Histoire de Montdidier
Livre IV - Chapitre II - Section LI
par Victor de Beauvillé
Le nom de MONTDIDIER ayant été porté par plusieurs personnages des douzième et treizième siècles, il est de notre devoir de les mentionner dans cette : Montdidier était-il leur nom de famille, ou le prenaient-ils simplement pour indiquer le lieu de leur naissance ? C'est ce que nous ne saurions décider. La dernière opinion paraît la plus vraisemblable. Du Cange cependant est de l'avis contraire. Il est probable, dit-il dans son Histoire des comtes d'Amiens, page 195, que la famille qui a porté le surnom de Montdidier et dont il est fait mention dans le Nécrologe et dans le Cartulaire du chapitre de Notre-Dame d'Amiens, est issue de la famille des comtes de cette place, ou plus probablement de ses châtelains. Ce n'est guère présumable. Les comtes de Montdidier, par eux-mêmes et par leurs alliances, tenaient aux plus illustres familles de France, et finirent par se confondre dans la maison royale. Le rôle qu'ils ont joué est considérable, tandis que les individus dont nous allons parler sont peu connus. Nous suivrons l'ordre chronologique.
1105. Enguerrand de MONTDIDIER vivait en 1105 ; il concourut à l'établissement de l'abbaye de Saint-Fuscien, près Amiens, et fit don de la colline sur laquelle s'éleva le couvent.
1105. Aymond de MONTDIDIER donna à l'abbaye de Saint-Fuscien trois métairies qui lui appartenaient au delà du pont de Boves.
1115. Hélinand de MONTDIDIER, chevalier. Dans le synode tenu à Montdidier en 1115 par Geoffroy, évêque d'Amiens, il fait remise à l'abbaye Saint-Corneille, de Compiègne, des dîmes de Mesviller et de Provastre, qu'il détenait injustement depuis longtemps. (Pièçe just. 3.) Une charte de l'abbaye de Froidmont parle de Jean et de Hugues Hélinand, bourgeois de Montdidier. (Pièce just. 13.)
1130. Foulques de MONTDIDIER était abbé de Saint-Firmin-au-Val en 1130. Gérard, vicomte de Picquigny, lui fit don en 1136 de quelques terres sur les bords de la Selle ; il y fonda une église sous le patronage de saint Jean, et s'y établit avec plusieurs religieux ; cette église devint une abbaye de l'ordre de Prémontré, connue sous le nom de Saint-Jean-lès-Amiens ; elle fut détruite lors de la prise de cette ville par les Espagnols, sous le règne de Henri IV. Foulques fut le second abbé de ce couvent ; pendant vingt-six ans il édifia ses frères par ses vertus et son humilité ; il mourut le 4 janvier 1147.
1167. Simon de MONTDIDIER, chanoine d'Amiens, signe un acte établissant un droit de quayage dans la ville d'Amiens, au profit du chapitre de la cathédrale ; en 1182 il souscrit à la donation que Bernard de Bertangles fait de sa terre de Noyelette, mouvante de Moreuil, au chapitre d'Amiens ; son nom se trouve encore au bas d'une charte donnée en 1192 par Thibaut, évêque de cette ville, pour la dîme de Revelles. La probité et les lumières de Simon de Montdidier le rendirent un des hommes les plus distingués du règne de saint Louis ; il mourut le 18 avril 1240 ; son père s'appelait Jean, et sa mère Aileburge.
1170. Jean de MONTDIDIER, témoin à une transaction passée entre l'évêque de Beauvais et le prévôt de Saint-Just.
« 1170. Adam de MONTDIDIER,
surnommé Rabies ou la Rage, souscrit une lettre de Baudouin, comte de Flandre et
de Vermandois, dans un Cartulaire de l'abbaye de Corbie. Le Cartulaire renferme
un autre titre contenant un accord entre l'abbé Jean et le même Adam, qui y est
qualifié : Senior de Mondisderio cognomento Rabies et
frère de Wautier la Rage, au sujet de la terre de Franvillers. Il y en a un
autre encore d'Adam
Junior de Mondisderio cognomento Rabies, fils du même
Gautier ou Wautier. »
Nous empruntons cet article à du Cange (Histoire des comtes d'Amiens, page 195) ; il nécessite quelques réflexions. Du Cange parle d'un Baudouin, comte de Flandre et de Vermandois ; jamais il n'y eut de comte de Vermandois de ce nom ; on peut s'en convaincre en lisant leur suite chronologique dans l'Art de vérifier les dates, t. II, p. 700. A l'époque où intervint l'acte rapporté par du Cange, c'est-à-dire en 1170 environ, le comté de Vermandois était possédé par Philippe d'Alsace, mari d'Élisabeth de Vermandois ; l'erreur de du Cange est manifeste. La preuve que cet acte fut passé en 1170 environ résulte du nom des témoins qui y participèrent ; ce sont Raoul, doyen d'Amiens ; Odon, abbé de Saint-Martin-aux-Jumeaux ; Gaultier, abbé de Saint-Acheul ; Gérold, abbé de Saint-Martin-au-Bois ; Pierre de la Tournelle, Rogue son fils et Nevelon son frère ; tous ces personnages vivaient en 1170. Odon fut abbé de Saint-Martin-aux-Jumeaux de 1167 à 1187. C'est donc postérieurement à la première de ces deux dates que l'affaire en question fut conclue. L'abbé de Corbie, l'une des parties contractantes, désigné simplement sous le nom de Jean (Cart. noir de Corbie, liv. IX, fol. 136) s'appelait Jean de Buzencourt, et administra le couvent de 1158 à 1172. D'où il suit nécessairement que la passation de l'acte doit se placer entre les deux dates, 1167 et 1172 ; aussi est-ce avec raison que nous la fixons à 1170, et que nous indiquons cette date intermédiaire comme étant l'époque à laquelle vivait Adam de Montdidier.
1183. Milon de MONTDIDIER est un des témoins choisis pour confirmer l'accord passé en 1183 entre Philippe de Flandre, comte de Vermandois, et le maïeur et les habitants de Puceuses, village près Ravenel, relativement à la contestation qui s'était élevée entre eux et le comte au sujet de leur église. (Pièce just. 7.)
1183. Raoul de MONTDIDIER, prévôt du comte de Vermandois, fut aussi un des témoins qui assistèrent à l'accord précité ; il est le plus ancien prévôt dont le nom soit parvenu jusqu'à noms.
1184. Hugues de MONTDIDIER, chanoine de la cathédrale d'Amiens, décédé le 7 novembre 1184.
1186. Guy de MONTDIDIER. Son nom figure dans un acte passé entre la commune d'Amiens et le prévôt royal, concernant l'abbaye de Saint-Jean-lès-Amiens.
.... Odon de MONTDIDIER, témoin dans une charte souscrite du vivant de Barthélemy, évêque de Beauvais (douzième siècle).
1200. Bérard de MONTDIDIER, un des principaux personnages de la chanson de Guiteclin de Saissongne, l'un des romans des douze pairs de France, composée vers l'an 1200 par Jean Bodel, d'Arras.
1216. Guiard de MONTDIDIER.
1248. « Raoul de MONTDIDIER se fit connaître dans le treizième siècle pour un savant consommé dans l'Écriture sainte et la théologie. Le cardinal Odon, évêque deTusculum, ayant assemblé en France les plus habiles théologiens, à l'occasion du jugement qu'il devait porter sur le Talmud des Juifs, Raoul s'y rendit avec Garin, archidiacre de l'église de Beauvais, et, au mois de mai de l'an 1248, ils signèrent l'un et l'autre la condamnation de ce livre. (Daire). »
1253. Guillaume de MONTDIDIER, dit Pesiaux, chanoine de Roye, fait don, au mois de juillet de cette année, de sa dîme de Fignières et d'Andechy aux religieux de Saint-Leu d'Esserent, à la charge de lui payer, par an, quatre muids de blé et deux muids d'avoine, mesure du château de Montdidier, rendus dans sa grange à Montdidier.
1276. Pierre de MONTDIDIER.
1300. Pierre de MONTDIDIER, chanoine et diacre de la cathédrale d'Amiens, mort le 7 février 1300 ; Raoul, son père, mourut le 3 août 1318.
1305. Pierre de MONTDIDIER. Il fut élu, cette année, abbé de Saint-Martin-au-Bois.
1318. Jacques de MONTDIDIER, moine de Corbie, témoin dans une transaction intervenue le 14 septembre de cette année entre son couvent et l'abbaye de Saint-Quentin de Beauvais, au sujet de la ferme de la Morlière, près Montdidier.
1321. Robert de MONTDIDIER, sergent à pied.
1326. Robin de MONTDIDIER était clerc à Paris ; il reçut de la chambre des comptes 68 sols 6 deniers parisis pour ses écritures.
1348. Jacques de MONTDIDIER, maire de bannière des waidiers d'Amiens.
1360. Matthieu de MONTDIDIER, fondateur de la chapelle de Notre-Dame de Boulogne, située dans le fond d'Amiens, près Montdidier.
1371. Aubry de MONTDIDIER est assurément le plus connu de tous les personnages qui ont porté le nom de notre ville ; il doit sa réputation moins à l'éclat de sa vie qu'au merveilleux instinct de son chien. Aubry était un des favoris de Charles V ; jaloux de l'affection que lui portait le roi, un chevalier nommé Macaire l'assassina dans la forêt de Bondy. Le chien qui accompagnait Aubry resta plusieurs jours sur le lieu où le crime avait été commis ; cette persistance ayant attiré l'attention, on creusa la terre et on découvrit le cadavre de son maître. Chaque fois que ce chien rencontrait Macaire, il se jetait sur lui et voulait le mettre en pièces. Cette circonstance, jointe à la rivalité que l'on savait avoir existé entre Aubry et Macaire, excita les soupçons, et fit penser que ce dernier pouvait être l'assassin. Le combat singulier étant alors en usage pour décider de la culpabilité des criminels, on ordonna que Macaire et le chien d'Aubry combattraient en champ clos. L'île Notre-Dame, aujourd'hui l'île Saint-Louis, fut désignée pour le théâtre du combat : le roi et sa cour y assistèrent ; Macaire était armé d'un bâton et d'un petit bouclier rond ; le chien avait un tonneau où il pouvait se réfugier au besoin. On le lâcha, et aussitôt il s'élança contre son adversaire, tourna autour de lui, et, évitant adroitement ses coups, lui sauta à la gorge et le terrassa : on dégagea Macaire, qui fit l'aveu de son crime, et fut envoyé au supplice.
Plusieurs auteurs ont rapporté cette histoire avec plus de détails que nous ne le faisons. Le premier qui en ait parlé est Olivier de la Marche, qui écrivait à la fin du quinzième siècle ; voici ce qu'il dit :
« Le chevalier Macaire avoit tué Aubry de Montdidier dans le bois de Bondis, près Paris, jaloux de le voir plus avant que luy dans les bonnes graces du roy ; il n'y avoit autre tesmoin de ce meurtre que le levrier du deffunt, lequel ayant esté trouvé avec le corps s'en alla rendre aux pieds du roy, comme pour luy demander justice. Il n'apperceust pas plustot Macaire qu'il commença à abboier et se lancer sur luy. Il donna les premiers indices que Macaire avoit commis le meurtre. Le roy, qui s'en voulut esclaircir, fit apporter du pain qu'il fit présenter au chien par Macaire ; mais, au lieu de prendre le pain, il veut empoigner Macaire et mordre sa main ; le mesme pain remis ès mains de quelques autres gentilshommes, là présents, le chien le prit et le mangea. Ce fut un soupçon et une présomption violente, que autre que Macaire n'avoit commis le meurtre, joint que le mesme jour on avoit veu Macaire avec Aubry hors la ville ; de sorte que le roy tint le fait pour avéré, et d'autant plus que le chien se tournoit tantost de son costé se jouant de sa queue, tantost abboioit contre Macaire, qui estoit étonné d'une telle accusation. Enfin le roy lui dit qu'il debvoit se purger par le combat ; il demanda où estoit l'accusateur : on luy monstra le chien, et, par ordonnance de Sa Majesté, il fut contraint de se battre armé d'un gros baston et d'un petit bouclier ; le chien n'avoit que ses armes naturelles, et on luy donna un tonneau-défoncé pour faire ses relancements. L'isle de Notre-Dame de Paris fut le champ de bataille ; le levrier se prépare : attaque son ennemi, le tourmente, le presse et le morfond en telle sorte, que l'ayant pris au gosier et jetté par terre, le serrant asprement, le misérable avoue le crime et confesse le tout, esperant de trouver pardon, là où la justice du ciel et de la terre le condamnoit au supplice où il fut envoyé sur-le-champ. » Olivier de la Marche, ayant été investi du commandement de Montdidier en 1472 par le duc de Bourgogne, a pu vérifier dans notre ville même l'exactitude de cette tradition.
Ce fait, tout extraordinaire qu'il paraisse, ne saurait être révoqué en doute, car il est rapporté comme véritable par un grand nombre d'auteurs, entre autres par Scaliger, écrivain fort peu crédule. Le P. Montfaucon fait cependant remarquer avec justesse qu'il est surprenant qu'aucun historien du temps ne mentionne un combat aussi étrange. C'est seulement un siècle après qu'Olivier de la Marche en parle pour la première fois. Comment nos anciens chroniqueurs, si avides du merveilleux, n'en disent-ils pas un mot ? Olivier de la Marche n'ajoute pas que le duel ait eu lieu sous Charles V ; c'est Guillaume Ribier, auteur du dix-septième siècle, qui place cet événement sous le règne de ce prince. Un tableau représentant le combat existait au-dessus d'une cheminée du château de Montargis ; mais il était tellement enfumé que, dans le dernier siècle, on n'y reconnaissait plus rien. Le dessin que Montfaucon a publié en 1731, dans le tome III, page 70 des Monuments de la monarchie française, a été gravé d'après une estampe qui avait été faite deux cents ans auparavant sur le tableau original ; ce dessin reproduit les différentes parties de l'épisode dont nous venons de parler.
Le drame dont le chien d'Aubry de Montdidier fut le principal acteur a excité la verve d'un de nos plus féconds dramaturges. Le 18 juin 1814, M. Guilbert de Pixérécourt fit jouer, sur le théâtre de la Gaîté, une pièce intitulée : Le Chien de Montargis, ou la Forêt de Bondy, mélodrame historique en trois actes et à grand spectacle. Cette pièce eut un succès prodigieux et fit courir tout Paris ; quarante ans après on la représentait encore sur les théâtres des boulevards. M. de Pixérécourt a donné au chien d'Aubry de Montdidier, qu'il met en scène pour le plus grand plaisir du public du parterre et de l'amphithéâtre, le nom de Dragon.
Ce mélodrame eut les honneurs de la traduction ; je l'ai vu représenter à Berlin, où il était très-suivi. Le traducteur allemand s'était strictement conformé à l'histoire, et c'est sous ce titre : Le Chien d'Aubry de Montdidier, ou la Forêt de Bondy, que la pièce de Pixérécourt fit son apparition sur les théâtres de la capitale de la Prusse.
1442. « Étienne de MONTDIDIER, conseiller au parlement de Paris, fut commis le 16 novembre 1442, avec Arnaud de Marle, maître des requêtes, Jean de Monloué et Thibaut de Vitry, aussi conseillers, pour voir, recueillir, et rédiger par écrit les ordonnances et les choses qui leur paroîtroient bonnes et nécessaires pour le bien et l'honneur du roi. (Daire.) »
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