Histoire de Montdidier
Livre IV - Chapitre II - Section XXXVI
par Victor de Beauvillé
LE CARON (Claude) naquit à Montdidier le 27 février 1582 ; son père, procureur au bailliage, avait été maïeur en 1602-1603 ; sa mère s'appelait Anne Lefournier ; il était l'aîné de sept enfants. Suivant l'usage de cette époque, il eut deux parrains, Pierre de Bertin, lieutenant général, et Pierre Caron, notaire ; et deux marraines, Hélène Normant et Antoinette Tassart. Claude le Caron suivit la profession de son père et de son aïeul ; il se fit recevoir avocat en parlement, et vint se fixer dans son pays, où il se distingua par son talent oratoire et l'étendue de ses connaissances. Sa réputation ne tarda pas à franchir les limites de la province, et de toute part on avait recours à ses lumières. Pierre de Mailly, seigneur de Mailly, de Remaugies, d'Onvillers, du Monchel, etc., ayant un procès considérable au parlement de Paris, fit exprès le voyage de Montdidier pour consulter le Caron, et fut tellement satisfait de ses explications qu'il voulut absolument l'avoir pour avocat. Le Caron y consentit, et gagna le procès. Pierre de Mailly, par reconnaissance, lui fit présent d'une bourse pleine d'or ; mais, aussi désintéressé qu'instruit, le Caron la refusa, disant : Que c'étoit l'honneur et non l'espérance du gain qui l'avoit porté à le servir. Frappé d'un si noble langage, Pierre de Mailly ôta une bague de diamants qu'il avait au doigt et la passa à celui de le Caron, l'assurant qu'il conserverait toujours la mémoire d'un tel procédé. L'effet suivit de près la promesse : il érigea en fief, sous le nom de Petit-de-Mailly, quarante journaux de terre que le Caron possédait au Monchel et à Ayencourt, à condition que le Caron et ses descendants ajouteraient à leur nom celui de Petit-de-Mailly, ce qui s'est fidèlement observé : c'était acquitter généreusement sa dette, et perpétuer d'une manière indissoluble le souvenir d'un service. L'acte d'érection en fief de la terre de Petit-dé-Mailly fut passé au château de Remaugies le 26 du mois d'octobre 1628.
Claude le Caron fut maïeur en 1624-1625, conseiller, maître des requêtes de Marie de Médicis en 1628, et plus tard conseiller du prince de Condé. Il mourut à Montdidier le 30 janvier 1656. De son mariage avec Françoise Lempereur il laissa deux garçons et trois filles : l'aîné fut avocat du roi au bailliage ; le cadet, président en l'élection ; c'est de ce dernier que descend la famille le Caron de Beaumesnil qui existe à Montdidier. Le Caron portait : d'azur, au chevron d'or accompagné en chef de deux croissants d'or, et en pointe d'une étoile de même.
Il a composé les ouvrages suivants :
Traicté pour monstrer qu'en la Coustume de Mondidier, entre nobles la representation en ligne collatérale n'a lieu quant aux fiefs avitins partages noblement entre les frères héritiers de leur père, et que l'aisné des frères estant décédé, lequel avoit survescu son second frère, lesdicts fiefs appartiennent au troisième frère à l'exclusion de son nepveu fils du second frère predecédé ; par Claude le Caron, advocat et ancien maïeur de Mondidier. Paris, Denys Langlois, au mont Saint-Hilaire, à l'enseigne du Pélican, 1629, in-8°, 54 pages et un feuillet d'errata.
Ce traité a été réimprimé dans les Coutumes réformées, de Chaulny, commentées par Louis Vrévin, et imprimées à Paris, en 1641, in-4°, chez Gervais Alliot, et en 1656, chez Jean Guignard, page 194, paragr. 2e, et se terminant, page 202, à la sixième ligne. Il a été imprimé pour la troisième fois dans le Grand Coutumier de Vermandois, 1728, in-fol., tome II, page 60 de la Coutume de Chaulny, col. 2, paragr. 3, jusques et y compris la page 66, col. 1, paragr. 2. Cet ouvrage donna lieu à la brochure suivante :
Responce au traicté de M. Claude le Caron, advocat à Montdidier, pour monstrer qu'aux neveux venans par représentation de leurs pères aux successions collatérales avec leurs oncles appartient les mêmes droicts et avantages qui eussent appartenus aux pères s'ils eussent survescu, sans aucune réserve ni distinction ; par A.M.L.P.A.P. (Antoine Mutel, lieutenant particulier, à Péronne). Paris, Claude Morlot, rue des Amandiers, au Soleil, 1630, in-12, 78 pages.
Cette réponse excita la verve de le Caron ; il saisit la plume et réfuta de suite son adversaire :
Réplique à la responce D.A.M.L.P.A.P. par Claude le Caron, advocat et ancien maïeur de Mondidier, pour montrer qu'en la Coutume de Mondidier, il n'y a de représentation quant aux fiefs une fois partagés entre nobles en la succession du père, et que le second frère ayant prédécédé son aisné, le troisième frère est héritier des fiefs, à l'exclusion de son nepveu, fils du second frère. In-12, 71 pages.
« Je n'ai écrit », dit-il, « que poussé d'un désir naturel vers ma patrie, en laquelle mes prédécesseurs et moy depuis cent ans et plus avons vescu, respiré et respondu sur la Coustume : ce m'est un contentement indicible d'estre combattu et esprouvé, non toutes fois vaincu, par la plume d'un personnage que je professe, bien qu'il n'ait inscript son nom pour des considérations à moy incogneues, très-capable et que j'honore et auquel je sacrifie mes vœux, tanquam aras deo ignoto.
« Nostre autheur, » dit-il dans un autre endroit en parlant de son adversaire, « s'estant occupé à faire plusieurs recherches curieuses, qui procèdent d'un homme de lecture, mais il n'y a rien pour la question, ou fort peu, et ainsy tout cela du vent. »
Le style de le Caron est souvent peu clair, et parfois même inintelligible ; c'est assez le défaut des jurisconsultes de son temps. Les deux opuscules dont nous venons de parler sont aujourd'hui presque introuvables et complétement oubliés.
L'ouvrage le plus connu de le Caron est son traité sur la Coutume de Montdidier, publié après sa mort par ses fils ; nous en avons parlé à la page 130 ; en voici le titre :
Commentaire sur les Coustumes du gouvernement de Péronne, Mondidier et Roye, fait par Me Claude le Caron, ancien advocat au parlement de Paris et au siége dudit Mondidier, imprimé après son déceds. Paris, Claude Barbin, et à Amiens, Gilles de Gouy, 1660, in-12.
Autre édition. Paris, Bessin, 1660, in-12.
C'est la seconde ; les pièces de vers insérées en tête de l'ouvrage sont plus nombreuses que dans l'édition donnée chez Barbin.
Le Commentaire de le Caron a été réimprimé dans le tome II du Coutumier de Picardie, publié en 1726 à Paris, en deux volumes in-folio.
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