Histoire de Montdidier

Livre II - Chapitre VI - § I - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Bâtiments

Chapelle

Population

Revenus

Influence de l'hôpital

 

L'hôpital de Montdidier est un des plus beaux du département ; aussi les étrangers qui passent dans notre ville n'oublient-ils pas de le visiter. La brique et la pierre ont été employées avec discernement ; les encadrements des fenêtres, les corniches, les bandeaux et les angles tout de pierre de Pont-Sainte-Maxence, donnent de la noblesse à cet édifice ; la hauteur et la grandeur de ses proportions satisfont à la fois l'œil et le goût. Une porte monumentale de pierre, cintrée, flanquée de deux pilastres doriques, surmontée d'une frise et d'un entablement, donne entrée dans une belle cour ; à gauche, se trouve le logement du portier ; à droite, le parloir. La cour principale a 31m,50 de profondeur sur autant de largeur ; des bâtiments l'entourent sur trois côtés ; celui du fond, qui forme la façade de l'hôpital, est semi-double, élevé d'un étage, percé de neuf fenêtres cintrées ; au-dessus se détache le clocheton de l'horloge. Un cloître composé de neuf arcades, séparées par des pilastres de briques, règne le long du bâtiment, et établit une communication facile entre les différentes parties de la maison. Le réfectoire, le salon de réception, la salle d'exercice des Sœurs, occupent la contre-partie du cloître ; vient ensuite la cuisine. Un passage ménagé au milieu du corps de logis principal conduit du cloître au jardin ; deux escaliers placés à chaque extrémité du bâtiment mènent au premier étage.

Le bâtiment destiné à l'Hôtel-Dieu est à droite dans la cour ; il a sept fenêtres de face. Sa construction est la même que celle du corps de logis central, mais il n'y a pas de cloître ; les salles des malades, au nombre de deux, sont au rez-de-chaussée, et contiennent vingt et un lits : L'installation de cette partie du service, qui consacra définitivement la réunion de l'Hôtel-Dieu à l'hôpital, se fit en 1832. Sur une plaque de marbre noir, scellée dans le vestibule, on lit :

A LA MÉMOIRE
DE Mme ANNE LOUISE ANGÉLIQUE
DE SAINT–FUSCIEN DE VIGNEREUIL
COMTESSE DE MÉRY
DONT LA HAUTE LIBÉRALITÉ
A CDNTRIBUÉ PAR UN LEGS CONSIDÉRABLE
A LA CONSTRUCTION DE CET HOTEL-DIEU.

HOMMAGE DE RECONNAISSANCE.
QUE CETTE PIERRE Y CONSACRE A TOUJOURS
LE SOUVENIR DU BIENFAIT
ET LE NOM VÉNÉRÉ DE LA BIENFAITRICE.

Un dortoir occupe l'étage supérieur ; derrière ce corps de logis existe une cour où se trouve un bâtiment servant de dortoir et d'école aux filles.

L'aile gauche, faisant face à l'Hôtel-Dieu, comprend la chapelle, la sacristie, la lingerie, et un dortoir pour les enfants. Les archives qui étaient renfermées dans la salle d'administration, aujourd'hui la sacristie, ont été transportées dans le salon de réception. L'original de la donation de dix-huit journaux de bois dans la forêt de la Herelle, au territoire de Plainville, faite à l'Hôtel-Dieu en 1199, par Barthélemy de Roye, est le titre le plus ancien qu'on possède. On conserve à l'hôpital les portraits de mademoiselle Rallu et de la princesse d'Armagnac, toutes deux en costume de religieuses miramionnes ; ceux de Mgr de Sabatier, évêque d'Amiens, et de madame Suzanne Thérèse Scellier, religieuse augustine, ancienne supérieure de l'Hôtel-Dieu, fille de l'auteur des Mémoires déposés à l'hôtel de ville, et décédée le 1er novembre 1810, dans sa quatre-vingt-onzième année. Elle était née à Montdidier le 11 août 1720 ; entrée à l'Hôtel-Dieu en 1744, elle fut élue supérieure en 1785. A une éminente piété cette dame joignait une douceur inaltérable, un esprit juste et conciliant, un dévouement sans bornes pour le soulagement des pauvres auxquels elle consacra soixante-sept années de sa vie. Ferme dans le danger, elle ne quitta point, durant la Révolution, le chevet du lit des malades, et resta chrétiennement à son poste ; sa résignation et son courage contribuèrent à sauver l'Hôtel-Dieu d'une ruine presque certaine. Dans la sacristie on voit un ancien tableau sur bois, autrefois à l'Hôtel Dieu, représentant l'Adoration des mages, et dans le salon une table grossièrement sculptée, que l'on garde précieusement en souvenir de mademoiselle Rallu, à qui elle a appartenu. Nous ne savons quel mauvais plaisant a répandu le bruit que cette table provenait de la fameuse marquise de Brinvilliers ; il se rencontre pourtant des personnes assez simples pour ajouter foi à une pareille niaiserie.

La chapelle, refaite en 1848-1849, forme un parallélogramme de 15 mètres de long sur 10 mètres de large, divisé en trois nefs séparées par cinq colonnes doriques de bois ; elle est fort élégante et tenue avec une coquetterie remarquable : une tribune placée au-dessus de la porte peut contenir un certain nombre de personnes. Le maître-autel de marbre blanc, et la gloire sculptée par MM. Duthoit, d'Amiens, ont été donnés par les religieuses. Le tableau représente le Baptême de Notre-Seigneur ; il provient de l'Hôtel-Dieu ainsi qu'un tableau sur bois où est peint le Lavement des pieds. Sur une plaque de marbre blanc, scellée dans la muraille, on lit l'épitaphe de mademoiselle Rallu ; ce serait une ingratitude coupable de la passer sous silence :

A LA GLOIRE
DE LA TRÈS-SAINTE TRINITÉ.
ICY REPOSE

« Dame Anne Marguerite Rallu, fondatrice et première supérieure de la communauté des Sœurs de cet hôpital. Née à Paris de parents d'une piété exemplaire, elle connut de bonne heure la sagesse, elle l'aima, la suivit, s'y attacha. Douée des plus beaux dons de la nature, d'un jugement éclairé, d'un esprit solide, d'un cœur noble, bienfaisant, elle consacra tous ces avantages à Jésus-Christ, pauvre, humilié. Animée d'une vive piété, elle se sauva du siècle, et se retira dans cette maison pour y élever et perfectionner cet édifice de charité que Delle l'Empereur sa tante avoit commencé. Sa retraite ne fut point oisive : elle cultiva sans relâche les heureuses semences de vertu que la grâce avoit jetées dans son cœur. Elle fut dans toute ses démarches toujours égale, douce, affable, sincère, polie, humble sans faiblesse, généreuse sans ostentation, prudente sans déguisement, éclairée sans orgueil, ferme sans sévérité, agitée par les traverses sans trouble. Sa tendresse pour le prochain, qu'elle aimoit jusqu'à s'oublier elle-même, fut l'unique objet de sa joie et de ses désirs ; elle ne consulta jamais ni sa délicatesse ni son goût dans les secours humiliants qu'elle donna aux malades, aux affligés pendant 22 ans ; avare pour elle-même, prodigue pour Jésus-Christ, elle a doté cette maison de ses biens, fondé six places de demoiselles, deux autres des plus notables familles de la ville et une apotiquairerie. Enfin cette illustre mère des pauvres, pleine de la plus vive foi, de la plus ferme espérance, de la plus ardente charité, remit son âme entre les mains de son Créateur le 30 septembre 1741, âgé de 64 ans.

Passant,

imite ses vertus, sème icy-bas comme elle dans le sein des pauvres, et tu recueilleras dans le ciel une abondante moisson. »

Sur une plaque de marbre noir on lit le nom d'une dame qui fit une donation à l'hôpital, à la condition expresse qu'une inscription transmettrait son nom et celui de sa famille à la postérité : cette clause ne diminue-t-elle pas singulièrement le mérite du bienfait ? En 1839, Marguerite Delacourt, veuve du sieur Damay, peintre à Montdidier, laissa à l'hôpital 8 hectares 65 ares de terre, sis à Assainvillers et à Pérennes, ainsi que deux petites maisons dans la ville, pour l'entretien de trois lits destinés aux vieillards, et en outre à la charge de décerner chaque année une médaille d'argent, d'une valeur de 50 fr., à la fille la plus vertueuse, surtout à celle qui aura pris le plus de soin de ses parents. Les volontés de la testatrice furent observées pendant deux années consécutives, et le suffrage de la ville entière ratifia le choix des administrateurs ; mais, depuis, les intentions de madame Damay n'ont pas été exécutées. Serait-il donc impossible de les remplir, et n'y aurait-il plus une fille vertueuse à Montdidier ? Le vrai mérite est toujours modeste, et n'a pas besoin de ces distinctions honorifiques. Quelque digne que l'on puisse être, on n'aime pas à s'exposer gratuitement aux traits envenimés de la malignité ; l'effet ordinaire de ces sortes de récompenses est d'effrayer la vertu au lieu de l'attirer.

La chapelle de l'hôpital, dédiée à la Sainte-Trinité, fut bénite le 21 décembre 1848 par M. Étienne, supérieur général des Lazaristes ; la sacristie est pourvue de tout ce qui est nécessaire aux besoins du culte.

L'aile de la chapelle date du commencement de la maison ; elle a été construite en 1701, par madame Vagnard : aussi forme-t-elle un contraste frappant avec les bâtiments plus modernes qui. l'avoisinent ; elle est écrasée, bâtie de brique et de pierre du pays, et ne formait originairement qu'un rez-de-chaussée ; l'étage supérieur a été ajouté en 1829. Il faudrait, pour régulariser la cour et compléter l'ensemble de l'hôpital, faire disparaître ce bâtiment, et en élever un autre semblable à celui qui est affecté à l'Hôtel-Dieu. L'occasion se présentait naturellement lorsque l'on refit la chapelle en 1848 ; c'était le vœu des personnes éclairées, mais il fut impossible de le réaliser. La dépense, que l'on évalua à dessein à 40,000 fr., effraya les administrateurs. Si l'on songe aux 13,000 fr. qu'a coûté la chapelle ; à la somme considérable généreusement allouée, la même année, par l'hôpital à l'école des Frères ; à celle qui fut donnée par cet établissement aux ateliers nationaux pour des travaux à peu près inutiles, on verra que l'hôpital pouvait fort bien à cette époque faire reconstruire l'aile gauche ; on eût occupé les ouvriers, ainsi qu'on le désirait, et il en serait résulté une œuvre utile et grandiose. L'obstination d'un administrateur et l'irrésolution des autres firent échouer ce projet. La parcimonie peut être tolérée dans un particulier, mais elle est un défaut chez l'homme public ; aujourd'hui que les revenus de l'hospice sont diminués, on doit regretter vivement de n'avoir pas fait cette amélioration quand il était possible de l'effectuer.

Derrière la chapelle est une cour spacieuse, où sont d'anciens bâtiments occupés par les vieillards ; ils ont été édifiés du temps de mademoiselle Rallu, dont on voit l'initiale R sur la muraille ; à la suite est une basse-cour assez grande.

Le chapelain a son logement séparé, attenant à l'hôpital, mais sans communication directe ; il est forcé de passer par la rue pour remplir son ministère, obligation fort pénible, pendant la nuit, surtout en hiver : rien ne justifie une disposition aussi mal entendue. Le traitement du chapelain est fixé à 1,200 francs.

Les jardins de l'hôpital sont étendus et entourés de murs solides ; on y récolte les fruits et les légumes nécessaires ; les terrains enclos contiennent une superficie de 2 hectares 77 ares. Les malades respirent un air salubre, et peuvent se livrer à la promenade sans sortir de l'établissement. Chaque année l'on introduit quelque amélioration dans la maison ; depuis 1825, on peut évaluer à 300,000 fr. les dépenses que l'on y a faites ; cependant plusieurs accessoires laissent encore à désirer ; il manque notamment une buanderie convenable, et une glacière dont la privation se fait sentir dans une foule de maladies.

La tenue de l'hôpital est parfaite : les malades, les vieillards, les enfants, y sont entourés de soins de toute nature. Dix religieuses de l'ordre de Saint-Vincent de Paul s'y dévouent au service des pauvres ; leur traitement est de 200 fr. par an. Cet établissement était, nous l'avons dit, dirigé auparavant par des Miramionnes, et l'Hôtel-Dieu par des Sœurs de Saint-Augustin. On profita de la réunion des deux maisons, en 1823, pour en confier la direction aux Sœurs de Saint-Vincent, qui entrèrent en fonction le 16 juin 1824 ; elles n'étaient que cinq lorsqu'elles prirent possession de l'hôpital : Le nombre des individus qui y sont entretenus s'élève en moyenne à cent soixante, sur lequel on compte quatre-vingts vieillards, cinquante-cinq enfants et douze malades (1856). Le traitement du médecin de l'hôpital est fixé à 500 fr. par an ; celui du receveur, à 1,500 fr., et celui de l'économe, à 600 francs. Le conseil d'administration se compose du maire, président-né, et de cinq membres ; il se réunit tous les vendredis soir à l'hôtel de ville.

Dans le principe, l'hôpital n'était destiné qu'aux pauvres et aux vieillards ; en 1780, il servit de dépôt pour les enfants trouvés dont l'entretien restait à la charge du gouvernement. Sous la Restauration, on cessa d'en recevoir. Avant 1790, on employait les enfants et les vieillards à dévider du coton ; mais cette occupation fut toujours languissante. Les enfants admis à l'hôpital y demeurent jusqu'à l'âge de quatorze ans, et suivent les cours de l'école des Frères de la Doctrine chrétienne ; passé cet âge, ils sont placés en apprentissage ; l'hôpital leur donne un trousseau, et continue pendant deux ans à leur fournir le pain nécessaire. Les jeunes filles s'ont élevées dans l'intérieur de la maison. Cette œuvre est méritoire, mais il y a des abus : on se montre en général trop facile pour les admissions, et le nombre d'enfants a été porté jusqu'à soixante-cinq. L'hôpital est spécialement consacré aux malades et aux vieillards, et ce n'est qu'à leur détriment qu'on y reçoit autant d'enfants ; agir ainsi, c'est dénaturer l'institution : malheureusement l'envie de se populariser se glisse partout. La ville ne s'en trouve pas mieux ; débarrassés de la nécessité d'élever leurs enfants, les parents vont plus librement au cabaret dépenser l'argent qu'ils auraient été forcés de réserver pour la subsistance de leur famille, et la plaie du paupérisme va chaque jour s'élargissant.

On reçoit annuellement à l'Hôtel-Dieu trois cent quarante malades, y compris les militaires. Depuis trois ou quatre ans, l'autorité administrative envoie à l'hôpital des individus qu'elle y fait recevoir, sans la participation du conseil de la maison, moyennant une indemnité quotidienne de 60 cent. pour les vieillards et de 80 cent. pour les malades ; une pareille rétribution est dérisoire ; il faut, pour suppléer à son insuffisance, que l'hôpital paye le surplus. Cette intervention de l'autorité est fâcheuse, et fausse le but de l'institution. L'hôpital a été fondé pour les pauvres de la ville ; les personnes qui lui ont donné leurs biens ont eu en vue de secourir des compatriotes, et non des étrangers ; lorsqu'on saura que les dons sont détournés de leur véritable destination, il est à craindre qu'ils ne cessent, et que la mesure adoptée ne tarisse les sources de la bienfaisance.

Les revenus de l'hôpital s'élèvent, année commune, à 50,000 francs ; les dépenses sont proportionnées aux recettes. La situation prospère de l'hôpital a depuis quelques années excité la jalousie de plusieurs communes. Lors de la réunion de l'Hôtel-Dieu à cet établissement, les biens des deux maisons furent confondus ; parmi ceux de l'Hôtel-Dieu se trouvaient des immeubles provenant des anciennes maladreries d'Harbonnières, d'Hangest, de Mézières, etc., supprimées à la fin du dix-septième siècle. Les propriétés de ces maladreries furent, par édit de Louis XIV, concédées à l'Hôtel-Dieu de Montdidier, à la condition de recevoir un certain nombre de malades appartenant à ces communes. Dans ces derniers temps, elles ont demandé à rentrer en possession de leur patrimoine : c'était une question très-délicate. Un décret du mois de décembre 1852 a tranché la difficulté, et, après une longue instance, Harbonnières, Davenescourt, Mézières, ont été remis en possession des biens qu'ils réclamaient.

Les hôpitaux et établissements de charité donnent lieu à des abus ; là où ils existent, une partie de la classe ouvrière, certaine d'avoir un asile et d'être soignée en cas de maladie, ne contracte aucune habitude de prévoyance et d'économie, on en a un exemple bien remarquable à Paris. Si la diminution des revenus de l'hôpital nécessite des réformes, elles n'atteindront pas, nous en avons l'espoir, les infortunés frappés par des revers ou par la maladie, et ne tomberont que sur les fainéants et les ivrognes qui comptent sur les ressources de l'hospice pour se livrer à la paresse et à la débauche. On est reçu si facilement à l'Hôtel-Dieu qu'il n'est pas rare de voir des individus aller s'y remettre des suites de leurs excès. L'hospice est riche, dit-on, et puis c'est le bien des pauvres ; et avec ce raisonnement on passe par-dessus beaucoup de considérations. Ce qui se passe sous nos yeux journellement justifie pleinement ces paroles prononcées à la Chambre des pairs, le 30 juin 1847, par M. le baron de Daunant, premier président de la cour royale de Nîmes : Les hôpitaux et établissements de charité donnent lieu à des abus ; là où ils existent, une partie de la classe ouvrière, certaine d'avoir un asile et d'être soignée en cas de maladie, ne contracte aucune habitude de prévoyance et d'économie, on en a un exemple bien remarquable à Paris. Nous pourrions ajouter : et à Montdidier.

Les revenus de l'hôpital, ceux du bureau de bienfaisance, les quêtes publiques et les charités particulières mettent les pauvres de notre ville dans une position meilleure que partout ailleurs ; aussi la population ne se recrute-t-elle que d'indigents, qui viennent s'établir parmi nous, attirés uniquement par les secours abondants qu'on distribue. Les pauvres de Montdidier, assurés de ne jamais manquer du nécessaire, ne tentent aucun effort pour améliorer leur sort. Si la besogne leur manque, comme quelques-uns le disent faussement, que ne vont-ils en chercher au dehors ? En voit-on utiliser leur force et leur jeunesse dans les grandes villes, comme font les habitants de la Marche et du Limousin, ou chercher fortune au loin, comme ceux de l'Auvergne et du Béarn ! Non. Au moment où les travaux de la campagne réclament le plus de célérité, à l'époque de la moisson, on n'en trouverait pas un pour travailler aux champs ; les cultivateurs sont obligés de faire venir des Belges afin de hâter la récolte, et, pendant ce temps, l'entrée du bureau de bienfaisance et la porte des particuliers sont assiégées par une populace avide et paresseuse.

Ces habitudes d'intempérance et de fainéantise ne sont que trop répandues. On voit des ouvriers habiles, de petits détaillants qui pourraient gagner de quoi vivre et soutenir leur famille, se livrer avec excès à la boisson, dépenser en quelques heures le gain d'une semaine, contracter des dettes, se ruiner, et n'avoir d'autre avenir que l'hôpital ; c'est une dernière perspective qui devrait être poignante pour un homme de cœur, mais à Montdidier il n'en est pas ainsi : la démoralisation a fait des progrès désolants, et l'on entre à l'hospice sans éprouver la moindre honte ; on postule, on sollicite, on compte à l'avance le nombre d'années que l'on a encore à passer avant d'y être admis. On entend des hommes dans la force de l'âge, lorsqu'on leur fait quelque observation sur la vie déréglée qu'ils mènent, répondre tranquillement : Eh bien, quand nous serons vieux, nous irons à l'hôpital. Est-ce à dire qu'il faille le supprimer ? Non assurément ; celui qui ferait une pareille proposition mériterait d'y être enfermé comme insensé. Telle est la destinée des institutions humaines, que celles-là même qui ont le bien pour objet ne sont pas exemptes d'inconvénients ; il est toutefois extrêmement regrettable que chez nous le mal soit si profondément enraciné : pour y remédier, il faudrait détruire d'anciennes pratiques, rectifier des idées invétérées. Nous désirons sincèrement un heureux changement, mais nous doutons fort qu'on puisse l'obtenir.

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