Histoire de Montdidier

Livre III - Chapitre V - § VI

par Victor de Beauvillé

§ VI

TRIBUNAL DE COMMERCE.

La juridiction consulaire doit son origine à Charles IX, ou plutôt à son illustre ministre, le chancelier de l'Hospital. Ce grand magistrat, désirant abréger les procès qu'occasionnent souvent les opérations commerciales, fit rendre par le roi, au mois de novembre 1565, un édit qui permettait aux principaux marchands de Paris de se réunir, et de choisir parmi eux cinq membres, dont la mission consisterait à juger les différends auxquels le négoce pouvait donner lieu.

La nouvelle institution excita la jalousie de la magistrature. Aussi, lors de la convocation des états généraux en 1588, les députés du tiers état, qui appartenaient en grand nombre à l'ordre judiciaire, avaient-ils pour mandat de réclamer la suppression de la justice des consuls ; mais le gouvernement ne se laissa pas ébranler et rejeta cette demande. La loi du 24 août 1790 maintint cette juridiction exceptionnelle, et lui donna la dénomination de tribunal de commerce, qu'elle a toujours conservée depuis.

Le tribunal de commerce de Montdidier avait été créé par un décret de l'Assemblée nationale du 6 janvier 1791, rendu sur le rapport de M. Goffin ; son installation eut lieu le 12, décembre de la même année. Ce tribunal devait son existence moins aux besoins du commerce qu'aux efforts de quelques habitants, qui crurent travailler à la prospérité de la ville en augmentant le nombre de ses établissements publics ; mais on ne tarda pas à s'apercevoir que cette magistrature consulaire et élective ne pouvait fonctionner convenablement à Montdidier.

L'insuffisance du nombre des commerçants s'opposait à ce que l'on pût faire un bon choix ; les assemblées de notables ne parvenaient jamais à se compléter. Comme il fallait forcément avoir recours aux patentables de la ville, c'étaient moins des négociants que de petits détaillants, sans expérience des affaires, et dans une condition subalterne, qui devenaient les arbitres de la fortune de leurs concitoyens. Aussi appréhendait-on la justice de ce tribunal, où les frais s'élevaient fréquemment à des sommes considérables : les juges étaient obligés, par ignorance, de se traîner à la remorque des huissiers.

Les procureurs généraux près la cour d'appel d'Amiens signalèrent plusieurs fois cette situation fâcheuse. Sous l'Empire, M. de la Mardelle avait demandé que l'on supprimât le tribunal de commerce ; dans un rapport au ministre de la justice, il s'exprimait très-énergiquement à ce sujet : « Les affaires, » disait-il, « sont confiées à de petits clercs d'huissier fort ignorants..... Il n'y a dans l'arrondissement de Montdidier ni commerce ni commerçants, ou plutôt pas assez pour nécessiter l'existence d'un tribunal de commerce. Dans une dernière assemblée, il ne s'est trouvé que vingt-cinq négociants, la plupart très-petits marchands..... Les juges ne sont pas en état de rédiger un jugement. »

Ces dures vérités étaient méritées : le tribunal de commerce était devenu un véritable tripot où les juges occupaient et quittaient alternativement le siége pour juger réciproquement leurs causes ; une usure monstrueuse dévorait le pays, et l'on compta, parmi les membres de ce tribunal, des hommes flétris dans l'opinion publique pour ce délit. Les choses ne s'améliorant pas, il fallut y porter remède : dans l'intérêt des justiciables, et aussi pour sauvegarder l'honneur de la justice, on fut obligé de mettre un terme à cette juridiction ; une ordonnance royale du 13 août 1823 prononça sa suppression, et réunit ses attributions à celles du tribunal de première instance. Le tribunal de commerce siégeait dans l'ancien local de l'élection, occupé à présent par le parquet du procureur impérial.

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