Histoire de Montdidier

Livre I - Chapitre VI - Section I

par Victor de Beauvillé

Section I

Exploits de Lahire

Les comtes d'Eu et d'Étampes se réunissent à Montdidier

Les Anglais prennent Folleville et Lihons

Le duc de Bourgogne engage la ville au comte d'Étampes

Premier octroi accordé aux habitants

État de Montdidier en 1454

 

La guerre entre les Français et les Bourguignons avait duré trop longtemps pour que, aussitôt le traité d'Arras signé, les vieilles inimitiés pussent s'éteindre et faire place au calme et à la concorde.

Lahire, un des capitaines royalistes les plus entreprenants, occupait Clermont avec soixante ou quatre-vingts combattants, et continuait ses courses comme si la paix n'eût pas existé. Les châtellenies de Péronne, Montdidier et Roye étaient le théâtre principal de ses exploits. Il était aidé dans ses entreprises par les garnisons dès châteaux voisins qui tenaient pour le roi, surtout par celle de Mortemer, appartenant à Guillaume de Flavy. Montdidier formait un poste avancé presque isolé, et par là même plus exposé aux agressions des Français. Dans une de ses expéditions, Lahire s'avança jusqu'aux portes de Roye, pillant et prenant ce qu'il rencontrait. Comme il s'en retournait à Clermont avec son butin, Aubert de Folleville, noble et vaillant homme d'armes qui commandait à Roye, rassembla le plus de troupes qu'il lui fut possible, et se mit sans délai à la poursuite des Français, qu'il atteignit à Boulogne. Lahire avait eu la précaution de tendre une embuscade dans cet endroit : les Bourguignons s'y laissèrent prendre ; moins nombreux que les Français, ils furent défaits, et leur chef eut la gorge coupée. Plusieurs gentilshommes de la garnison de Roye périrent avec lui, et ceux qui parvinrent à s'échapper ne durent la vie qu'à la vitesse de leurs chevaux (1437).

Ces entreprises, qui se répétaient fréquemment, irritèrent le duc de Bourgogne. Le comte d'Étampes reçut ordre de mettre des gens de guerre dans les villes de Péronne, Montdidier et Roye.

Le seigneur de Mouy, en Beauvaisis, n'était pas un royaliste moins audacieux que Lahire ; ses gens s'emparèrent, en 1437, de la forteresse de Rollot, où Guy de Roie avait mis quelques troupes. Les Français, maîtres de cette position, faisaient une guerre intolérable aux habitants. Le comte d'Étampes, qui venait de recevoir la mission spéciale de défendre la ville et ses environs, ne pouvait souffrir un pareil voisinage. Il réunit un certain nombre d'hommes d'armes, dont il confia le commandement à Valéran de Moreuil et à Guy de Roie, et les envoya assiéger la forteresse de Rollot. Les royalistes, bientôt réduits à l'extrémité, furent obligés de se rendre à discrétion ; le comte d'Étampes en fit pendre une trentaine pour le bon exemple, et remit le fort à Guy de Roie (1438). Instruit du sort de ses gens, le seigneur de Mouy, capitaine de Clermont, ne perdit pas de temps : il entra aussitôt en campagne, et ravagea plus que jamais les alentours de Montdidier ; de sorte que le pays était aussi malheureux depuis la paix qu'il l'avait été pendant la guerre. On fut obligé, pour repousser les attaques du seigneur de Mouy, d'établir des garnisons en divers endroits.

L'année suivante (1439), Charles d'Artois, comte d'Eu, gouverneur de Picardie pour la partie que le traité d'Arras avait laissée au roi, et Jean de Bourgogne, comte d'Étampes, gouverneur de la même province pour les villes cédées à Philippe le Bon, se réunirent à Montdidier, le 24 juillet, afin de régler les contestations qui s'étaient élevées au sujet des limites de leurs gouvernements respectifs, et, le 16 novembre, ils signèrent dans cette ville un accord destiné à mettre un terme à ces difficultés.

Depuis le traité d'Arras, les Anglais s'étaient séparés des Bourguignons, et les terres de leurs anciens alliés étaient devenues le but de leurs ravages. En 1439, le comte de Sommerset et le capitaine Talbot levèrent deux mille hommes, et vinrent « loger devant la forteresse de Folleville, qui pour lors était au gouvernement du bon de Saveuses à cause de la dame douagière qu'il avoit espousée. Et pour ce que ceux qui estoient dedans le dit chastel, » dit Monstrelet, « saillirent dehors et occirent l'un des gens du dit comte de Sombresset, lequel il aymoit moult bien, si jura grand serment que de la ne se partiroit jusques à ce qu'il auroit conquis iceluy chastel, et ceux de dedans a sa voulenté. Si feit prestement apprester une petite bombarde qu'il avoit amenée avecques luy, laquelle estoient excellentement bonne et roide avec autres engins : lesquels engins bombardes et canons à l'une des fois occirent le capitaine de ceans quand elles furent jectées. Et depuis continuerent tant que le surplus des dits assiégez furent contens d'eux rendre, en délaissant la dicte forteresse et tous leurs biens avec ce, payant une grande somme d'argent, en racheptant leurs vies envers les dessus dits Anglois. Si feit ledit comte reparer ledit chastel, et y laissa garnisons de ses gens, qui depuis feirent moult de maulx et de dommages à tous les pays a l'environ. Et le lendemain de la dite reddition, se departyrent d'ycel lieu ledit comte et ses gens, et suivoient ledit seigneur de Thallebot, qui desjà s'estoit boutté bien avant audit pays de Santhois : et tous ensemble s'en allèrent loger à Lyhons en Santhois, ou ils trouverent des biens largement et abondamment, et aussi partout le pays : car on ne se doubtoit de leur venue par quoy ceux dudit lieu n'avoient point retraits leurs biens. Auquel lieu de Lihons avoit une petite forteresse et la grande eglise, ou le peuple et les habitants d'icelle ville s'estoient retraicts hastivement, quand ils sçeurent que c'estoient Anglois. Si feit ledit comte signifier à ceux qui estoient en ladicte église, qu'ils se rendissent à sa voulenté ou il les feroit assaillir ; ce que point ne voulurent faire. Et pour ce le lendemain feit faire ledit assault très-cruel et merveilleux ; lequel fut tant continue, que pourtant que les Anglois ne les povoient autrement avoir, boutèrent le feu dedans : et fut l'eglise toute arse et demolie avec tous les biens d'icelle, et ceux qui s'estoient retraicts si y furent morts et bruslés très-piteusement bien trois cents personnages ou plus tant hommes, femmes comme enfants : et peu en eschappa de ceux qui estoient en ladicte église. Pour lesquelles cruautés de la forteresse dessus dite voyans la male adventure de leurs pauvres voisins et amis se composèrent au dit comte de Sombresset ou à ses commis pour rachepter leurs vies et parties de leurs biens, avec le feu par les maisons d'icelle ville, et en donnèrent une grande somme d'argent. Pour laquelle bailler et paver bailIerent plusieurs hostages tant hommes comme femmes, qui depuis furent longtemps prisonniers à Roüen et ailleurs pour la finance dessus dite. Desquels hostages en fut l'un un gentilhomme nommé Noiseux de Sailly, lequel mourut en ladicte prison. Et iceux Anglois qui estoient au dit lieu de Lyhons feirent plusieurs courses sur les pays à l'environ, desquels ramenèrent des biens largement a leurs logis. Et si prindrent la forteresse de Herbonnères et le seigneur dedans : lequel pour rachepter luy et ses subjets et sa dicte forteresse de non estre désolée comme les autres avoient esté, s'accorda et composa a mille salus d'or. »

Bauduin de Noyelles informa de suite le comte d'Étampes de ce double désastre. A ces nouvelles, le comte, qui était à Saint-Omer, revint à Péronne, et prit des mesures pour s'opposer aux courses des Anglais ; mais ceux-ci, après être restés dix jours environ à Lihons, quittèrent le pays et retournèrent en Normandie, laissant garnison à Folleville. C'est au mois de février 1439 qu'eurent lieu les deux événements dont nous venons de parler. Monstrelet rapporte dans ses Mémoires qu'ils arrivèrent à deux jours d'intervalle, et furent dus à la coopération de Sommerset et de Talbot. Il parait constant, au contraire, que c'est ce dernier seul qui s'empara de Lihons. Il était parti de Folleville avec deux mille combattants, laissant le comte de Sommerset devant cette place, ce qui indiquerait qu'elle n'était pas encore prise ; il avait passé par Moreuil et était venu loger à Lihons avec ses chariots chargés d'artillerie et d'aucuns veuglaires (armes à feu). L'incendie de l'église Saint-Médard de ce dernier endroit eut lieu le 26 février ; cette date est positive, et résulte des termes mêmes d'un compte de dépense de cette année. (Pièce just. 34.)

Au mois de mai 1440, le comte d'Étampes fit venir à Péronne une grosse pièce d'artillerie qui était à Montdidier, et que l'on nommait la bombarde Bucquet : l'abbé de Corbie se chargea du transport : il prêta un chariot qui mit trois jours à faire la route, et il lui fut payé six sols par jour.

Les Anglais, maîtres de Folleville, continuaient de ravager le pays. le château de Folleville, dont les ruines pittoresques excitent l'admiration, n'était pas au quinzième siècle, un but de pèlerinage pour l'artiste et l'archéologue ; sa tour svelte, aux formes élégantes et variées, était un repaire de brigands. Du haut de la plate-forme, l'Anglais en sentinelle plane sur la contrée ; son oeil, avide de sang et de pillage, interroge au loin les profondeurs de l'horizon et dévore l'espace ; à peine aperçoit-il sa proie, que, semblable au vautour, il fond sur elle et la déchire. Malheur au laboureur attardé dans la campagne, au marchand que ses affaires ont éloigné de la ville, au chevalier qui voyage sans une grosse escorte : à l'instant il est battu, rançonné, mis à mort. Ces monuments du passé, dont nous déplorons la perte, que notre imagination trompeuse se plaît à embellir de toutes les séductions de la poésie et à parer des couleurs les plus brillantes ; ces châteaux forts, ces tours, ces donjons, auxquels, dans notre enthousiasme, nous allons jusqu'à rendre une sorte de culte, tous ces vieux monuments, objets de nos regrets, furent, au temps de leur splendeur, chargés de la haine et des malédictions publiques.

Écoutons le récit naïf qu'un auteur contemporain fait des misères de l'époque ; il achèvera de faire évanouir toutes les illusions chevaleresques : « En iceluy temps les Anglois qui se tenoient au chastel de Folleville feirent moult de maulx au pays d'Amiénois, de Corbie et de Santhois : et estoient environ cent compagnons de guerre, qui feirent moult de grans maulx ; et tellement contraignirent iceux pays, que la plus grande partie des  villes estoient toutes appactizées à eux et rançonnées à certaine somme d'argent et de fromens pour chacun mois, dont le pauvre peuple estoit moult fort oppressé et travaillé. » (Monstrelet.)

Pierre Regnauld, frère bâtard de Lahire et son digne émule, occupait le château de Milly, à deux lieues de Beauvais. De cette place il faisait des incursions dans la châtellenie de Montdidier, et la rançonnait sans pitié. Le comte d'Étampes réunit les principaux seigneurs de la Picardie, les sires de Moreuil, de Roie, de Hangest, de Saveuse et marcha contre lui. Le château de Milly, un des plus forts du pays, était défendu par une garnison nombreuse et bien armée. Le canon joua un assez grand rôle à ce siége, qui dura plus de trois semaines : les assiégés ne se rendirent qu'à la condition qu'ils emporteraient tous leurs biens ; le comte d'Étampes y consentit ; il fit ensuite brûler et raser la forteresse, à la grande satisfaction des pays environnants (1442.)

Le Dauphin, voulant débarrasser le royaume des pillards qui le désolaient, résolut de les réunir en corps d'armée, et de les envoyer au secours de Sigismond d'Autriche, alors en guerre avec les Suisses. Une de ces bandes d'aventuriers, forte de huit mille combattants, était commandée par un Anglais appelé Mathieu God ; une autre bande, par un Français nommé Robert de Flocques ou Floquet : ce dernier venait du côté d'Aumale ; il passa près d'Amiens, et se dirigea vers le Santerre. God suivit la même direction. Malgré leur différence d'origine, ces deux capitaines s'entendaient à merveille : ils campaient l'un près de l'autre et vivaient en frères d'armes. Floquet, qui était en avant, vint loger à Pierrepont, se disposant à aller à Lihons, qui appartenait à Raoul d'Ailly, vidame d'Amiens. Le comte d'Étampes, voulant empêcher les Français de ravager les terres confiées à sa garde, se mit en campagne avec des gens d'armes tirés des marches de la Picardie et du Hainaut, et se rendit à Lihons. Il n'y séjourna guère, car, dès qu'il apprit que Robert Floquet et Mathieu God approchaient, il s'avança à leur rencontre et alla loger à Moreuil. Floquet vint l'y trouver. Dans l'entrevue qu'il eut avec lui, le comte d'Étampes « le requit qu'il ne voulut pas loger sur les chastellenies de Péronne, Montdidier et Roye ne sur les pays du duc son oncle et qu'il voulut prendre son chemin autre part, et en ce faisant il lui en scauroit bon gré : sur quoi Flocquet après plusieurs paroles respondit qu'il alloit au service du roy de France son souverain seigneur et qu'il avoit charge d'iceluy, de passer parmi les pays dudit duc de Bourgogne, et autres en tirant son chemin ; et que son instention n'estoit pas de retourner pour chercher autre chemin, mais qu'il feroit ses gens conluire et si gracieusement gouverner, qu'on n'auroit cause d'etre mal content de luy. Toutesfois ledit Floquet, sans autre appointement, s'en reretourna en son dit logis de Pierrepont, disant qu'il n'estoit point un poulailler. » Mais, quand il sut que Mathieu God venait le rejoindre, il se concerta avec lui, et tous deux résolurent d'aller à Lihons.

Le comte d'Étampes, averti de leur dessein, retourna aussitôt dans cette ville. God et Floquet, ayant rangé leurs troupes en bon ordre, s'approchèrent de Lihons ; le comte sortit de la place, disposa ses hommes en bataille, et fit mettre pied à terre aux cavaliers, prêt à recevoir l'ennemi, si celui-ci voulait tenter l'entreprise. Les forces des Bourguignons s'élevaient à deux ou trois mille combattants, parmi lesquels on remarquait plusieurs chevaliers appartenant à la première noblesse de Picardie.

Robert Floquet et Mathieu God passèrent en belle ordonnance à une portée de canon du comte d'Étampes : le moindre incident pouvait déterminer l'action ; heureusement il y avait de part et d'autre des gentilshommes qui allaient et venaient, s'entremettant pour prévenir un conflit. Floquet et God promirent de ne rien entreprendre dans les pays soumis au duc de Bourgogne et au comte d'Étampes, et de s'éloigner promptement. Lorsque cet arrangement fut conclu, God envoya en présent au comte une très-belle haquenée d'Angleterre, et ce dernier, en échange, lui donna un très-bon cheval de bataille. Les Français et les Anglais se dirigèrent vers le Laonnois et la Champagne ; par précaution, le comte d'Étampes les fit suivre jusqu'à ce qu'ils eussent quitté la Picardie.

Le comte avait de bonnes raisons pour agir avec fermeté, et, en faisant la guerre aux Français et aux Anglais qui infestaient les environs de Montdidier, il agissait autant dans son intérêt que dans celui du duc de Bourgogne. En 1437, Philippe le Bon avait engagé au comte d'Étampes pour quinze années, qui commencèrent au premier janvier 1438, les villes de Péronne, Montdidier et Roye. Le duc de Bourgogne avait fait cet engagement pour se libérer de 20,000 saluts d'or qu'il avait retenus sur la dot de la femme da comte d'Étampes, et aussi pour s'affranchir du payement d'une autre somme de même valeur, que le comte lui réclamait sur la succession de Bonne d'Artois, sa mère, que le duc avait épousée en secondes noces.

Le comte d'Étampes devait jouir des trois villes au nom du duc de Bourgogne, toucher les revenus de toute nature, nommer aux charges, conférer les bénéfices, etc, jusqu'au remboursement des sommes que lui devait Philippe le Bon. Le produit des trois villes était estimé à 2,000 saluts par an, ou 12,520 fr., le salut valant 6 fr. 26 cent. Ce revenu pouvait s'élever à cette somme en temps de paix, mais, en temps de guerre, il s'en fallait de beaucoup : pendant les huit premières années de l'engagement, il ne monta pas au delà de 3,000 livres. Le comte d'Étampes s'en plaignit au due de Bourgogne, qui, le 11 juillet 1446, lui céda Péronne, Montdidier et Roye pour en jouir connue il en jouissait lui-même en vertu da traité d'Arras, et ce, jusqu'à ce qu'il l'eût remboursé entièrement de ses 40,000 saluts (250,400 fr.) ; le duc s'engageait en outre, dans le cas où ces trois villes feraient retour à la couronne, à donner à son neveu d'autres terres en échange pour garantie du payement. (Pièce just. 35.)

Le traité d'Arras avait distrait Montdidier de l'autorité royale ; l'accord dont nous venons de parler détacha cette ville des États du duc de Bourgogne, et la fit passer sous la domination du comte d'Étampes ; aussi, dès cette époque, ce dernier y exerça tous les actes de la souveraineté. En 1450, il accorda aux habitants un droit de creue de deux sols sur chaque minot de sel : l'argent devait être employé à réparer les fortifications : ce sont les premiers octrois qu'ait perçus Montdidier. Jean de Halloy fut chargé d'en faire la recette ; Baude de Halloy, son fils, lui succéda : l'un et l'autre s'acquittèrent assez mal de leur charge, gardant pour eux ce qui devait appartenir à la commune et s'enrichissant à ses dépens. Ils profitèrent de l'amitié du comte d'Étampes pour s'assurer l'impunité. Lors de la prise de Montdidier par Louis XI, le roi, sur la plainte des habitants, força Antoine de Halloy, héritier de Jean, et Baude de Halloy, à restituer les sommes dont ils s'étaient emparés indûment.

La ville était alors bien déchue de ce qu'elle était sous Philippe-Auguste et ses successeurs. Dans un mémoire présenté en 1454 par les maire, jurés et échevins de Montdidier contre les maire et pairs de la commune de Beauvais, qui exigeaient le payement d'une somme de 32 liv. parisis de rente, due par notre commune aux pauvres de cette ville, on lit ce qui suit :

« Est à advenir pour ceux de Montdidier que environ 200 ans a, la ville de Montdidier estoit ville bien peuplée, où il y avoit riches gens et puissans ; et en icelle ville et es faulxbourgs deux mille maisons ou plus bien habitées.

Qu'en ce temps les habitans d'icelle ville au nom de la commune cuidans toujours augmenter lad'ville prinrent à ferme et rente perpétuelle des rois de France, du seigneur de la Tournelle et d'autres seigneurs ayant seigneuries en lad'ville de Montdidier, qui estoient en grand nombre, toutes les justices et seigneuries, cens et rentes, apartenans à iceux seigneurs en lad'ville et banlieue moiennant plusieurs grandes sommes de deniers que lors lesd' de Montdidier promirent paier aus dits seigneurs. Par special prinrent à ferme et rente perpétuelle des predecesseur rois de France et dudit seigneur de la Tournelle tous les cens, rentes, justices, seignories, travers, paiages, tonnelieux, molins, fours, et autres droits quelconques à iceux seigneurs apartenans en lad'ville et banlieue de Montdidier, lors en grande valeur, pour de ce jouïr en tous profits, revenus et émoluments, sauf la souverainete au Roy

Que moiennant lad'prinse faite au Roy de ce qu'il luy apartenoit lesd de Montdidier promirent paier chacun an a toujours 600livre parisis avec 9livre parisis pour les portes de la ville.

Et aud'seigr de la Tournelle pour la prinse de ce qui luy apartenoit promirent paier XIXX XVIIlivre XIIdenier parisis, toutes lesquelles sommes montent par an à la somme de 846livre 12sol parisis.

Que depuis lesd'prinses ainsi faites il a pleu aux prédecesseurs rois de France donner, aumosner, et transporter aux escoliers des collèges des Dormans et de Cambray fondés à Paris, au sieur de Chepoix et autres qui s'en dient possesseurs tellement qu'il n'en demeura au Roy que 37livre compris les d. 9livre pour lesd'portes. Pareillement led. sr. de la Tournelle transporta et donna sad'rente à la Magdalaine dudit Montdidier, aux escoliers de Dormans et de Cambray si comme ils dient.

Que a cause desd'. prinses lesd' de Montdidier et leurs devanchiers ont toujours tenu et possesse lesd'seignories aussi transportées, entretenu icelles et lad'villes et portes et paié entièrement ladite somme de 840livre 12denier parisis jusques au commencement des guerres.

Jacoit que les Anglois quand ils descendirent en ce roiaume eussent ars et desmolis les fauxbourgs et molins de lad'ville, et a cette cause les rentes et revenus d'icelle ville vinrent en grande diminution : mesme à cause desd'guerres dans la dicte ville et faubourgs d'icelle il n'y a point trois cent maisons, et paravant il y en avoit plus de deux mille.

Jacoit que les revenus de la ville, qui a cause desd'prinses doivent estre au moins de 846livre parisis ne montent point a present a tout prendre a 300livre. Neanmoins ont lesd' de Montdidier tousjours paié a leurs creantiers partie desd'rentes et fait sur eux et leur commune de grans frais et tailles et despens pour repairer et garder lad'ville contre les Anglois ; et si depuis les guerres les creantiers n'eussent quitté et quittoient la moitié des rentes à eux deues, il eust convenu et conviendroit à un chacun quitter la ville, et la laisser inhabitée.

Mesmes lesd' créanchiers ne seauroient faire si grande grace ausd. De Montdidier de moitié ou de plus qu'il ne convienne ausd. de Montdidier en faire taille et assiette sur eux, pourceque les revenus de la ville sont diminués plus qu'a moitié à l'occasion des guerres qui ne sont pas venues par leur coulpe ny faute.

Consideré cette grande diminution, et que lesd’ de Montdidier ne sont pas cause d'icelle, et mesme que tous les creanchiers de lad'ville ou la plus part quittent chacun an la moitié ou plus, lesd. de Beauvais doivent faire le mesme.

Soit en plaidant la cause, ce remonstré à la cour mesme qu'il soit en la faculté desd'. de Montdidier de renonchier ausd. prinses, par ce moien que les créanchiers se paiassent a concurrence des rentes et revenus.

Les héritages sur lesquels lesd'cens rentes et revenus se doivent prenre ont été ars et démolis par les guerres, la ville et fauxbourgs sont desnués d'habitans, n'y a point à présent IIIc  mesnages, à cette cause ny peut avoir largement des exploits de justice, ce qui souloit valoir de grans deniers au temps que la ville estoit fort peuplée et desquels avec les cens et rentes se paioient les charges et debtes de la ville.

Soit surtout advisé par le conseil de la ville de Montdidier afin d'avoir regard aux diminutions, et qu'au moien d'icelles lesd de Montdidier aient pareillement diminution de leurs debtes. »

La ville était réduite de plus des trois quarts : de deux mille, le nombre des maisons était descendu à trois cents ; une longue suite de guerres avait occasionné cette diminution effrayante. La misère des habitants était extrème : notre malheureuse patrie ne devait pas, hélas, s'arrêter sur la pente déplorable où elle était entraînée, et elle marchait rapidement vers sa décadence.

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