Histoire de Montdidier

Livre II - Chapitre VIII - § V

par Victor de Beauvillé

§ V

COMPAGNIE DE L'ARC, DITE LA BANDE NOIRE.

La seconde compagnie de l'Arc a été plus heureuse que la première, elle subsiste encore ; sa modestie l'a sauvée du naufrage. Pour la distinguer de son aînée, on l'appelait la Bande Noire : ce surnom n'avait rien de désobligeant, et provenait d'une figure de blason mal comprise. Plusieurs confréries de l'Arc reconnaissaient pour grand maître l'abbé de Saint-Médard de Soissons, suzeraineté tout à fait illusoire, car elle n'était pas admise par les cours souveraines du royaume. Arnaud de Pomponne, qui était abbé en 1748, portait dans ses armes un chevron de sable ; et l'on sait que, dans le blason, le sable est représenté par la couleur noire : ce chevron, reproduit sur le drapeau et les pancartes, frappait les yeux ; le peuple, qui n'est pas obligé de connaître la langue héraldique, désignait ce chevron par le nom de bande, et, pour distinguer la seconde compagnie, il l'appelait la Bande Noire. Ce mot n'avait donc aucune acception fâcheuse ; les personnes dont elle se composait étaient de braves gens, ne demandant qu'à s'amuser et à se divertir comme les archers du jardin du roi ; aussi donnait-on indifféremment à cette société le nom de la Bande Noire ou des Bons Amis, en signe de l'entente et de l'union qui régnaient parmi ses membres, lesquels appartenaient à une classe moins élevée que les chevaliers de la première compagnie.

La seconde compagnie de l'Arc, établie en 1757, occupe une partie de l'ancien fossé appelé le Camarade Buquet. Cet emplacement lui fut affermé par bail emphytéotique moyennant 25 sols et 18 deniers de cens envers la ville, par M. du Hamel, ancien capitaine d'infanterie, qui, en 1750, avait acquis ce terrain de la commune ; le bail devait être résilié si la compagnie interrompait ses exercices pendant cinq années consécutives. Le 25 mai 1801, madame de Saint-Fussien de Vignereul, fille de M. du Hamel ratifia l'acte consenti par son père, et réduisit à la minime somme de 10 c. le loyer que la compagnie devait lui payer ; ces conditions existent encore. Le bail de la compagnie est expiré en 1856, mais il est à croire que ses membres s'empresseront d'acquérir un terrain dont ils jouissent depuis si longtemps.

La Bande Noire n'était pas un corps isolé ; elle faisait et fait encore partie d'une association à laquelle on donna le nom de Ronde, et qui est formée de la réunion des compagnies de Montdidier, Guerbigny, Warsy, Damery, Ételfay, Dancourt, Laboissières et Becquigny ; cette dernière a été reçue dans l'union en 1847 seulement. Chaque année, le jour de la Pentecôte, la statue de saint Sébastien est portée solennellement, drapeaux et tambours en tête, dans une de ces communes à tour de rôle, et celle qui en est dépositaire rend un prix général ; les sociétés qui n'y viennent pas doivent, malgré leur absence, payer 6 francs pour contribuer à la dépense commune. Chaque tireur, prenant part au tir général verse une cotisation de 1 fr. ; l'argent est mis en commun, et sert à acheter des prix réservés aux vainqueurs. Dans la compagnie de Montdidier, les prix gagnés au tir général n'appartiennent pas à ceux qui les ont remportés, mais ils forment une masse que les sociétaires tirent plus tard entre eux ; le tir général ouvre le jour de la Pentecôte, et continue jusqu'au mardi suivant.

Le premier tir général de la seconde compagnie eut lieu le 10 mai 1761, jour de la Pentecôte ; il commença par une grand'messe à l'église du Sépulcre, suivie d'une procession à laquelle assistèrent les sept compagnies. Le tir dura trois jours, et se termina par une cérémonie religieuse dans laquelle on chanta le Te Deum et l'Exaudiat ; ce fut la compagnie de Warsy qui remporta le prix. La Bande Noire tira le geai, pour la première fois, le 27 mai 1764 ; les gardes-notes du siècle dernier ne manquèrent point de mentionner, comme une chose remarquable, qu'il ne fut pas abattu. Depuis, la compagnie s'est bien relevée de ce petit échec, qui était d'un fâcheux augure pour l'adresse de ses membres.

Avant la Révolution, la Bande Noire ne participait point aux tirs généraux : cet honneur était réservé exclusivement à la première compagnie ; depuis que celle-ci n'existe plus, au lieu de tirer, comme autrefois, le geai au Chemin-Vert le deuxième dimanche de mai, la seconde compagnie s'y rend le premier dimanche de ce mois, mais cette solennité n'intéresse plus qu'un petit nombre de curieux. La consignation est fixée à 1 fr. 50 cent. par tireur, et le prix du geai à 36 francs. Le vainqueur reçoit en outre une somme de 1 fr., qui lui sert à rendre le lendemain un prix de Roi ; le tir de l'oiseau est suivi d'un dîner auquel assistent tous les chevaliers ; un second repas les réunit à la fête de saint Sébastien : ce jour-là les archers font célébrer un service solennel. Le personnel des chevaliers est limité à vingt-cinq, mais il est rarement au complet ; chacun d'eux paye une cotisation annuelle de 6 fr. et un droit d'entrée de 12 francs. Les officiers sont au nombre de quatre : un capitaine, un lieutenant, un trésorier et un secrétaire.

A l'époque de la foire, la compagnie offre des prix en argent, auxquels sont admises à concourir les compagnies des environs, et la ville décerne des médailles aux plus adroits. En 1848, sur près de deux cents tireurs, les deux premiers prix furent remportés par des Montdidériens. Nos archers n'ont pas dégénéré de leurs pères ; ils ont signalé leur adresse à Élincourt-Sainte-Marguerite en 1821, à Marigny en 1822, à Noyon en 1836 et 1844, et en 1845 à Compiègne. Bien que ces réunions prennent encore le nom de tir général ou provincial, elles ne sont plus que l'ombre de ce qu'elles étaient avant la Révolution ; les riches uniformes, les brillantes cavalcades, les fêtes galantes, les festins somptueux, les bals magnifiques ont disparu ; le nom seul est resté.

En 1849, pour contribuer à l'éclat de la foire de mai qu'on venait de rétablir, les archers donnèrent un prix général auquel furent convoquées toutes les compagnies des alentours ; mais deux prix provinciaux que l'on rendait dans le même mois, l'un à Chevincourt, l'autre à Pont-Sainte-Maxence, vinrent les contrarier. Les compagnies de Laboissière, Ételfay, Guerbigny, Becquigny, Dancourt, Warsy, Bus, Fescamps, Remaugies, Onvillers, Rollot, Tilloloy, Marquivillers, Laberlière, Boulogne-la-Grasse, Conchy-les-Pots, Plessier-Saint-Nicaise, Rucourt et Ricquebourg, répondirent seules à l'invitation. Dans la matinée du 17 mai, cent cinquante-sept tireurs se trouvèrent réunis au Chemin-Vert ; de là ils allèrent, drapeaux et musique en tête, à Saint-Pierre, en passant par le Marché-aux-Chevaux, la rue de Roye et la Place. Les prix, consistant en seize pièces d'argenterie, d'une valeur de 800 fr. environ, étaient placés sur une petite pyramide, entourée de fleurs et de feuillage, escortée par quatre chevaliers ; elle fut portée à l'église, où on célébra une messe basse en musique : le maire et le sous-préfet s'étaient joints au cortége. Arrivés à Saint-Pierre, les archers se rangèrent sur deux files dans la nef ; les porte-drapeaux, au nombre de treize, prirent place dans le chœur avec les autorités, les compagnies allèrent à l'offrande, et, après la messe, elles retournèrent au Chemin-Vert, où l'on tira les cartes d'essai ; mais le beau temps, sans lequel il n'est point de fête possible, fit défaut ; la pluie dérangea tous les projets et rendit les préparatifs inutiles. Le tir eut lieu au jardin, et dura un mois : le prix d'honneur fut remporté par Jean-Baptiste Pauquet, de Warsy.

Le jardin de l'Arc est bien planté, tenu avec soin, et à l'abri du vent, mais il est petit, et l'entrée en est désagréable ; il manque un pavillon où les archers puissent se réunir avant et après leurs exercices. A côté du tir, se trouve un jeu de boule très-fréquenté ; ceux qui veulent y jouer doivent obtenir le consentement des tireurs, et payer, par an, 75 centimes polir l'entretien du jardin.

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