Histoire de Montdidier
Livre II - Chapitre III - § II - Section IV
par Victor de Beauvillé
Section IV
La mairie devient un office vénal
Organisation municipale au dix-huitième siècle
« Sur l'advis donné au roy il y a environ un an des divisions et désordres qui estoient arrivés dans la ville de Montdidier entre plusieurs habitants au subjet de l'eslection des mayeur et eschevins faite le lendemain de la feste de Pasques, Sa Majesté, par arrêt de son conseil d'Estat du 10 mai de l'année dernière 1675, auroit ordonné au sr de Breteuil, conseiller de Sa Majésté en ses conseils, maistre des requestes ordinaires de son hostel, intendant de justice en Picardie, de prendre cognoissance de tout ce qui s'estoit passé en ladite élection, en dresser procès-verbal, et iceluy envoier avec son advis pour estre par Sa Majesté ordonné ce qu'il appartiendra. A quoy ayant satisfait Sa Majesté lui auroit par sa lettre de cachet du 22me janvier dernier, ordonné de travailler au règlement qu'il jugeroit estre à faire, pour le bien de son service et le repos et tranquillité de ladite ville concernant la forme de l'eslection desdits mayeur et eschevins pour l'advenir, ce qu'il auroit exécuté ainsi qu'il appert par son procès-verbal du neufviesme mars dernier au bas duquel est son advis, dont le rapport ayant esté fait à Sa Majesté elle a conformément a iceluy réglé et ordonné ce qui en suit :
Premièrement, que dors en avant tous les ans le lendemain de la Pentecoste au lieu du lendemain de Pasques les habitants s'assembleront à l'issue de la messe de paroisse chez les scindics des communautés et chez les maires des bannières et esliront à la pluralité des voix et suffrages un nouveau scindic ou maire de bannière qui demeureront en charge pendant une année, et en même temps que lesdits nouveaux scindics et maires de bannières auront esté attestés, sera procédé en la mesme manière à la pluralité des voix à la nomination d'une personne pour faire la charge de mayeur, dont l'acte sera bien et deuement signé et mis ès mains du nouveau scindic ou maire de bannière.
Puis sera procédé à la nomination et eslection de trois autres personnes pour eschevins, aussi à la pluralité des suffrages, et l'acte de nomination aussi signé en bonne forme sera pareillement mis ès mains du nouveau scindic ou maire de bannière.
Que le mesme jour a l'issue de vespres tous les scindics et maires de bannières chargés de leurs procurations et des actes de nominations se rendront en l'hostel de ville, où se trouvera le lieutenant général, le procureur du roy, les mayeur et eschevins en charge, advocat et procureurs fiscaux et les greffiers tant du bailliage que de l'hostel de ville, et ledit lieutenant général ayant reçu tous les actes de nomination d'un nouveau mayeur par les mains desdits scindics et maires de bannières, en sera fait lecture par le greffier du bailliage, et celuy qui se trouvera avoir le plus de voix par la lecture des actes de nomination sera déclaré et censé aussitôt mayeur en la présence de toute l'assemblée.
Ensuite sera pareillement fait lecture des listes des nouveaux eschevins, et les trois ayant plus de suffrages seront admis à cette fonction ; et à cet effet de tout ce que dessus sera dressé procès verbal qui sera signé dudit lieutenant général, procureur du roy, mayeur, eschevins, scindics, maires de bannières et greffiers. Et s'il se trouve que des personnes soient en égalité de voix pour la charge de mayeur ou pour celle des eschevins, les scindics et maires de bannières donneront sur le champ leurs suffrages par écrit à celuy des deux qu'ils jugeront plus capable de la charge, et celuy qui aura plus de suffrages demeurera pour mayeur ou eschevin, lequel scindic ou maire de bannière ne pourra estre continué l'année suivante. Ce fait et à l'instant lesdits nouveaux mayeur et eschevins seront conduits à l'hostel de ville scavoir, le mayeur par les advocat et procureur fiscaux et greffier de l'eschevinage et les eschevins par un des sergents de la ville, et aussitôt leur arrivée la cloche estant sonnée, le lieutenant général fera prester le serment tant audit nouveau qu'ausdits quatre eschevins en présence de tous les habitants, les grandes portes ouvertes en la manière accoutumée.
Celui qui aura fait son année de fonction de mayeur demeurera pour premier eschevin l'année suivante.
Le mayeur après une année de fonction, et une autre en celle de premier eschevin, ne pourra rentrer en charge soit de mayeur soit d'eschevin, qu'après trois années révolues. Les eschevins ne pourront pareillement estre continués une seconde année, mais pourront rentrer en charge par nomination après deux années d'intermission. L'ancien mayeur, en qualité de premier eschevin, marchera immédiatement après le mayeur, et après luy celui des eschevins qui aura esté le plus nommé et ainsi des autres.
Les mayeur et eschevins sortans de charge ne feront à l'advenir qu'un corps de communauté pour la nomination des nouveaux mayeur et eschevins, et les nommeront entre eux à la pluralité des voix ainsi que les autres communautés.
Tous les habitants vivants de leurs rentes et qui ne sont ny de communauté ny de bannières, nommeront entre eux un scindic chez lequel ils s'assembleront pour donner leurs voix ainsi que les autres communautés ou bannières.
Le père et le fils, le frère et le beau-frère, oncle et neveu, beau-père et gendre, ne pourront estre en charge la mesme année.
En l'absence du lieutenant général le lieutenant criminel présidera, et en l'absence de l'un et de l'autre le lieutenant particulier.
Veut et entend Sa Majesté que le tout soit dors en avant observé et exécuté selon sa forme et teneur, sans souffrir qu'il y soit contrevenu, enjoint aux intendans de la province de Picardie d'y tenir la main, et audit sieur de Breteuil de faire enregistrer le présent règlement ès registres de la maison de ville pour y avoir recours en cas de besoin.
Fait et arresté par le roy en son conseil d'estat tenu à Montdidier, le dix-septième jour d'avril mil six cent soixante-seize. Louis.
Phelippeaux. »
Ce règlement est fort explicite ; il peut se passer de commentaire. D'après la nouvelle organisation, tous les habitants se trouvaient répartis en dix-sept communautés et corps de bannières qui concouraient ensemble, à la nomination du maïeur. Ces corps et communautés étaient ceux du bailliage ; de la prévôté ; de l'élection ; de la mairie ; des avocats ; des médecins, apothicaires et chirurgiens ; des bourgeois vivant de leurs rentes ; des tanneurs ; des tailleurs ; des officiers du grenier à sel ; des procureurs ; des sergents ; des marchands ; des maçons ; des bouchers ; des pâtissiers ; des boulangers. L'ordonnance de 1676 semblait devoir empêcher toutes contestations ; il n'en fut rien cependant, et l'élection de 1679 vit se rallumer, plus ardentes que jamais, les brigues et les cabales, à tel point que le gouvernement dut intervenir une seconde fois. Le 24 juillet 1679, Louis XIV rendit une autre ordonnance dans laquelle il ajoutait aux dispositions de la précédente, et prévenait le retour de difficultés semblables à celles qui s'étaient élevées entre de Lestocq et de la Morlière ; la lecture de ce nouveau règlement fait connaître en partie la nature des embarras auxquels il s'agissait de remédier, et donne une idée complète de l'organisation municipale à la fin, du dix-septième siècle.
« Sur ce qui a esté remontré au roy estant en son conseil qu'à l'occasion de l'eslection qui se devoit faire en la ville de Montdidier le lendemain de la Pentecoste dernière du mayeur de la dite ville, s'estant par brigues et monopoles formés deux partis l'un pour le sieur de Lestocq et l'autre pour le sieur de la Morlière, ils auroient tous deux esté nommés et comme ledit sieur de la Morlière auroit eu huit voix non contestées contre six aussi non contestées pour ledit sieur de Lestocq, le sieur lieutenant general de ladite ville auroit le mesme jour reçu le serment dudit sieur de la Morlière, et bien que par ce moyen son élection se trouvast consommée, néanmoins, le lieutenant criminel de la dite ville n'auroit laissé contre tout ordre, de faire prester le serment le lendemain de celuy dudit sieur de la Morlière audit sieur de Lestocq, dont le sieur de Breteuil, conseiller et intendant de justice de Picardie ayant esté informé il en auroit pris connoissance pour éviter le désordre qui en pouvoit arriver et ensuite donné avis de tout ce qui s'estoit passé à Sa Majesté, laquelle voulant y pourvoir et prevenir à l'avenir toutes contestations quy pourroient naître au sujet de l'eslection des mayeur et échevins de ladite ville, ouy le rapport tout consideré :
Le roy estant en son conseil a confirmé et confirme l'eslection faite dudit sieur de la Morlière pour mayeur de la dite ville de Montdidier et pour en faire les fonctions pendant la présente année jusqu'au jour ordonné pour le renouvellement de l'eschevinage, ordonne Sa Majesté à tous les habitants de la dite ville de le reconnoitre et obeir en ladite qualité, cependant que le règlement fait par Sa Majesté le 17 avril 1676 au sujet de l'eslection des dits mayeur et eschevins de Montdidier sera executé selon sa forme et teneur.
Que doresnavant les mayeur et eschevins en charge seront tenus de donner leurs suffrages dans le corps de la mairie pour la nomination des nouveaux mayeur et eschevins qui leur doivent succeder sans pouvoir quitter le corps de l'eschevinage pour passer dans un autre où ils pourroient avoir voix lorsqu'ils ne sont pas majeur lieutenant ou eschevins.
Que ceux qui ont ou auront des charges ou entrées dans deux corps ou communautés ne pourront attendre le jour de l'eslection à choisir dans lequel ils voudront donner leurs suffrages, ains seront tenus faire ce choix quinzaine après leur installation dans les dites charges et par ceux qui y sont présentement quinzaine après la publication du présent arrest, laquelle option demeurera irrévocable et sera enregistrée à cet effet au greffe de la maison de ville pour y avoir recours, sinon et à faute de déclarer ce choix dans le dit temps ils ne pourront donner leur voix que dans le corps le plus honorable ou dans celuy où ils sont chefs en titre d'office.
Que les officiers commensaux des maisons roialles seront admis pour donner leurs suffrages chacun dans le corps où ils étoient ou devaient estre avant d'estre pourveus de leurs offices, si bon leur semble.
Que les procurations de chaque corps ou communautés contiendront à l'avenir l'heure, la rue et la maison du scindic ou maire de bannière où elle seroit passée, et au défaut de cette observation la procuration sera rejettée de plein droit sur la requisition qui en sera faite par le sieur procureur de Sa Majesté ou sur la remarque qu'en pourroit faire le sieur lieutenant general, et sera le notaire qui l'aura recue condamné en deux cents liv. d'amende,. et quand il n'y aura point de notaire les habitants quy l'auront signé en pareille amende paiable solidairement.
Leur fait sa dite Majesté deffenses sous les mesmes peines de signer les procurations à heure indue ailleurs qu'en la maison du scindic ou maire de banniere et d'en recevoir aucune après coup.
A cette fin pour faire connoistre les dits scindics ou maires de bannieres, le nom du nouveau qui sera élu le jour ordinaire sera enregistré à la maison de ville comme porteur de la procuration de sa communauté dont lui sera delivré un acte au pied duquel l'année suivante la procuration sera escrite pour la prochaine eslection.
Et en cas de décès dudit scindic ou maire de bannière, la communauté sera tenue de s'assembler dans vingt-quatre heures et d'en élire un autre en sa place dont le nom sera pareillement enregistré en la maison de ville.
Et lorsque les voix d'une communauté ou corps seront partagées, elles demeureront caduques et sans effet.
Et sera suivant l'article 3 dudit règlement de 1676, procédé le jour ordinaire de l'eslection sans aucun delay sous quelque prétexte que ce puisse être à la réception du serment du mayeur en faveur de celui qui aura le plus de voix incontestables, sauf à ceux qui prétendront dans icelles quelques nullités à faire leurs protestations pour y être ensuite pourveu en connoissance de cause. Veut Sa dite Majesté que tout ce que dessus soit ponctuellement exécuté, à peine de nullité des actes qui se trouveront contraires, et de l'amende de 200 liv. y mentionnée, et que le présent arrest soit enregistré ès registres de l'hotel de ville de Montdidier pour y avoir recours quand besoin sera. Fait au conseil d'État du roy Sa Majesté y estant, tenu à Saint-Germain-en-Laye, le 24 juillet 1679. Louis.
Phelippeaux. »
Ces règlements de 1676 et 1679, dans lesquels on remarque, il est juste de le reconnaître, d'excellentes dispositions, n'en étaient pas moins le signe certain du prochain anéantissement des vieilles libertés communales. L'intervention de l'autorité royale dans les affaires de la cité devait infailliblement entraîner la ruine du pouvoir municipal, basé, comme il l'avait été jusqu'alors, sur la souveraineté populaire.
La nécessité de changer de maire chaque année souleva des réclamations. Les habitants adressèrent une requête au roi en 1685, afin d'obtenir l'autorisation de continuer ce magistrat deux années de suite, représentant qu'une seule année était insuffisante pour se mettre au courant des affaires, et que le maïeur commençait à peine à les connaître quand il lui fallait résigner ses fonctions. Cette demande était raisonnable, mais le roi ne voulut rien modifier, et l'élection du maïeur, qu'on avait différée exprès afin d'avoir la réponse de la cour, n'eut lieu cette année que le 2 septembre, au lieu du lendemain de la Pentecôte.
En 1692, la mairie perdit son plus beau privilége, celui d'être conférée par le libre suffrage des habitants. Les embarras financiers causés par de longues guerres obligèrent Louis XIV à chercher dans la vénalité des charges le moyen de se procurer de l'argent. L'ordonnance du mois d'août 1692 détruisit en France les antiques franchises municipales ; la mairie devint une charge vénale, et la propriété à vie de celui qui s'en rendait l'acquéreur. Une fois lancé dans cette voie, il n'y avait pas de raison pour s'arrêter. En 1702, le roi établit un lieutenant de la mairie, à vie comme le maire ; les places d'échevins et celles d'officiers de la ville ne tardèrent pas à subir le même sort ; elles furent érigées en titre d'office (1704). On se plaignit, on murmura, mais on obéit : la mairie n'existait plus que sous le bon plaisir du roi ; aussi, dans le dix-huitième siècle, l'histoire municipale ne présente qu'une suite de changements continuels.
Louis XIV institua, en 1706, des maires perpétuels alternatifs et triennaux. Il y eut dans la ville deux maires nommés à vie, qui se succédaient et faisaient les fonctions à tour de rôle ; quand l'un avait accompli ses trois ans, l'autre le remplaçait. Le cumul des places, qui nuisait, disait-on, à l'exercice régulier du mandat municipal, détermina le roi à créer ces deux maïeurs, qui devaient se relever ainsi comme des soldats à leur poste ; en 1709, les échevins furent également déclarés alternatifs et triennaux. Ce système dura jusqu'en 1714 ; la vénalité des charges fut alors supprimée et l'élection des maires et des échevins rendue aux habitants, à la condition d'indemniser les titulaires ; une déclaration du roi, du 17 juillet 1717, portait que le maire et les autres officiers de l'hôtel de ville seraient élus comme ils l'étaient avant 1690.
On pouvait croire que ce retour à l'ancien ordre de choses serait de longue durée : il n'en fut rien. Le besoin d'argent fit rétablir, en 1727, la vénalité des charges municipales. Les villes furent autorisées à soumissionner comme les simples particuliers : si elles étaient déclarées adjudicataires, elles désignaient au choix du roi une personne à laquelle on expédiait des lettres de grand sceau pour remplir les fonctions de maire ; mais, en 1 733, on revint à la nomination pure et simple par ordonnance royale, pour, quelques années après (1748), abandonner ce mode et revenir à l'élection. Le prix des offices fut remboursé à ceux qui en avaient fait l'acquisition. Le 4 août 1759 parut un règlement qui modifiait celui de 1676, observé chaque fois que le peuple choisissait ses magistrats. L'élection se fit le jour de la Nativité de la Vierge (8 septembre), au lieu du lendemain de la Pentecôte ; les syndics des communautés nommaient le maire et les échevins, avec obligation expresse de prendre un de ces derniers parmi les marchands. En même temps qu'on procédait à cette élection, on désignait l'échevin qui devait être maire l'année suivante : ainsi ce magistrat était toujours nommé un an à l'avance. Le motif de ce changement fut, comme on l'avait invoqué en 1685, qu'une année ne suffisait point pour acquérir la connaissance des affaires, et que les formalités exigées par l'ordonnance de 1679 donnaient lieu à des nullités : l'œuvre de Louis XIV était réprouvée par son successeur.
Les corps qui, d'après le règlement imprimé de 1759, avaient droit de voter, étaient au nombre de quinze : la mairie ; le bailliage ; l'élection ; le grenier à sel ; les avocats ; les médecins, chirurgiens et apothicaires ; les notaires ; les procureurs ; les officiers du roi avec les bourgeois vivant de leurs rentes ; les marchands ; les bonnetiers faisant le commerce de bas au métier à boutique ouverte ; les huissiers et sergents royaux ; les bouchers, tanneurs et cordonniers, les cuisiniers, pâtissiers et boulangers ; les tailleurs, perruquiers, menuisiers et tous autres métiers ayant jurandes avec statuts enregistrés. Les corporations libérales, plus nombreuses que les autres, devaient nécessairement l'emporter, c'était le contraire au seizième siècle : alors les hommes de loi n'avaient pas même la faculté de participer à la nomination des trois candidats sur lesquels devait se fixer le choix populaire.
Le personnel de l'hôtel de ville était resté tel qu'il avait été fixé par l'ordonnance de Louis XIV. Un édit du mois de mai 1765 y apporta de grands changements. Le corps de ville fut composé d'un maire, de deux échevins et de quatre conseillers, tous électifs, plus, d'un syndic-receveur et d'un secrétaire-trésorier. Les communautés et les corps de métier commençaient par choisir des délégués qui nommaient un certain nombre de notables ; ceux-ci élisaient à leur tour les échevins et trois personnes parmi lesquelles le roi désignait celle qu'il jugeait la plus capable de remplir les fonctions de maire ; les notables nommaient ensuite les conseillers de ville. Ces derniers pouvaient assister aux assemblées de la commune ; mais le maire et les échevins n'étaient obligés de les appeler que dans le cas où les notables avaient jugé leur présence indispensable, ou bien encore, lorsque l'affaire réclamait célérité ; à Montdidier, le nombre des notables était fixé à dix. Le maire était nommé pour trois ans ; les échevins, pour deux ; les conseillers et les notables, pour quatre. Ce mode électoral n'eut pas une durée plus longue que ceux qui l'avaient précédé. En 1771, les dignités municipales furent de nouveau érigées en titre d'office ; M. de Saint-Fussien de Vignereul, président en l'élection, acheta, l'année suivante, la charge de maire, et la posséda jusqu'à la Révolution. La composition du corps municipal, déterminée par l'édit de 1765, subit une nouvelle modification : le nombre des conseillers fut réduit à deux ; ils étaient nommés par le roi, et pouvaient transmettre leurs places à leurs héritiers. En 1789, le maire était assisté de deux échevins, de deux conseillers et d'un procureur. Il y avait en outre un greffier, deux receveurs, un sergent à masse, trois sergents et quatre fusiliers. En 1765, le receveur de la ville touchait 600 liv. ; le secrétaire-greffier, 72 liv. ; le sergent-concierge, 30 liv. ; les trois autres sergents, 25 liv. ; les hallebardiers, 3 liv. : tout a bien augmenté depuis.
L'intitulé des ordonnances de la mairie était des plus pompeux : dans son règlement de police de 1763, Claude Mallet, conseiller du roi et son avocat au bailliage, prend les titres de Maire de la ville de Montdidier, seigneur haut justicier, voyer, juge civil et criminel, lieutenant général de police de ladite ville, faubourg et banlieue, commandant les troupes de Sa Majesté dans ladite place par l'absence de messieurs les gouverneurs lieutenants du roi.
La Révolution renversa tout cet échafaudage de titres, supprima la vénalité des places, abolit l'hérédité des charges et rétablit l'élection, source véritable du pouvoir municipal. La liste des électeurs de la commune comprenait tous les citoyens actifs, c'est-à-dire payant au moins 3 liv. d'impôt ou faisant trois journées de travail ; pour être éligible il fallait payer 10 liv. ou faire dix journées de travail : c'était presque le suffrage universel ; les vagabonds, les mendiants et les fainéants étaient seuls exclus, car tout le monde pouvait remplir les conditions exigées pour, avoir le droit de voter. La municipalité se composait du maire, de huit officiers municipaux, de dix-huit notables et d'un procureur ; la réunion de ces différentes personnes formait le conseil général de la commune. Pour bien apprécier le système municipal de cette époque, il faut lire les décrets de l'Assemblée nationale des 12, 29 et 30 décembre 1789, ainsi que l'instruction de le même Assemblée, du 14 décembre de ladite année, sur la formation des nouvelles municipalités dans toute l'étendue du royaume.
Comme on peut le voir d'après l'exposé que nous venons de faire, l'organisation communale varia constamment dans le dernier siècle. Les maires exercent, soit en vertu d'une commission, soit par suite de lettres de cachet ; ils sont nommés tantôt â vie, tantôt pour un certain nombre d'années ; souvent la charge de maire s'achète et se vend ; puis l'élection est rendue au peuple pour lui être enlevée peu après : rien de fixe, rien de stable.
Bien qu'elle ait eu à souffrir des altérations profondes qui avaient gravement affecté son caractère et dénaturé son origine, la mairie, depuis Philippe-Auguste, n'avait cependant jamais été interrompue ; le nom de maire ou de maïeur figure toujours en tête des actes émanant de la commune. La constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795) fit disparaître cette antique dénomination, et lui substitua celle d'agent municipal. Dans les communes au-dessous de cinq mille âmes, porte l'article 1797 il y aura un agent municipal et un adjoint. L'article 180 ajoute : La réunion des agents municipaux de chaque commune forme la municipalité du canton. L'agent municipal et son adjoint étaient électifs et nominés pour deux ans. On peut consulter, sur les attributions de ces nouveaux magistrats, la loi du 21 fructidor an iv (7 septembre 1796), et celle du 5 ventôse an v (23 février 1797).
La constitution de l'an III, en conservant aux citoyens le droit d'élire l'agent municipal, entretenait dans les esprits des sentiments de liberté qui s'accordaient peu avec le génie ombrageux et despotique du premier consul. Par une politique adroite, Bonaparte rétablit les maires ; mais en même temps, agissant avec l'habileté qui le caractérisait, il supprima le droit d'élection, et confisqua le dernier reste des libertés nationales. La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) remplaça les agents municipaux par des maires et des adjoints ; à Montdidier, le conseil municipal fut composé d'un maire, de deux adjoints et de vingt conseillers municipaux nommés par le préfet ; les maires et adjoints n'étaient que de dociles instruments entre les mains du pouvoir.
La révolution de 1830, en proclamant le principe de la souveraineté populaire, reconstitua le pouvoir municipal sur sa véritable base ; l'élection fut remise en vigueur. La loi du 21 mars 1831 contient tous les principes qui régissent la matière. Les membres du conseil municipal étaient élus par des électeurs communaux ; le roi nommait le maire et les deux adjoints ; le minimum de la cote, pour être électeur municipal à Montdidier, était de 48 francs.
La république de 1848 supprima le cens et décréta le suffrage universel. Dans les communes au-dessous de six mille âmes, le peuple élisait directement le maire et les adjoints ; dans les chefs-lieux de sous-préfecture, même dans ceux dont la population n'atteignait pas ce chiffre, ces fonctionnaires étaient nommés par le président de la République. Ainsi, à Montdidier les habitants ne choisirent point leurs premiers magistrats, tandis que ceux de Moreuil, de Rosières, etc., jouissaient de cette prérogative ; ce qui était bon à Ayencourt était réputé mauvais à Montdidier : quelle inconséquence ! La loi communale, une des premières dont l'Assemblée nationale aurait dû s'occuper, n'a pu être discutée, et, après deux ans et demi d'une existence stérile, la chambre fut balayée sans qu'elle eût encore abordé la loi fondamentale la plus importante. Expression réelle de l'état de la société, l'organisation municipale est sujette à bien des perturbations ; aussi varie-t-elle fréquemment, et chaque changement de gouvernement est pour elle une cause de nouvelles modifications. D'après la loi du 5 mai 1855, le conseil se compose maintenant du maire, de deux adjoints et de vingt-trois conseillers ; le maire et les adjoints peuvent être pris en dehors du conseil municipal : nous nous abstiendrons de toute réflexion sur cette dernière disposition.
Indépendamment du maire et des deux adjoints, il y a pour le service de la ville un commissaire de police, place créée au mois de février 1830 ; un commissaire aux alignements, qui touche 150 fr., et un secrétaire aux appointements de 1,200 francs. La police est faite par deux sergents de ville qui reçoivent chacun 200 fr., et par deux gardes champêtres dont le salaire est de 300 fr. ; le percepteur fait les fonctions de receveur communal. Jusqu'en 1855, les fonctions du commissaire de police ne s'étendaient pas au delà de la ville ; mais, cette année, l'on a augmenté ses attributions, et maintenant il est chargé de la surveillance du canton ; aussi est-il plutôt l'homme du gouvernement que celui de l'administration municipale. Son traitement, qui n'était autrefois que de 800 fr., est porté à 1,800 fr., dont 300 fr. de frais de bureau. Cette somme devrait être payée en grande partie par les communes du canton, puisqu'elles profitent de la présence de cet agent ; cependant il n'en est rien, et trois d'entre elles seulement, Bus, Davenescourt et Rollot, contribuent pour 315 fr. ; la ville est obligée de payer le reste, soit 1,485 francs. C'est une anomalie. Le budget municipal n'est pas assez considérable pour supporter un fardeau semblable, et il est souverainement injuste de faire payer à la population de Montdidier le temps que le commissaire de police emploie à inspecter les villages voisins.
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