Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre VII - § II - Section II
par Victor de Beauvillé
Section II
Les études sont reprises sous Louis XIV
L'ingénieur du Buisson en mission à Montdidier
Le projet de canalisation est abandonné
Tentatives infructueuses renouvelées à diverses époques
Nous avons parlé plusieurs fois dans le cours de cet ouvrage de la canalisation de la rivière des Dom. Ce projet, dont nous regrettons de ne pas connaître l'auteur, est fort ancien et remonte aux premières années du dix-septième siècle. L'exécution en était alors plus facile qu'à présent, la rivière d'Avre étant navigable de Pierrepont à Moreuil, tandis qu'aujourd'hui elle l'est seulement depuis ce bourg jusqu'à Amiens. De Pierrepont à Moreuil, il n'y avait pas de chemin de halage, la navigation s'effectuait par bateaux conduits à l'aviron. Entre Pierrepont et la Neuville, la rivière se partageait en deux bras : celui qui était navigable traversait le territoire de cette dernière commune, et s'appelait Rupture demoiselle Jehanne, dénomination déjà usitée au quinzième siècle, et dont il serait difficile de connaître l'origine ; peut-être vient-elle de quelque travail ou rupture de terrain exécuté en cet endroit par une châtelaine qui aura laissé son nom à cet ouvrage d'art dit quelquefois aussi Chaussée ou fosse demoiselle Jehanne. La rupture demoiselle Jehanne formait l'ancien cours de la rivière, c'est elle que l'on franchit sur le premier pont entre la Neuville et Braches.
Ce bras navigable détournait les eaux de la rivière, et empêchait le moulin de la Neuville, situé sur le petit bras à côté, de fonctionner convenablement. Les meuniers comblèrent la rupture ; mais, sur les plaintes formulées par les voisins, ils furent obligés de la rouvrir. En 1603, Scipion de Champie, seigneur de Braches, qui vivait en mauvaise intelligence avec le seigneur d'Hargicourt, son voisin, fit de son chef boucher la rupture au détriment des propriétés en amont, lesquelles se trouvèrent, par ce fait, dans l'impossibilité de communiquer par eau avec Moreuil et Amiens. François de Conty, seigneur d'Hargicourt et Gaucourt, de concert avec la noblesse des environs, profita de la présence de Henri IV à Amiens pour demander que la navigation fût rétablie : les maïeur et échevins de cette ville appuyèrent sa réclamation. Le roi l'accueillit et chargea le comte de Saint-Paul, lieutenant général en Picardie, de rendre navigable le bras de la rivière qui avait été intercepté : ce dernier confia l'exécution de cette mesure à Francois de Conty, comme le plus capable de la mener à bonne fin : en effet, il y employa son temps et son argent, et fit si bonne diligence que la navigation ne tarda pas à reprendre son cours.
Le seigneur de Braches, ennemi de celui d'Hargicourt, s'opposa de tout son pouvoir à l'accomplissement de ce projet. Informé des contestations élevées à cet égard, le roi donna commission à Nicolas de Lau, trésorier de France en Picardie, de se transporter sur les lieux, de s'informer des avantages et des inconvénients que présentait la réouverture de la rupture, et de l'utilité qu'il y aurait, non-seulement, à rétablir la navigation entre Pierrepont et Moreuil, mais encore à canaliser la rivière des Dom jusqu'à Montdidier. Nicolas de Lau, se rendit à Pierrepont, et reconnut que, de ce dernier village jusqu'à Moreuil, la navigation de l'Avre avait existé de temps immémorial, et qu'elle était très-avantageuse à la contrée : il vint ensuite à Montdidier, et émit également un avis favorable sur la canalisation des Dom ; par malheur il ne rencontra pas dans la ville assez d'intelligence pour apprécier les résultats d'une entreprise aussi utile. La contestation qui s'était élevée entre les seigneurs d'Hargicourt et de Braches donna lieu à des productions de pièces et à des arrêts très-intéressants. (Pièce just. 86.)
La navigation de l'Avre demeura libre jusqu'en 1 789 ; à cette époque, des bateaux chargés de foin récolté dans les prairies de Pierrepont descendaient encore de cette commune jusqu'à Amiens. L'année suivante, les habitants de la Neuville, pour faciliter les rapports avec Braches, jetèrent des planches sur la rivière et interceptèrent la navigation : le comte de Clermont-Thoury, seigneur de Pierrepont, s'adressa à la maîtrise des eaux et forêts de Clermont, afin d'obtenir leur enlèvement ; la Révolution, en l'obligeant de veiller à sa propre sûreté, lui fit bientôt perdre de vue l'objet de ses réclamations.
Sous la République, les riverains construisirent à leur gré des ponts et des usines sur l'Avre, qui dès lors cessa d'être navigable ; mais on rétablirait très-aisément la communication directe par eau entre Pierrepont, Moreuil et Amiens, puisqu'elle existait encore il n'y a pas soixante et dix ans : ce serait un service signalé rendu à l'arrondissement. Si l'on remontait jusqu'à Montdidier, ce qui n'offre aucune difficulté, cette ville en retirerait un grand avantage : on n'y tiendrait pas, nous l'espérons, le même langage qu'il y a deux cent cinquante ans.
Le jour même de son arrivée à Montdidier (10 février 1604), Nicolas de Lau fit assigner les maïeur et échevins à comparaître devant lui pour examiner le projet en question, et s'entendre sur les moyens de le réaliser. Au lieu d'accueillir avec empressement une proposition de cette importance, les membres de l'échevinage répondirent : « Que la ville de Montdidier étoit composée de plusieurs praticiens et gens de justice qui n'ont moien de faire grand trafic, pourquoi la navigation de la rivière ne pourroit apporter que peu de commodité, et que les habitants de ladite ville s'attendoient à la volonté de Sa Majesté d'en ordonner. » On ne tint aucun compte de ce mauvais vouloir, et, le 15 juillet de l'année suivante, Gabriel Cartier président en l'élection de Reims, commissaire du roi, vint à Montdidier en exécution d'un arrêt du conseil d'État du 3 juillet 16o4, qui le chargeait d'aviser au moyen de rendre la rivière navigable depuis Montdidier jusqu'à Pierrepont. Cette fois on entendit non-seulement les maïeur et échevins, mais encore d'autres personnes, notamment les propriétaires de moulins, afin qu'ils eussent à faire connaître les droits et prétentions qu'ils pouvaient avoir sur la rivière. L'opposition fut plus vive ; l'échevinage s'assembla et poussa l'aveuglement jusqu'à protester contre une entreprise qu'il aurait dû appeler de tous ses vœux.
Le 17 juillet 1605, les maïeur et échevins, après en avoir délibéré à l'hôtel de ville, remontrent au commissaire du roi, « Qu'à eux appartient la justice et seigneurie de la ville et banlieue d'icelle, mesme la rivière, dont ils sont en possession depuis plus de cinq cents ans par concession et alienation de nos rois moiennant 825 liv. de rente ; que la rivière de Montdidier jusques à Pierrepont ne peut estre naviguable pour le peu d'eaue qu'il y a en ladite rivière à cause de la situation d'icelle, dont l'origine et la première source est d'une petite fontaine près Domfront, à la distance seulement d'une lieue tirant en occident, et le ruisseau si petit et si oblique qu'il ne peut produire des eaues à suffisance et de longue durée pour les ravines et inondations fréquentes qui remplissent les sources, n'estoit que la rivière de Compiegne et Pont-Sainte-Maxence prit son cours par la ville de Montdidier. Toutefois, s'il plaisoit à Sa Majesté de rendre ladite rivière de Montdidier naviguable jusques à Pierrepont et qu'il fût besoin de rompre le moulin à eux appartenant situé sur ladite rivière, ès faubourg dudit Montdidier appelé moulin Neuf, il y auroit interests pour la ville de plus de dix mille escus, pour ce qu'il est affermé à vingt-quatre muids et demi de blé par an ; sur quoy le commandeur de Fontaines en prend treize muids aussi par an d'ancienne redevance, outre et pardessus les interests des particuliers, habitants et de ceux qui ont d'autres moulins et heritages sur ladite rivière dans ladite banlieue de Montdidier. Si ne pourroit lad. navigation estre de longue durée par faute d'eaue, et sont les meuniers souvent contraints retenir leurs eaues trois ou quatre fois le jour pour faire tourner leurs meules. Tellement que les frais qui s'en pourroient faire pour établir ladite navigation ne pourront reussir au profit et utilité publique ains plutost y apporter un grand dommage et interest. »
Peut-on raisonner de la sorte ! Pour un malheureux moulin et vingt-quatre muids de blé, repousser un projet qui aurait décuplé les revenus de la ville ! Apprenant la résistance incroyable des habitants, Henri IV ne put s'empêcher de s'écrier : Ventre-saint-gris ! que ce peuple est simple et ignorant ! Il avait parfaitement raison. Si Henri IV eût vécu, il est probable qu'il ne se serait point arrêté devant d'aussi mesquines considérations ; sa fin malheureuse ne lui permit pas de donner suite à ce projet. Selon Pagès, l'intention du roi était de faire le port et l'abord des vaisseaux au moulin du faubourg nommé Becquerel, où l'on trouve une place suffisante pour faire les réservoirs d'eau et les écluses nécessaires pour ce dessein.
Abandonné pendant de longues années, le projet de canaliser les Dom fut repris sous le règne de Louis XIV. L'opportunité de cette mesure n'avait pu échapper aux regards pénétrants de Colbert. Ce grand ministre, occupé sans relâche à faire fleurir dans le royaume les arts et l'industrie, avait compris combien serait profitable, pour le commerce du nord de la France l'ouverture d'un canal qui relierait la Somme à l'Oise. En 1680, du Buisson, ingénieur du roi, employé sous les ordres de Vauban aux travaux de la citadelle d'Amiens, fut envoyé à Montdidier pour reconnaître le terrain, et s'assurer de la possibilité de canaliser la rivière des Dom. Mais, ce qu'on aurait peine à s'imaginer, il y eut des personnes assez insensées pour susciter des embarras à l'ingénieur et l'entraver dans ses recherches : du Buisson quitta Montdidier, emportant probablement l'idée que la canalisation était impossible. Hâtons-nous de le dire, ces intrigues déplorables étaient le fait d'un petit nombre d'individus, car la majorité des habitants se montrait favorable au projet : les idées avaient marché, et nous ne voyons plus la mairie s'associer hautement à un acte d'ignorance.
Le corps de ville s'éleva contre les manœuvres mises en jeu pour faire échouer la mission de du Buisson, et tenta de réparer le mal qui avait été commis. « Le 1er février 1682, sur ce qui a été représenté que lorsque le sieur du Buisson, ingénieur du roy, a fait la visite des fontaines et sources qui sont à Coivrel et autres lieux pour connoître si elles pourvoient fournir des eaux à suffisance pour rendre la rivière de Montdidier naviguable, et faire passer la rivière d'Oise pour joindre à la Somme, on lui a caché les principales sources pour rompre ce dessein que quelques particuliers ont estimé contraire à leurs intérêts. On députe à Paris vers monsieur l'intendant et monsieur Colbert, pour rendre, s'il en est possible, la rivière de Montdidier naviguable et à cet effet que le sieur du Buisson ou autre ayent à prendre connoissance plus particulière des sources et fontaines qui leur seront indiquées et qui pourront servir à ce dessein. » Il était trop tard ; on avait perdu une occasion qui ne devait jamais se représenter : trois fois nos ancêtres avaient eu la possibilité de posséder un canal, trois fois ils l'avaient laissé échapper, et lorsqu'ils voulurent revenir sur ce qui s'était passé, on leur répondit ce qu'ils avaient dit les premiers : La rivière n'est pas canalisable.
Nous nous expliquerions difficilement comment, en 1680, il put dépendre de quelques particuliers de paralyser les efforts de l'ingénieur, si l'échevinage, qui ne pouvait ignorer le but de sa mission, n'y avait pas mis de la mauvaise volonté. Ne devait-il pas prendre l'initiative, écarter les obstacles et faciliter à du Buisson les études qu'il venait exécuter ? En ne le faisant point, il se rendait tacitement complice de ces citoyens égoïstes qui sacrifiaient l'intérêt public à leur propre intérêt. La malignité s'empara de ce projet de canalisation, et, au lieu de n'y voir qu'une chose très-désirable pour le pays, les malintentionnés prétendirent que les ingénieurs, en allant mesurer les eaux de Coivrel, n'avaient agi que pour mademoiselle de Fontanges, qui songeait, disait-on, à acheter la terre de Maignelay, et que l'on voulait savoir à l'avance quelle quantité d'eau il serait possible d'y amener pour établir dans cette propriété des bassins et des pièces d'eau ; la canalisation, ajoutait-on, n'était qu'un prétexte. Explication pitoyable qui ne saurait excuser la faute d'avoir fait avorter le projet le plus utile que l'on pût former pour notre contrée.
Les ingénieurs, si mal accueillis, se détournèrent de notre cité imprévoyante : les idées prirent un autre cours, et, en 1728, l'on commença le canal de jonction de la Somme à l'Oise, dit canal Crozat, qui enlève à notre ville presque tout espoir de jouir d'une voie navigable.
La jonction de l'Oise à la Somme par Montdidier était plus courte que par Péronne, Saint-Simon et Chauny. De Montdidier on aurait remonté la rivière jusqu'au-dessus de Domfront ; on eût emprunté ensuite le petit vallon qui passe près de Godenvillers et tend vers Coivrel ; là , le canal eût incliné à gauche pour passer entre ce village et Tricot, et se diriger vers Saint-Martin-au-Bois et Montières, où il aurait rejoint l'Aronde, que l'on devait canaliser jusqu'à son embouchure dans l'Oise, à Clairoix, près Compiègne. De Domfront à la vallée qui se trouve à la sortie de Saint-Martin-au-Bois, la distance est de 10 kilomètres : le canal de partage entre le bassin de la Somme et celui de l'Oise était donc extrêmement court et ne présentait aucune difficulté sérieuse. Le trajet était ensuite bien moins long par les Dom et l'Aronde que par Ham. On allait presque en ligne droite d'Amiens à Compiègne, sans être obligé de remonter jusqu'à Péronne, pour revenir à Saint-Simon, redescendre à Chauny, puis à Noyon et arriver enfin à Compiègne.
De Saint-Simon à Manicamp, près Chauny, où la rivière d'Oise est navigable, il y a neuf écluses, qui, ajoutées aux quinze existantes d'Amiens à Saint-Simon, donnent vingt-quatre écluses à franchir avant de rejoindre l'Oise : assurément d'Amiens à Clairoy par notre ville il y en aurait eu beaucoup moins. D'Amiens à Saint-Simon on compte 86,213 mètres ; de Saint-Simon à Compiègne, 64,981 mètres : total, 151,194 mètres. La distance d'Amiens à Compiègne par Montdidier étant moins longue, il y avait par conséquent une économie considérable de temps et d'argent à passer par la vallée des Dom.
Le but principal que l'on se proposait, en faisant le canal de la Somme à l'Oise, à l'époque surtout où la Flandre n'appartenait pas à la France, était d'établir des relations faciles entre la capitale et les ports de la Manche ; ce but se trouvait atteint en passant par Montdidier, tandis que le grand détour qu'il faut faire pour gagner Saint-Simon a rendu la navigation de la Somme tout à fait inutile pour l'approvisionnement de Paris, sans procurer à notre province les bénéfices qu'elle était en droit d'espérer. Le tracé dont nous regrettons l'abandon remédiait aux inconvénients que nous avons signalés. L'Aronde se jetant dans l'Oise presque en face de l'Aisne, les bateaux venant d'Amiens et de Saint-Valery entraient directement dans cette dernière rivière, remontaient à Soissons, à Neufchâtel, et mettaient par eau la Picardie en relation directe avec la Champagne et l'Ile de France. L'exécution de ce plan, moins coûteux que celui qui fut adopté, aurait eu inévitablement pour résultat de diminuer le prix du fret, d'accélérer le transport des marchandises, et d'établir une communication aussi directe que possible entre la Somme, l'Oise, l'Aisne et la Seine.
Dans les Mémoires de Bignon sur la généralité d'Amiens (1698), on trouve un projet de canalisation différent de celui dont nous venons de parler. De Montdidier, le canal se dirigeait vers Noyon, s'embranchait dans la Verse à Boissy, village au-dessus de cette ville, et se réunissait ensuite à l'Oise à Pont-l'Évêque : la longueur de ce canal eût été de cinq lieues et demie. Nous ne savons quelle direction il devait suivre à sa sortie de Montdidier, il aurait vraisemblablement traversé une partie des cantons de Ressons et de Lassigny, mais quel cours d'eau aurait-il rencontré pour s'alimenter ?
Un autre projet consistait à canaliser l'Avre de Moreuil à Avricourt, et, à partir de ce point, à creuser un canal de cinq lieues qui aurait abouti à Noyon. Ce projet fut sérieusement examiné. La dépense, évaluée à deux millions, empêcha de l'entreprendre : on fut effrayé de ce chiffre, il était cependant moins élevé que le devis du canal Crozat, qui montait à 2,281,800 liv., et qui en définitive coûta quatre millions et demi.
Le tracé par Montdidier fut le premier étudié, celui par Roye ne vint qu'après : l'un et l'autre n'eurent aucun résultat. En 1787, l'assemblée départementale de Montdidier demanda la canalisation de l'Avre, depuis Moreuil jusqu'à Roye et Noyon, et réclama des études de M. de la Touche, ingénieur en chef de la généralité. Les intérêts particuliers s'émurent de nouveau : la duchesse d'Elbeuf, dame de Moreuil, s'y opposa, et prétendit que le canal était impossible, le lit de l'Avre étant plus élevé que celui de l'Oise : le comte de Clermont-Thoury, seigneur de Pierrepont, soutint le contraire, et offrit même 6,000 liv. pour les travaux préparatoires ; pendant que l'un et l'autre faisaient valoir leurs prétentions, la révolution française grandissait, et ne devait pas tarder à occuper les esprits de choses plus importantes.
De tous ces beaux projets de canalisation, qu'est-il resté ? Rien, absolument rien, qu'un petit cours d'eau qui passe à Montdidier, comme il y passait au temps de Philippe-Auguste, plus faible encore qu'à cette époque, car le temps amoindrit tout, même les rivières, et quelques moulins, dont celui de la porte de Paris, cause malheureuse de tant de contestations et de difficultés, n'appartient plus à la commune, tandis que si le canal eût été exécuté, on en jouirait encore, et avec la prospérité publique la ville aurait vu croître ses revenus.
Le dessein de canaliser la rivière de Montdidier n'a jamais été entièrement abandonné par les hommes qui s'occupent de l'avenir du pays : c'est une question de temps, bien lente à recevoir sa solution, mais on finira par y arriver, car les avantages qu'elle présente ne sauraient être contestés. Dans la session du conseil général du département de la Somme de 1852, le projet d'améliorer l'Avre et les Dom a été repris de nouveau par mon frère, et soumis à ses collègues, qui ont accueilli favorablement sa motion. Cette heureuse tentative l'encouragea, et, au mois de juillet 1853, il saisit le conseil municipal d'une proposition tendante à obtenir la canalisation des rivières d'Avre et des Dom, et leur jonction avec l'Oise par l'Aronde : cette pensée reçut une approbation unanime. Pour accroître nos chances de succès, mon frère eut l'excellente idée de mettre le département de l'Oise dans nos intérêts. Grâce à ses démarches, le conseil d'arrondissement de Clermont, comme celui de Montdidier, fut appelé à délibérer sur cette immense amélioration, et donna à la mesure qui lui était déférée un assentiment complet. Au mois d'août de la même année, il remit l'affaire sous les yeux du conseil géneral de la Somme, qui, adoptant ses conclusions, renvoya la question à l'administration supérieure, avec prière instante de la faire étudier par ses agents. Un vœu semblable fut émis au sein du conseil général de l'Oise. Puissent ces projets se réaliser, et espérons qu'une ère meilleure s'ouvrira enfin pour le pays.
Le préjudice éprouvé ne se réparera pas de longtemps : si depuis deux siècles et demi la ville eût possédé un canal, le commerce se serait développé, des relations utiles se seraient établies. L'accroissement que Montdidier eût acquis lui aurait servi dans ces derniers temps à obtenir d'autres avantages, car il est digne de remarque que plus une localité a d'importance, plus on cherche à lui en donner. On fait tout pour les grandes villes, rien pour les petites. Quelques cités ont le privilége d'accaparer les faveurs du gouvernement, pour elles le budget est inépuisable ; quant aux autres, on ne se soucie guère que de la cote de leurs contributions. Si Montdidier avait eu le canal sous Henri IV ou sous Louis XIV, il serait depuis longtemps en possession de routes dont il ne jouit que depuis peu d'années ; s'il avait été dans d'autres conditions lorsqu'on a exécuté le chemin de fer du Nord, les ingénieurs qui l'ont laissé si dédaigneusement sur le côté de la ligne, sans prendre la peine de lui accorder un regard, auraient pensé à lui et s'en seraient occupés plus qu'ils ne l'ont fait.
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