Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre VI - § I - Section II
par Victor de Beauvillé
Section II
Établissement des sœurs de la Providence
Les habitants, touchés de l'activité et des sacrifices multipliés que madame Vagnard s'imposait, voulurent coopérer à son œuvre : ils s'engagèrent de nouveau à porter les revenus de l'hôpital à 1,300 liv., comme ils l'avaient fait pour les sœurs de la Croix ; mais ils oublièrent promptement leur promesse, et abandonnèrent madame Vagnard à ses propres forces. Cette dame ne se découragea pas : de 1700 à 1720 qu'elle fut à la tête de l'hôpital, avec un revenu qui, déduction faite des charges, n'allait pas à 1,000 liv., elle fit terminer les bâtiments entrepris par mademoiselle Delisle. Aidée d'une somme d'argent dont lui fit présent Mgr Feydeau de Brou, évêque d'Amiens, elle acheva la chapelle commencée en 1696, et fonda le salut du Saint-Sacrement qui se célébrait tous les dimanches. Les faibles ressources de l'hôpital auraient été bientôt épuisées, mais les siennes y suppléaient : toute sa fortune passait dans la maison. L'âge et les infirmités obligeant madame Vagnard à songer à la retraite, elle chercha un successeur, et jeta les yeux sur mademoiselle Rallu, fille d'un riche notaire de Paris, et nièce de mademoiselle l'Empereur. Jamais choix ne fut plus heureux. Mademoiselle Rallu semblait, au premier abord, bien éloignée de pouvoir remplir la mission à laquelle on la destinait. Lorsqu'elle vint à Montdidier elle fit son entrée dans un carrosse, attelé de quatre chevaux ; elle amenait des meubles somptueux ; tout dans son entourage annonçait le luxe et la recherche.
Cet extérieur contrastait singulièrement avec les modestes fonctions de directrice d'une maison de charité ; mais quel ne fut pas l'étonnement général quand on vit mademoiselle Rallu, habituée à la vie brillante de Paris, vendre chevaux et voiture, réformer ses domestiques, se défaire de son riche mobilier, et mettre en loterie jusqu'à ses vêtements pour subvenir à l'entretien des pauvres ! Le patrimoine de mademoiselle Rallu, qui était considérable, fut entièrement employé à l'amélioration de la maison dont elle prit la direction en 1720. Le 28 septembre de cette année, elle fit un premier don de 24,000 liv. à l'hôpital ; par ses soins, un nouveau corps de logis fut construit pour séparer les hommes d'avec les femmes. Voulant donner à l'établissement une stabilité qui lui manquait, mademoiselle Rallu obtint de Mgr de Sabatier, évêque d'Amiens, que les personnes qui se dévoueraient au service des malades seraient tenues d'embrasser la règle de sainte Geneviève, instituée par madame de Miramion ; aussi appelait-on indifféremment les religieuses de l'hôpital, les dames de la Providence ou Miramionnes, du nom de la fondatrice de cet ordre, Marie Bonneau, veuve de Jean-Jacques de Beauharnois de Miramion, qui, en 1681, avait établi une maison religieuse à Paris sous le patronage de sainte Geneviève. Mademoiselle Rallu fut nommée supérieure de la communauté. Les religieuses ne faisaient que des vœux simples. L'hôpital relevait de la paroisse du Sépulcre, mais il en fut détaché le 20 septembre 1721 : le curé ayant réclamé contre ce démembrement de sa juridiction, l'évêque d'Amiens obligea l'hôpital à lui payer une indemnité annuelle de 10 liv. (9 septembre 1742.) Toujours occupée de pourvoir aux besoins des malades, mademoiselle Rallu fit une fondation de 600 liv. de rente pour l'établissement d'une pharmacie destinée au service de la maison et au infirmes de la campagne ; les dames de l'hôpital s'adonnèrent à la composition des remèdes, et elles acquirent bientôt une expérience qui les mit en réputation. Grâce à la générosité de la supérieure, un chapelain, pourvu d'un traitement de 500 liv. par an, fut attaché à lai maison ; il devait y résider constamment, et se consacrer à instruire et à consoler les pauvres.
Les lettres patentes confirmatives de l'hôpital, accordées par Louis XV en 1728, enregistrées au parlement le 18 mars 1729, énumèrent les divers avantages dont cet établissement était en jouissance ; les renseignements qu'elles contiennent méritent d'être placés sous les yeux du lecteur :
« Louis par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre, à tous présens et à venir salut. Le feu roi de glorieuse mémoire, notre très-honoré seigneur et bisaïeul, ayant établi par lettres patentes du mois de mars 1701, un hôpital général dans la ville de Mondidier pour y enfermer les pauvres valides de l'un et de l'autre sexe, tant de la ville que de la banlieue, cet hôpital ne se trouvant pas encore dans sa perfection et les pauvres gens ayant besoin de personnes pour les régir, servir, médicamenter et instruire ; notre bien-amée demoiselle Anne-Marguerite Rallu, nièce de la feue demoiselle Geneviève Lempereur, qui avoit commencé le premier établissement dudit hôpital, animée du même esprit de charité envers les pauvres, en a pris la conduite, y a fait construire quelques bâtimens, y a fait une fondation le 28 septembre 1720, et offre encore d'en faire une autre en faveur et pour augmenter le nombre des Sœurs déjà établies par notre amé et féal conseiller le sieur évêque d'Amiens, et suivre ensemble les règles et constitutions par lui approuvées à l'instar des filles de Sainte-Geneviève, établies à Paris par la feue dame de Miramion ; ledit sieur évêque d'Amiens a aussi confirmé, par décret du 20 septembre 1724, le droit d'un chapelain pour y dire la messe, y administrer les sacrements et y faire les autres fonctions ecclésiastiques, et a réuni à l'église dudit hôpital la chapelle de Saint-Nicolas d'Hangest-en-Sangterre, le 25 juillet 1727. Nos chers et bien amés les administrateurs et bienfaiteurs dudit hôpital nous ont fait remontrer que, pour le mettre en état de recevoir aussi les pauvres invalides qu'on y enferme journellement en exécution de notre déclaration du 18 juillet 1724 , ils avoient besoin de quelque secours, de même que de nos lettres de confirmation de tous les nouveaux établissements, afin de les rendre stables et permanens à perpétuité.
A ces causes, voulant favorablement traiter les exposants et seconder leurs bienfaits et pieuses intentions pour le soulagement et instruction des pauvres, de notre grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale, nous avons approuvé, confirmé et autorisé, approuvons, confirmons et autorisons par ces présentes signées de notre main l'établissement dudit hôpital par lettres patentes du feu roi notre bisaïeul du mois de mars 1701, la fondation faite par ladite demoiselle Anne Marguerite Rallu, le 28 septembre 1720, ensemble l'établissement des filles nécessaires pour la conduite dudit hôpital approuvé par le sieur évêque d'Amiens sous le titre de Filles de la Sainte-Trinité, le 5 septembre 1724, et de celles que ladite demoiselle et ses Sœurs après elle pourront s'associer, et dont le nombre sera fixé par ledit sieur évêque d'Amiens pour vivre en communauté sans être séparées dudit hôpital, continuer ainsi qu'elles ont fait jusqu'à présent dans la direction et service des pauvres d'icelui à perpétuité, panser et médicamenter les pauvres affligés de plaies et d'infirmités comme elles l'ont pratiqué, et suivre les règles et constitutions qui leur ont été et seront données par ledit sieur évêque, à l'instar des filles de Sainte-Geneviève établies à Paris, destinées à l'exercice des œuvres de miséricorde ; confirmons pareillement l'établissement qui a été fait d'un chapelain par ledit sieur évêque pour dire la messe dans ledit hôpital, y administrer les sacrements, et y faire toutes les fonctions ecclésiastiques qui se font dans les autres hôpitaux de notre royaume et la réunion de la chapelle de Saint-Nicolas d'Hangest-en-Sangterre par décret du 25 juillet 1727, ci-attaché avec les constitutions faites pour ledit hôpital, et autres pièces attachées sous le contre. scel de notre chancellerie ; voulons et nous plaît que la donation de 24,000 liv. faite par ladite demoiselle Rallu, celles qu'elle pourroit faire encore dans la suite, et toutes celles qui seront faites en faveur dudit hôpital dans l'espace de six années à venir, soient enregistrées et insinuées partout où besoin sera sans payer aucuns droits, comme aussi que tous dons, legs et aumônes faits en termes généraux aux pauvres dans l'étendue de l'élection de Mondidier, les aumônes forcées, amendes et confiscations, soient et demeurent appliquées audit hôpital. Si donnons à nos amés et féaux conseillers les gens de notre cour de parlement, à Paris, et à tous autres nos officiers et justiciers qu'il appartiendra, que ces présentes ils aient à enregistrer et de leur contenu faire jouir et user ledit hôpital pleinement, paisiblement et perpétuellement, cessant et faisant cesser tous troubles et empeschemens contraires sauf en autre chose notre droit et l'autrui en tout, car tel est notre plaisir, et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre notre scel à ces présentes. Donné à Versailles, au mois de mars l'an de grâce 1728, et de notre règne le treizième. Louis. Par le roi, Phelipeaux. »
« La cour ordonne que lesdites lettres patentes et les décrets de l'évêque d'Amiens des 20 septembre 1724 et 25 juillet 1727 seront registrés au greffe d'icelle pour être exécutés selon leur forme et teneur, et pour jouir par les administrateurs dudit hôpital et les Sœurs et antres qui le desserviront de l'effet et contenu des lettres et décrets aux charges, clauses et conditions y contenues et en l'arrest d'enregistrement des lettres patentes du mois de mars 170I et du 28 septembre 1720, sans que ledit établissement desdites Sœurs puisse être regardé comme une communauté de religieuses, ni un établissement séparé dudit hôpital, ni qu'elles puissent avoir des biens autres que ceux dudit hôpital, régi et administré par les administrateurs dudit hôpital, ordonne que le contrat qui sera fait au temps de la réception de chaque Sœur sera fait avec les administrateurs dudit hôpital, et conformément aux canons de l'Église et aux ordonnances du royaume, sans que l'établissement des maîtresses d'école, porté dans le chapitre 7, puisse être fait que conformément aux ordonnances et sans déroger aux lois et déclarations du roy qui concernent les médecins et chirurgiens, le tout sans que l'évêque d'Amiens puisse prétendre aucune juridiction que la juridiction spirituelle dans ledit hôpital, ni d'autre part dans l'administration temporelle que celle qu'il peut avoir comme premier administrateur suivant l'édit de 1695, et sans approbation d'autres statuts qui ne soient registrés en la cour. » Arrêt du parlement du 18 mars 1729.
Mademoiselle Rallu se dépouillait successivement de ce qui lui appartenait en faveur de l'hôpital. Le 26 juillet 1730, elle fit une seconde donation de 21,000 liv. destinées en partie à être employées en constructions : cette généreuse dame, que l'on peut regarder comme la seconde fondatrice de la maison, mourut le 30 septembre 1741, à l'âge de soixante-quatre ans ; elle est enterrée dans la chapelle qu'elle avait enrichie de ses dons ; une inscription gravée sur une table de marbre rappelle sa mémoire et ses bienfaits.
Non contente de faire le bien de son vivant, mademoiselle Rallu voulut encore le faire après sa mort. Par testament en date du 6 septembre 1732, et codicilles postérieurs, elle légua à l'hôpital une somme de 100,000 liv. environ, et fonda six places de pensionnaires pour six filles nobles ou de bonnes maisons, qui seraient dans le besoin, et pourraient être élevées dans la maison depuis l'âge de huit ans jusqu'à dix-sept ans ; les administrateurs y donnèrent leur consentement le 10 octobre 1731, dans une assemblée à laquelle assistaient l'évêque, l'intendant de la province et le duc de Chaulnes, gouverneur d'Amiens. Cette fondation se conserva jusqu'à la Révolution, à quelques modifications près : en 1789, l'hôpital instruisait encore gratuitement six filles nobles et deux filles de condition bourgeoise, qui entraient à dix ans et sortaient à dix-huit. Le nombre des religieuses devait, d'après le testament de mademoiselle Rallu, être porté de six à huit ; elle désigna, pour ses exécuteurs testamentaires, M. Cocquerel, conseiller honoraire au bailliage, dont la famille avait la première, en 1670, fait une donation de 2,000 liv. en vue de la fondation d'un hôpital, et la princesse d'Armagnac, fille du maréchal de Noailles.
Par suite du legs de mademoiselle Rallu, l'hôpital se trouvait dans une position avantageuse ; précédemment (1727), le roi lui avait accordé les revenus de la chapelle de Saint-Nicolas d'Hangest, consistant en vingt-deux setiers de blé par an ; en 1768, Mgr d'Orléans de la Motte, évêque d'Amiens, attribua à la maison cinquante journaux de terre, provenant du couvent des sœurs de Saint-François, fermé en 1765 : l'ordre des Célestins ayant été supprimé en France en 1778, cent trente journaux de terre, faisant partie des biens de leur couvent d'Amiens, furent réunis à l'hôpital. La charité privée avait augmenté les ressources de cet établissement : M. de Chamoy, neveu de mademoiselle Rallu, fit don de 1,900 liv. de rente ; l'hôpital hérita de 40,000 liv. en fonds de terre, de Madeleine Mallet, épouse de Pierre Milon de la Morlière, gouverneur de Montdidier ; en 1788, madame Pingré de Fricamps laissa 12,000 liv. pour fonder deux lits en faveur des pauvres de la paroisse de Sourdon : ces actes de générosité trouvèrent des imitateurs dans la ville, et les habitants s'empressèrent de contribuer à la prospérité de la maison, dont l'administration était confiée aux membres du bailliage et de l'échevinage.
La Révolution ne respecta pas plus le bien des pauvres que celui des riches : la loi du 23 messidor an ii (11 juillet 1794) spolia les hospices et annexa leurs propriétés au domaine national. Des lois ultérieures les réintégrèrent dans leurs droits ; celle du 16 vendémiaire an v (7 octobre 1796), en les maintenant dans la jouissance de leurs biens, a fixé la manière dont ils seraient administrés. Mais cette loi n'a fait que poser la base de l'organisation ; celle du 16 messidor an vii (4 juillet 1799) en a réglementé les parties. Depuis cette époque, le régime hospitalier a subi des changements si divers et si multipliés qu'une révision de la législation sur cette importante matière serait une œuvre éminemment utile.
La Révolution avait bouleversé l'hôpital, le désordre le plus complet s'y était introduit, personne ne se sentait le courage d'y remédier. Il fallait, pour arriver à un résultat efficace, se familiariser avec les lois et les décrets qui surgissaient chaque année, avoir une connaissance approfondie des titres de la maison, dresser l'état des biens qui lui appartenaient, revendiquer ceux dont la propriété était contestée, rétablir l'équilibre entre les recettes et les dépenses ; et, ce qui était aussi difficile, faire reconnaître une autorité dans un établissement d'où la discipline était bannie, où chacun prétendait commander, où personne ne voulait obéir. C'était une mission ingrate que l'on devait remplir, sans autre but que l'amour du bien, sans autre récompense que la critique et l'envie ; c'est à cette œuvre peu attrayante que mon père se dévoua : il était revenu se fixer dans son pays, après avoir servi plusieurs années à l'armée d'Italie ; son goût pour l'étude, son désir d'être utile à ses concitoyens, le portèrent à prendre en main la direction des hospices de sa ville natale : aux talents de l'administrateur il joignait la science du jurisconsulte, l'étude des lois avait occupé sa jeunesse ; cette réunion de connaissances, que l'on rencontrait peu communément à cette époque, était indispensable cependant pour travailler utilement à la réorganisation des hôpitaux.
Les difficultés que mon père eut à surmonter dans les fonctions d'administrateur lui firent prendre la résolution de les rendre moins pénibles à ses successeurs, en leur traçant par écrit les règles qu'ils avaient à suivre, et en leur indiquant les lois et règlements auxquels ils devaient se conformer. Sous le titre de Mémorial d'un administrateur des hospices civils de Montdidier, il composa un des premiers traités sur la matière, et, le 23 novembre 1810, il mit généreusement le fruit de ses veilles à la disposition de ses collègues. Dans les Observations préliminaires, il expose ainsi le but de l'ouvrage et les obstacles qu'il eut à vaincre : « Les hospices, considérés quelque temps comme des établissements municipaux, étaient placés uniquement sous la surveillance des conseils des communes... ils furent ensuite rattachés à l'administration générale et soumis à la surveillance directe du gouvernement ; mais la législation sur ces hospices est devenue en même temps plus compliquée, l'administrateur est obligé d'interroger les anciens édits, les arrêts, les règlements, les lois nouvelles, les arrêtés, les décrets du gouvernement, les décisions, les instructions des ministres et celles des préfets ; au milieu de tant de dispositions éparses et différentes, il est difficile qu'il puisse toujours reconnaître celles qu'il doit consulter ; il est à désirer qu'il y ait pour les hospices une instruction générale qui embrasse toutes les parties de leur administration et de leur comptabilité... Une expérience de plusieurs années m'en a fait sentir le besoin : malgré un travail suivi, je n'ai pas été à l'abri de fréquentes erreurs ; mais, aussitôt que je les ai eu reconnues, j'ai pris note de la loi, de l'arrêté ou de l'instruction qui devait m'éclairer, et il est résulté de mes recherches une masse d'observations que j'ai cru utile de mettre en ordre pour me diriger à l'avenir.
Je tire aujourd'hui ces observations de l'obscurité à laquelle je les avais condamnées ; je les communique à mes collègues, dans l'espoir qu'elles en feront naître d'autres plus étendues et plus instructives : voilà mon but, mon seul but. »
Le manuscrit forme un volume in-folio, de 174 pages, divisé en trois parties : la première traite de la composition de la commission administrative, de ses devoirs, des actes qui rentrent dans ses attributions ; la seconde concerne les militaires malades, et la troisième les enfants trouvés. La plus grande clarté règne dans l'ouvrage, et, en lisant chaque chapitre, on se rend compte de suite de l'administration d'un hospice ; l'auteur a soin d'indiquer, au bas de chaque page, les lois et arrêts auxquels il a eu recours, de sorte que l'on peut vérifier l'exactitude des principes qu'il pose. Ce travail peut encore être consulté avec fruit, bien que, depuis 1810, la législation qui régit les établissements de charité ait été modifiée. Aussi modeste que laborieux, mon père ne chercha point à acquérir une réputation que la publication de son livre lui eût faite assurément ; il se contenta de faire profiter ses collègues de ses recherches, s'estimant assez récompensé de faire le bien par le plaisir de le faire ; toujours empressé d'obliger, il ne cessa jamais, jusqu'au moment où il fut appelé aux fonctions de président à la cour royale d'Amiens, de coopérer activement à l'administration des hospices de Montdidier. Puisse le souvenir des services qu'il a rendus préserver son nom de l'injure du temps !
En vertu d'une loi du 7 septembre 1802, les hospices de Montdidier furent mis en possession de biens nationaux estimés 137,000 francs, et consistant presque entièrement en bois situés dans les cantons de Montdidier et de Bernaville. Ils en jouirent jusqu'en 1817 ; à cette époque, les anciens propriétaires les revendiquèrent, se fondant sur ce que les hospices n'avaient pas éprouvé de pertes suffisantes pour en obtenir la conservation ; leur demande fut accueillie, et nos établissements se virent dépossédés d'une partie de ces biens, dont ils ne gardèrent qu'un tiers environ provenant de couvents supprimés.
La séparation de l'Hôtel-Dieu et de l'hôpital, dans une ville aussi peu importante que Montdidier, se conçoit, lorsqu'on se reporte à l'époque de leur création ; mais, de nos jours, cette division n'avait aucune utilité : elle ne servait qu'à augmenter les dépenses, sans présenter le moindre avantage. Dès 1787, l'idée de fondre les deux maisons en une seule avait été émise ; les bâtiments de l'hôpital étant en très-mauvais état, on songeait à le réédifier déjà les matériaux étaient achetés, et le moment semblait opportun pour opérer la combinaison projetée, quand les événements obligèrent de renoncer à cette pensée. En 1823, l'administration réclama de nouveau la réunion des établissements. Les revenus, partagés en deux, devenaient insuffisants ; le nombre des pauvres, qui en 1790 était de cent à cent vingt à l'hôpital, se trouvait réduit à soixante ; il eût fallu le diminuer encore : une pareille nécessité était fâcheuse pour la classe indigente. L'Hôtel-Dieu, dont on demandait la suppression, ne présentait aucun des avantages que l'on doit exiger d'un établissement de ce genre : le local était trop restreint ; les malades des deux sexes, au lieu d'être isolés complétement, étaient placés dans deux salles contiguës, séparées par une petite barrière de bois ; les fenêtres donnaient sur l'ancien cimetière de Saint-Pierre ; il n'y avait qu'une cour assez triste, pas de jardin ; les malades, pour faire un peu d'exercice, étaient obligés de sortir en ville, ce qui occasionnait une foule d'abus. La réunion de l'Hôtel-Dieu à l'hôpital faisait disparaître tous ces inconvénients ; l'urgence de cette mesure fut signalée à l'administration supérieure, qui s'empressa de la reconnaître et d'y faire droit.
La réunion fut prononcée par une ordonnance royale du 8 octobre 1823, mais elle ne put être effectuée immédiatement ; des constructions nouvelles, des changements considérables, étaient nécessaires. La générosité de madame de Méry, fille unique de M. de Saint-Fussien de Vignereul, président en l'élection et maire de Montdidier avant la Révolution, permit de se mettre à l'œuvre plus tôt qu'on ne l'aurait espéré. Par son testament du 26 juin 1824, cette dame, à l'instigation de M. Duquesnel, médecin des pauvres, légua une somme de 50,000 fr. aux hospices de sa ville. Cet acte de libéralité augmenta considérablement les ressources sur lesquelles on comptait ; il n'y avait plus à différer, et, le 5 septembre 1825, l'entreprise du nouvel hôpital fut adjugée à Vincent Duvillé, menuisier à Montdidier, moyennant la somme de 103,601 fr. : l'exécution, cette fois du moins, n'a pas trompé l'attente du public.
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