Histoire de Montdidier
Livre I - Pièce justificative 53
par Victor de Beauvillé
Pièce justificative 53
Discours du prévôt de la Villette au prince de Condé.
1653.
« Monseigneur, nous venons ici pour rendre nos très humbles respects à votre altesse royale, et lui representer les justes ressentimens et indispensable necessité où nous nous trouvons aujourd'huy engagés à ne pouvoir pas luy accorder ce qu'elle souhaite de nous sans perdre l'honneur que nos pères et nous-mesmes nous nous sommes acquis par la fidélité inviolable que les uns et les autres ont toujours fait paroître pour leur roy et l'Estat, on ne peut estre téméraire quand cette mesme necessité nous oblige à faire nostre devoir pour nous sauver d'un reproche éternel, entre vaincre et mourir il n'y a pas souvent d'honorable milieu ; n'envisagez pas, s'il vous plaist, Monseigneur, le nombre des habitans de la ville, mais plustot leur courage et leur resolution : le desespoir donne souvent de la force aux plus faibles, et du courage aux plus timides pour les tirer du precipice dont ils sont menacés : Una salus victis, nullam sperare salutem.
Vous sçavez, Monseigneur, que traiter humainement ceux qu'on a subjugués, leur conserver leur privilège et les soulager des tributs, c'est les vaincre deux fois, l'une par les armes et l'autre par la douceur ; c'est alléger les chaînes des nations vaincues, et composer celles qui doivent serrer les autres ; il y en a autant qui se rendent à la générosité qu'à la force, le désespoir s'arme quelquefois contre le vainqueur qui aime le sang.
Si nous voulons conserver la place dans l'obeissance du roy, c'est pour ne point perdre un fleuron de votre couronne, puisque votre sang est celui mesme de notre invincible monarque : quel profit, quelle utilité reviendra-t-il a vostre altesse, quand elle aura donné la ville au pillage ? Elle se verra alors contrainte d'estre le compagnon, ou le spectateur de tous ces desordres, n'en pouvant estre ny le juge ny le medecin ; nous sommes tous persuadés du contraire, que vous considererez, s'il vous plaist, Monseigneur, nos justes ressentimens, et qu'une ame aussi généreuse que la vostre ne voudra point perdre aujourdhuy l'heritage de ses illustres ayeulx qui ont autrefois possedés dans Montdidier le fief des grandes Tournelles d'où sont mouvantes plus de cinquante terres nobles et très considerables, le lieu de Guerbigny ou vous êtes maintenant, et les villages d'alentour estoient encore de leur ancien domaine. Enfin que Votre Altesse voie ce que nous pouvons pour son service, nous luy accorderons volontiers. »
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