compagnie de Pierre Aubert, bailli de Melun, et par deux cents lances environ commandées par Loyset de Balagny, et par les seigneurs de Mouy et de Rubempré. Effrayés du sort épouvantable qu'avait subi la ville de Nesle, les archers se jetèrent par-dessus les murailles et vinrent faire leur soumission au duc ; le lendemain 16 juin, les hommes d'armes qui étaient restés capitulèrent et sortirent de la place. « Et jacoit-ce qu'ils feussent dedans ladite ville que le roy avait fait remparer ; bien avitailler et garnir de moult belles serpentines, ils se rendirent le mardy ensuivant 16 d'icelluy mois, à l'heure de midy, et laisserent illec ladite artillerie, leurs chevaux, et harnois, tout habillement de guerre et toutes leurs bagues ou le roy et eux eurent dommage de cent mille escus d'or et plus, et s'en revinrent tous nuds et en pourpoint, un baston eu leur poing. (Chron. stand.) Sauf que les hommes d'armes, » dit Commines, « en emmenerent chacun un courtaut. »

Le duc resta plusieurs jours dans son camp près de Roye ; il en partit le 25 juin, et prit ce jour-là position entre le Mesnil et Montdidier. La ville se rendit. Cette fois le duc voulut la faire désemparer : Mais, pour l'affection qu'il vit que le peuple de ces chastellenies luy portoit, il la fit réparer, et y laissa gens. (Commines.)

Notre cité n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été auparavant. Ruinée par les guerres, détruite par l'incendie, il n'y avait pas cent ménages en 1472, lorsque le duc de Bourgogne parut sous nos murs.

Charles prit ensuite le chemin de Beauvais ; repoussé de cette ville après un siége de vingt-quatre jours, il se vengea de cet affront en mettant tout a feu sur son passage : Poix, Oisemont, Saint-Valery furent livrés aux flammes. Il continua sa route vers la Normandie, commettant partout les mêmes horreurs. Vers la fin de septembre, il revint en Picardie ; le 21, il campa à la Faloise, le 22 à Merville-au-Bois ; le 23 il passa l'Avre à Moreuil, et établit son camp à Mézières ; puis il se dirigea par Lihons et Espaigny-sur-Somme vers Péronne, où il arriva le 4 octobre ; il n'y séjourna point et retourna à Espaigny, où il resta jusqu'au 12 ; étant en cet endroit, le duc Bourgogne donna des ordres pour assurer la conservation des places frontières. Douze cents lances furent réparties dans différentes villes ; Olivier de la Marche fut envoyé à Roye et à Montdidier. Le duc avait dans chacune de ces places cinquante hommes d'armes qu'il faisait bien payer et entretenir ; c'était, pour l'une comme pour l'autre, une garnison de quatre cents hommes, car, à cette époque, ainsi que nous l'apprend dans ses Mémoires Olivier de la Marche, qui commandait à Montdidier : Un homme d'armes estoit huit combattants : scavoir l'homme d'armes, le coustellier à cheval, deux archers, deux coulevriniers et deux piquenaires à pié.

Au commencement de l'hiver, le roi convint avec le duc de Bourgogne d'une trêve qui dura jusqu'à 1475 ; mais, malgré cette suspension d'hostilités, la garnison de Montdidier ne se livra pas moins à des courses sur les pays soumis au roi, faisant des prisonniers, enlevant des vivres et de l'argent.

Jacques de Savoye, comte de Romont, lieutenant général du duc de Bourgogne, profita de l'armistice pour approvisionner la ville de munitions de guerre. Il envoya d'Arras deux grosses serpentines de fer, huit arquebuses, de la poudre et du plomb ; les fortifications furent mises en état, et on releva le boulevard de la porte du Saint-Sépulcre. Amiens et Compiègne appartenant à Louis XI, Montdidier était presque entièrement isolé, et formait une sorte d'enclave dans les États du roi ; aussi cette ville se ressentait-elle toujours la première des funestes effets de la guerre.

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