Histoire de Montdidier
Livre I - Pièce justificative 51
par Victor de Beauvillé
Pièce justificative 51
Discours que l'on prétend avoir été prononcé par de Févin, lors du siége de Montdidier.
1636.
« Messieurs et mes chers compatriotes que nous sommes heureux de nous voir aujourd'hui à la veille d'une victoire ou d'une mort glorieuse par la résolution que nous devons prendre de vaincre ou mourir. Il sera toujours plus avantageux qu'on dise que nous avons plustot manqué de vie que de courage ! La cognoissance que nous avons de notre misère, ne sert qu'a nous rendre meprisables, il n'est pas bon de les faire cognoistre à nos ennemis pour ne point s'en prevaloir contre nous, vous sçavez qu'on ne peut acquerir de la gloire et de la reputation sans peine et sans fatigue, ny sortir, mesme de l'estat ou nous sommes que par la force et la valeur, qu'il y a ordinairement moins de danger ou il y a moins de crainte, je sais que nous sommes proches du peril et loin du secours, mais apprenons à nous deffendre, et a attaquer plus tot par la force des armes et d'une resolution ferme et constante que par des lieux fortifiés (car alors Montdidier etoit presque sans deffense, manquant de toutes choses, y ayant mesme plusieurs bresches considérables a ses murailles) gardons nous bien d'engourdir nos bras par une nonchalance et un abattement général de nous mesmes, mais au contraire animons les, leur donnant l'action et le mouvement qu'ils doivent avoir pour faire leur devoir, souvenons nous qu'il y a toujours de l'imprudence dans la simplicité, comme de l'orgueil dans l'excès du courage, mesnageons et le temps et les heures qui nous sont de consequence, surtout gardons nous bien de faire de mauvais pas et de suivre de mechants conseils qui nous perdroient asseurement.
Je vous veux representer icy qu'il seroit meilleur pour nous de ne pas prendre les armes, plutot que de les quitter, avant que d'avoir vaincu vos ennemis, ou du moins de les avoir reduit en un estat de ne vous pouvoir faire de mal.
Vous sçavés, messieurs, qu'une belle mort honore toujours la vie passée, quelque desreglée qu'elle ait esté, et qu'il est plus glorieux d'avoir un magnifique tombeau qu'un riche berceau, l'empereur Othon de Saxe parut de ce sentiment quand il a dit ces paroles, aut mors aut vita decora, ou la mort ou une vie glorieuse.
Qui ne sçait que la noblesse est une faculté naturelle qui reside en la semence de nos pères par laquelle ils produisent des enfans propres et faciles à la vertu : en effet l'avantage que nous tirons de nos ancêtres est une teinture de leur sang, et un caractère fort avantageux qui nous porte a bien faire avec tant de puissance qu'elle devient enfin comme une seconde nature, si cela est vray, comme il n'en faut pas douter, que nos pères et ayeuls ont esté courageux et très fideles a nos rois et à leur couronne, seroit-il possible que de si bonnes plantes ne produisent en nous un fruit qui ne leur ressembla, prenons garde de ne point deshonorer par nostre lascheté tant de tiltres glorieux qu'ils se sont acquis dans les plus belles occasions.
Si quelqu'un de la compagnie apprehende la mort ou les blessures, il doit considerer aussitôt que les playes d'un soldat sont les preuves du mérite qui le fait capitaine, per vulnera crescit. Ce sont ces marques d'honneur que nous portons toujours avec nous sans jamais les laisser à la maison, et c'est par ces endroits que nous nous rendons recommandables à tous les siècles.
Je ne vous propose point icy l'exemple d'Astape, ville autrefois importante dans l'Espagne, qui aima mieux s'ensevelir dans ses propres ruines, quand elle fut attaquée par les Romains, plustôt que de s'abandonner laschement à la mercy de ses ennemis, le récit en est beau et funeste. Imaginez-vous, messieurs, qu'après s'estre assemblé en public, aussitôt que les citoyens et habitans se virent assiéger, il fut resolu qu'on feroit dresser un bucher dans la place sur lequel tous les vieillards, les filles, les femmes et les enfans à l’age de douze ans seroient placés après y avoir caché tous les trésors de la ville et qu'une troupe de jeunes gens tous portant le flambeau d'une main et le poignard de l'autre, seroient destinés aux approches de leurs ennemis a allumer de tout costés ce bucher, et se sacrifier eux-mesmes a l'instant pour ne leur point servir tous ensemble de trophées tandis que les autres iroient au devant pour prolonger seulement le terme de leur dernier triomphe et donner plus de loisir à ces généreuses victimes exposées publiquement sur l'autel du sacrifice, de rendre les derniers soupirs, sans autre contrainte que celle qu'elles s'étoient imposées par un excès de fidélité ou de courage. Disons que c'estoit un spectacle bien horrible et épouvantable de voir les femmes et les enfans tués par leurs propres citoyens qui les jetoient ensuite dans le feu. la pluspart demy vivant, et les ruisseaux de leur sang servoient a en esteindre la flamme, à mesure qu'elle s'allumoit, et après s'estre lassé de tuer et leurs femmes et leurs enfants se jetèrent eux-mêmes dans le feu avec leurs armes.
Il n'est point de soldat qui ne devienne généreux lorsqu'on lui dispute sa vie, un homme en vaut deux quant il faut deffendre sa patrie, celui qui laisse sa maison y retourne s'il n'en peut trouver de plus commode, celuy qu'on en veut chasser choisit plustot d'y mourir que de perdre l'asseurance d'y vivre ; la patrie est le centre de l'homme, puisqu'il y repose ; c'est son aimant puisqu'elle l'attire ; il y a je ne sais quoy dans la terre de notre naissance qui ne se trouve point ailleurs, à mesure qu'on s'en esloigne on s'esloigne de la vie.
Je ne pretends pas donc vous persuader de suivre cet exemple qui tient plustot de la fureur et de la rage que de l'humanité, les actions de désespoir, quelque généreuses qu'elles soient, font avec elles mourir la mémoire de ceux qui les font, je le propose seulement pour faire congnoistre à tous que ces gens ont mieux aimés perir de la sorte, plustot que de faire injure à la patrie par leur lacheté et perfidie : notre patrie demande de nous des sacrifices, c'est en sa faveur que nous devons estre des sacrificateurs, marchons à nos funérailles, ne perdons la liberté qu'avec la vie.
Il est temps que je finisse en vous assurant que la victoire ou le trespas seront toujours les seuls objets de mon ambition et ne chercheray jamais mon salut sans celui de ma chere patrie, je n'allegueray ni d'excuse ni d'affaire quand il s'agira de la deffendre et pour vous le persuader vous me verrés toujours le premier dans le combat et le peril, et le dernier dans la retraite, afin qu'a mon imitation je vous serve de flambeau et de guide tout ensemble pour vous montrer le chemin du triomphe ou de la sépulture. »
Le P. Paire, dans son Histoire de Montdidier, prétend que ce discours est d'Antoine de Fevin, maïeur de Montdidier. Scellier, suivant son usage, le dénature considérablement, et ajoute en marge : On l'attribue à M. Fevin, alors maire. Ce n'est pas probable. Le chroniqueur l'Empereur, de qui Scellier a extrait ce qu'il rapporte du siége de 1636, n'en dit rien ; les termes dont il se sert indiquent même le contraire ; il se borne à dire : Un particulier, habitant très-zélé, manda la permission de parler. Or, si c'eût été le maïeur de Fevin, l'Empereur n'eût pas dit un particulier ; il aurait désigné l'orateur par son nom ou son titre, et le maire n'aurait pas eu besoin de demander la parole dans une assemblée où il était le premier. Il n'est point douteux que quelque habitant n'ait pris la parole dans les circonstances critiques au milieu desquelles on se trouvait, mais nous regardons comme complétement apocryphe le discours que nous venons de rapporter. Cet effroyable pathos est bien plus le fait d'un malheureux rhéteur qui arrange péniblement des phrases dans un cabinet, que celui d'un citoyen qu'anime la présence de l'ennemi.
Pièce justificative 51 bis
Note sur le retranchement élevé par les Espagnols dans le bois du Cardonnois.
1636.
La configuration de ce retranchement est extraordinaire et a beaucoup d'analogie avec une potence
dont le pilier formerait un angle aigu avec la partie supérieure. Le côté principal a 73m,30 delongueur sur une largeur moyenne de 5m,75 à la base, et 1m,40 de hauteur. La partie supérieure a 48m,30 de longueur ; la hauteur et la largeur sont les mêmes que celle du côté principal. Le petit côté a 34m,80 de longueur sur 1m,25 de largeur et 0m,80 de hauteur. Toutes ces hauteurs sont prises extérieurement ; à l'intérieur l'élévation est un peu plus grande et varie jusqu'à 1m,55 ; cette différence provient de ce que l'on a baissé le terrain, afin de se servir des terres pour former le terrassement. Dans le milieu et parallèlement au côté principal, dont elle est éloignée de 19 mètres dans le haut et de 24m,60 dans le bas, se trouve une levée isolée qui a 34m,80 de long sur 2m,50 de large et 1m,33 de haut. Il est assez difficile de se rendre compte de l'effet que l'on devait attendre d'un pareil retranchement : d'un côté il est entièrement ouvert, et de l'autre il n'est qu'imparfaitement garanti par cette levée que rien ne rattache au corps de l'ouvrage. Je laisse aux gens du métier à prononcer sur son efficacité.
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