Histoire de Montdidier

Livre I - Chapitre V - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Guerre en Picardie

Rencontre près de Pierrepont

Prise de Montdidier par les Anglais

Le duc de Bedford cède la ville au duc de Bourgogne

Passage de Philippe le Bon

 

Vers la fin de 1421, Jean de Luxembourg réunit ses troupes à Encre (Albert), et, après les avoir passées en revue, se dirigea vers le Vimeu. Le seigneur de Gamaches, en quartier à Compiègne, profita de son éloignement pour enlever d'assaut le château de Mortemer, appartenant à Conrad, bâtard de Brimeu, alors à l'armée de Jean de Luxembourg. Ce succès enhardit les Dauphinois ; ils s'assemblèrent à Compiègne au commencement de 1422, au nombre d'environ huit cents à mille combattants, sous les ordres des seigneurs de Gamaches, de Pothon de Xaintrailles et autres capitaines, et résolurent d'aller au secours d'Airaines, qu'assiégeait Jean de Luxembourg. Ils s'avancèrent jusqu'à Pierrepont, dont Raoul d'Ailly, vidame d'Amiens, était seigneur.

Jean de Luxembourg envoya à leur rencontre quelques-uns de ses capitaines ; mais les Dauphinois n'attendirent pas leur approche : dès qu'ils apprirent que leurs adversaires étaient à Moreuil, ils montèrent à cheval et battirent en retraite. Les Bourguignons les talonnèrent de près. Les Dauphinois passèrent à la portée du canon de Montdidier, qui tira sur eux et leur fit éprouver des pertes sensibles ; ils vinrent ensuite se ranger en bataille derrière la ville, toujours suivis par les Bourguignons. Il y eut quelques escarmouches dans lesquelles plusieurs combattants restèrent sur la place ; puis les Français se retirèrent à Compiègne. Monstrelet entre, comme à son ordinaire, dans des détails curieux sur la prise de Pierrepont, dont il parle en homme qui connaît la localité, et sur l'engagement qui eut lieu aux portes de Montdidier. Nous ne pouvons mieux faire que de rapporter ses paroles ; le lecteur nous pardonnera volontiers de multiplier ces citations :

« Et nonobstant, » dit-il, « qu'icelle ville (Pierrepont) fut fortifiée de hayes et fossez plain d'eau : toutes fois entrerent ils dedans, et si logerent tous ensemble, et après livrerent un assault à la forteresse dudit lieu : mais elle fut bien deffendue par ceux qui l'avoient en garde ; et entre temps qu'ils estoient logez en la dicte ville de Pierrepont, furent les nouvelles portées de leur assemblée à messire Jean de Luxembourg, qui estoit à son siége devant Airraines : lequel premier print conseil avec les nobles de son armée, et feit partir aucuns de ses capitaines avecques mille combattans, pour aller audevant desdits Daulphinois : desquels de la partie du dit de Luxembourg furent les principaux messire Hue de Launoy, maistre des arbalestriers de France, messire Raoul le Bouteillier anglois, le Borgne de Fosseux chevalier, le seigneur de Saveuses et plusieurs autres expers hommes d'armes, lesquels allerent gesir à Conty, et le lendemain très matin chevaucherent à Moreul : auquel lieu ouyrent certaines nouvelles que les Daulphinois leurs ennemis estoient encores en la ville de Pierrepont ; pourquoy chevauchans en moult belle ordonnance se hastèrent pour les trouver, mais les dessus dits Daulphinois qui ja estoient advertis de la venue de leurs ennemis, monterent à cheval : et tous ensemble après qu'ils eurent bouté les feux en leur logis, s'allèrent mettre en bataille dessus la ville vers Montdidier : et adoncques les Bourgongnons et Anglois au plustot qu'ils peurent passerent la ville pour suivir leurs ennemis, nonobstant la chaleur du feu qui moult les empescha : et comme les autres se meirent en bataille contre les Daulphinois, et furent en ceste mesme place fais plusieurs nouveaux chevaliers de la partie de Bourgongne : c'est à scavoir le Begue de Launoy, Anthoine de Reubempré, Jacques de Brimeu, Robert Fretel, Gille de Hardecourt, Mathieu de Landas, Philippe du Bos, Jean de Beauvoir, Waleran de Fieses, Tramet de la Tramerie et plusieurs autres. Et autre temps y eut entre les deux partis plusieurs escarmouches et hommes d'armes d'un costé et d'autre portez à terre et les aucuns terriblement navrez et occis : toutes fois durant les choses dessus dictes les Bourgongnons et Anglois estant à pied, se départirent. Les Daulphinois tout à cheval en bonne ordonnance mettant derrière eux de leurs meilleurs gens par manière d'arrière garde, et prindrent leur chemin vers Compiengne. Et adonques lesdits Bourgongnons et Anglois voyans leur partement envoyerent après eux le seigneur de Saveuses à tout certain nombre de gens d'armes pour les poursuivir et faire arrester, et les autres capitaines, tous en bataille, les suivoient vigoureusement : nonobstant ce, s'en allerent les dits Daulphinois attains de paour et eschevèrent la bataille sans grande perte, sinon de sept à huict de leurs gens ou environ, qui de première venue furent mis à mort : entre lesquels en fut un vaillant homme d'armes nommé Brunet de Gamaches, et retournèrent à Compiengne. Et de la partie de la Bourgongne y fut mort un viel homme d'Auxoirre nommé le Breton d'Ailly qui en très longtemps par avant ne s'estoit entrémis de guerre, et avec luy aucuns autres en petit nombre : après lesquelles besongnes retournèrent les dessus dits Bourgongnons et Anglois loger à Moreul et autres villages, et de là au siége d'Airraines devers messire Jean de Luxembourg. »

Il n'est peut-être pas une seule localité des environs de Montdidier qui n'ait été, au quinzième siècle, le théâtre d'engagements entre les Français et les Bourguignons ; c'est l'époque la plus fertile en événements historiques. La lecture de Monstrelet présente un vif intérêt pour un Picard ; ses chroniques, bien que jouissant de moins de réputation que celles de Froissart et de Commines, n'en contiennent pas moins des documents fort instructifs pour l'histoire. Il est très-probable que Monstrelet était originaire de notre province, et cette opinion se fortifie chaque jour davantage. La forteresse de Pierrepont, dont il parle, est démolie depuis des siècles : elle était située au confluent de l'Avre et des Trois-Dom.

La prise de Meaux, dont le roi d'Angleterre s'empara au mois de juin 1422, jeta la consternation dans le parti du Dauphin. La plupart des places environnantes restées fidèles à ce dernier, Gournay-sur-Aronde, Mortemer, Cressonsacq, Démuin, se rendirent aux Anglais, qui les firent démolir : depuis Paris jusqu'à Boulogne, presque tout le pays reconnaissait l'autorité du roi d'Angleterre.

Les excès des Bourguignons, qui ne respectaient pas plus les terres des Picards leurs alliés que celles de leurs ennemis, mais surtout l'abus despotique que Jean de Luxembourg faisait de son autorité, irritèrent les seigneurs du Vermandois, et plusieurs d'entre eux résolurent de secouer le joug. Au mois de juillet 1423, Jean de Mailly, Pierre de Recomp, Jean Blondel, les seigneurs de Saint-Simon, de Maucourt, de Longueval et quelques autres, s'assemblèrent à Roye, pour aviser aux moyens d'arrêter le brigandage des gens de guerre et de s'affranchir de la dépendance de Jean de Luxembourg. A cet effet, ils résolurent d'embrasser le parti du roi, et de lui livrer les places dont ils pouvaient disposer ; malheureusement, le secret ayant été découvert, plusieurs furent arrêtés et décapités : le sire de Maucourt eut la tête tranchée à Amiens ; Pierre de Recomp, conduit à Paris, y fut écartelé les biens des seigneurs qui avaient pris part au complot furent saisis et confisqués.

Dans ces temps de perturbation générale, on n'avait pas moins à craindre de ses amis que de ses ennemis : bien que les Bourguignons et les Anglais s'entendissent pour ruiner la France, ils ne s'épargnaient pas cependant entre eux, lorsque l'occasion s'en présentait. Les châteaux autour de Montdidier étaient occupés par les Anglais, qui faisaient des incursions jusqu'aux portes de la ville. Instruits des dangers qu'elle courait, les Amiénois envoyèrent trente arbalétriers au secours de la place ; mais ce renfort n'empêcha pas les Anglais de s'en emparer (1422). Le 9 septembre 1423, le roi d'Angleterre l'abandonna au duc de Bourgogne, avec Péronne et Roye, en échange d'une somme de 20,000 liv. qu'il lui avait promise. (Pièce just. 31.) Au mois de janvier suivant, le duc de Bedfort, qui prenait le titre de régent du royaume de France, vint à Montdidier ; il y resta cinq ou six jours, et y fit choix des capitaines anglais et bourguignons qui, sous les ordres du sire de Saveuse, devaient faire le siége de Compiègne.

Le duc de Bedfort se rendit à Amiens au mois d'avril de la même année, et, dans une entrevue qu'il eut avec le duc de Bourgogne, il lui demanda sa sœur en mariage, et en dot Péronne, Montdidier et Roye. Le mariage fut conclu à ces conditions. Les trois villes devaient être cédées cinq mois après. De son côté, le duc de Bourgogne stipula que, dans le cas où les châtellenies de Péronne, Roye et Montdidier viendraient à être réunies au domaine du roi d'Angleterre, on lui donnerait en compensation Amiens, Abbeville, Montreuil, Doullens et Beauquesne. Mais l'affaire était trop sérieuse pour recevoir une solution immédiate ; il fut répondu au duc qu'on en parlerait au grand conseil du roi. Une pareille demande justifie assez l'importance du nouveau gouvernement confié à la garde de Baudouin de Noyelles. II fallait que Philippe le Bon attachât un grand prix à la possession des trois villes pour ne vouloir les échanger que contre des cités aussi populeuses qu'Abbeville et Amiens. Le mariage du duc de Bedfort avec la sœur de Philippe le Bon eut lieu, mais la condition de la cession deMontdidier, comme dot de sa femme, ne fut pas accomplie, et le duc de Bourgogne conserva la possession de cette ville.

Vers la fin du mois de septembre 1429, Philippe, qui se rendait à Paris, passa à Montdidier avec la duchesse de Bedfort, sa sœur. Le duc chevauchait en grande pompe, armé de toutes pièces, et suivi de ses pages ; sa sœur était à côté de lui, montée sur un bon cheval trotier, accompagnée de ses dames d'honneur. L'escorte était digne du plus puissant seigneur de ce siècle : elle se composait de trois ou quatre mille combattants. A son retour de Paris, le duc traversa de nouveau Montdidier pour aller en Flandre.

Les affaires de Charles VII, qui semblaient complétement perdues, commencèrent à se rétablir ; la présence de Jeanne d'Arc et la levée du siége d'Orléans relevèrent le courage de ses partisans. Les Français s'emparèrent de différentes places ; Compiègne, Creil, Pont Sainte-Maxence, Gournay-sur-Aronde, se rendirent à eux. Le duc de Bourgogne, craignant que la reddition de ces forteresses n'entraînât celle de beaucoup d'autres, réunit ses troupes à Péronne. Il célébra dans cette ville, avec son épouse, la fête de Pâques (16 avril 1430) ; puis, avec la duchesse et tous ses gens d'armes, qui étaient en grand nombre, il vint à Montdidier, où il demeura plusieurs jours. Il en partit dans le mois d'avril, pour aller mettre le siége devant Gournay, où commandait Tristan de Maignelers. Celui-ci, voyant la force des Bourguignons, et n'espérant pas être secouru, capitula et remit la place le 1er août suivant, comme il en était convenu.

Philippe se dirigea vers Noyon, laissant dans le pays Jean de Luxembourg, avec mission de combattre les Anglais. Ces derniers avaient reconstruit le château de Provinlieu, près Froissy, et causaient de grands dommages aux habitants de Montdidier. Jean de Luxembourg marcha contre eux, les assiégea, les força à se rendre, et, après avoir fait exécuter quelques-uns de ceux qui se trouvaient dans la place, il alla rejoindre le duc de Bourgogne à Noyon ; de là il se rendit au siége de Compiègne, dont il prit la direction. Baudouin de Noyelles, notre gouverneur général, lui prêta le concours le plus actif ; il était logé avec ses gens à Margny-en-Chaussée : le quartier qu'il occupait fut le plus exposé aux attaques des Français. L'infortunée Jeanne d'Arc y fut faite prisonnière dans une sortie qu'elle dirigeait. Baudouin de Noyelles commandait une bastille qu'il avait élevée à la tète du pont. C'est là qu'eurent lieu les plus rudes passes d'armes. Plusieurs seigneurs des environs de notre ville, tenant le parti des Bourguignons, entre autres Guy de Roie et Aubellet de Folleville, se firent remarquer par leur bravoure. La résistance héroïque du seigneur de Flavy, gouverneur de Compiègne, triompha de tous les efforts des Bourguignons ; les secours que les Français, sous les ordres du maréchal de Boussach et de Pothon de Xaintrailles, parvinrent à introduire dans la place, forcèrent les assiégeants à la retraite.

Comme il arrivait toujours à cette époque, à peine les Anglais et les Bourguignons eurent-ils levé le siége de Compiègne que le pays d'alentour qui tenait pour eux, se rendit à leurs adversaires : Ressons, Gournay, Pont-Sainte-Maxence, Breteuil, Guerbigny, la Boissière, se soumirent au roi. Les Français trouvèrent des provisions abondantes dans ces forteresses, et y mirent des garnisons qui dévastaient le pays. Montdidier, tout dévoué aux Bourguignons, eut beaucoup à souffrir.

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