Histoire de Montdidier

Livre III - Chapitre IV - § III

par Victor de Beauvillé

§ III

URSULINES.

Ursulines.

Le couvent des Ursulines fut fondé presque en même temps que celui des Capucins, et devait son origine à une de nos compatriotes, Marie de la Morlière, religieuse ursuline d'Amiens. Cette pieuse fille, secondée par quelques personnes de Montdidier, conçut le dessein de doter son pays d'une maison de son ordre ; elle s'adressa, à cet effet, à François de Caumartin, évêque d'Amiens, qui lui accorda, le 9 août 1623, la permission qu'elle désirait.

Les maïeur et échevins manifestèrent quelque opposition, et ne donnèrent leur consentement qu'après s'être assurés que les religieuses possédaient des ressources suffisantes pour n'être point à charge aux habitants ; ils fixèrent leur nombre à vingt, y compris les converses, et leur interdirent de quêter ou de faire quêter dans la ville ; les Sœurs devaient recevoir dans leur couvent les personnes de Montdidier qui voudraient y prendre le voile, de préférence à toutes autres, et moyennant la somme de 2,400 livres. Le 23 octobre 1623, les Ursulines souscrivirent à ces conditions, et, le 31 du même mois, quelques dames arrivèrent d'Amiens pour former le noyau de la communauté. Elles s'installèrent d'abord dans une maison de la rue de la Halle-aux-Draps, tenant à la petite impasse où est un puits public. Au mois de mars 1625, Louis XIII octroya des lettres patentes confirmatives de l'établissement des Ursulines ; ces lettres furent enregistrées au parlement le 18 juillet suivant : le P. Daire les a fait imprimer dans son Histoire de Mondidier.

Les Ursulines restèrent dans l'intérieur de la ville jusqu'en 1630 ; se trouvant alors trop à l'étroit, elles achetèrent un terrain en face de l'hôpital, et se mirent à faire bâtir : ce ne fut qu'en 1634 qu'elles purent occuper leur nouvelle maison. A peine y étaient-elles entrées que la guerre éclata ; les Sœurs furent obligées (1636) d'évacuer le couvent et de se réfugier à Beauvais. De retour à Montdidier, leur pauvreté était extrême ; les constructions qu'elles avaient fait élever, et qui étaient hors de proportion avec leurs ressources, les avaient ruinées ; aussi pendant plus de vingt ans ne vécurent-elles que de privations et d'aumônes. Anne d'Autriche leur fournit, pendant tout ce temps, le pain nécessaire à leur subsistance : elle logea dans le couvent lors de son passage à Montdidier en 1646. Pendant la deuxième invasion des Espagnols (1653), les Ursulines se virent forcées de fuir une seconde fois ; les bâtiments furent livrés au pillage, et faillirent être incendiés par une soldatesque effrénée.

Par sa proximité des remparts, le monastère était un sujet d'alarmes pour les habitants, qui craignaient avec raison que l'ennemi ne s'en emparât et n'en fit un poste avancé pour attaquer la place ; aussi plusieurs fois fut-il question de le démolir, et les religieuses vivaient dans une appréhension continuelle de voir détruire une maison qui leur avait coûté si cher. A cet état d' inquiétude, succédèrent des jours meilleurs.

Vers 1675, les Ursulines achetèrent, moyennant 40,000 liv., trois cents arpents de terre à la porte de leur couvent. La communauté devint florissante ; les religieuses s'adonnèrent avec succès à l'instruction publique ; les jeunes personnes de la ville et des environs venaient y faire leur éducation, et l'on y comptait trente pensionnaires au moment de la Révolution. La maison offrait encore une retraite agréable à des personnes âgées et à des filles peu favorisées de la fortune, qui, n'ayant pu parvenir à se marier convenablement, trouvaient en entrant dans cette maison l'avantage d'y vivre avec économie, sans se priver de voir le monde : c'est ce qu'on appelait être dame en chambre.

Les revenus des Ursulines s'augmentèrent en 1768 d'une partie de ceux des religieuses de Saint-François ; cent cinquante journaux de terre provenant du couvent des Franciscaines leur furent donnés par Mgr de la Motte. Le revenu des Ursulines s'élevait, en 1790, à 7,704. liv. 6 s. 10 d., dont 3,249 liv. 6 s. 10 d. en rentes, et 4,455 liv. en biens-fonds. Cette dernière somme était produite par huit cent quatre-vingt-onze setiers de blé, estimés en moyenne à 5 liv. chacun. Les terres étaient sises en grande partie sur le territoire de Faverolles, où les religieuses avaient une ferme et deux cent quatre-vingt-dix-huit mines de terre affermées 1,000 liv. et six cents setiers de blé. Elles possédaient encore dix-neuf mines de terre dans la même commune ; soixante-dix journaux à Caix ; quarante journaux au Mesnil-Saint-Georges ; dix mines à Piennes ; cinq mines et demie à Crèvecœur ; cinq mines et demie au Fretoy ; trois mines et demie à Fournival ; deux journaux et demi de pré à Hainvillers ; deux mines de pré à Courtemanche ; un quartier et demi de terre à Montdidier, et un jardin à la porte d'Amiens. Les charges ordinaires et extraordinaires montaient à 3,165 liv. 11 sols.

Le personnel avait dépassé de beaucoup le chiffre fixé par les maïeur et échevins ; en 1741, il y avait trente religieuses et huit sœurs converses. Lorsque éclata la Révolution, les autorités n'eurent point la peine de faire prêter le serment aux Ursulines ; elles furent les premières à profiter de la loi qui permettait aux religieuses de sortir de leur couvent, et elles manifestèrent toujours le goût le plus marqué pour les idées nouvelles. Les Ursulines portaient pour armoiries en 1697 : d'or, à un chef de sable chargé d'une macle d'argent.

Sous la République, le couvent des Ursulines fut transformé d'abord en quartier de cavalerie, puis, en 1793, en hôpital militaire ; Parmentier prit une part importante à la création de cet établissement, qui reçut jusqu'à trois cents malades. Le couvent fut vendu comme propriété nationale, le 11 décembre 1796, moyennant 20,200 livres (prix fictif). Les bâtiments, édifiés en 1630, furent entièrement démolis en 1844 ; ils n'avaient aucune élégance, et consistaient en une longue construction de brique, percée de petites fenêtres, et surmontée d'un toit fort élevé. L'église, dont l'autel regardait le couchant, occupait le rez-de-chaussée, et le dortoir, l'étage supérieur. Les bâtiments qui existent sur l'emplacement des Ursulines ont été construits en 1800, avec une partie des anciens matériaux. Les jardins avaient une étendue de douze journaux environ ; ils furent diminués considérablement lors de l'ouverture de la route de Rouen à la Capelle. Aujourd'hui il ne reste du couvent que les murs d'enceinte ; ils sont encore en parfait état, bien que leur exécution remonte à plus de deux cents ans et qu'ils soient de pierre du pays. Nos maçons devraient les prendre pour modèles ; les murs que l'on bâtit maintenant avec cette même pierre se dégradent promptement et ne tardent pas à périr.

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