Histoire de Montdidier

Livre II - Chapitre V - § I - Section III

par Victor de Beauvillé

Section III

Les Lazaristes entrent en possession du collége

Traité conclu avec la ville

Situation du collége

 

Cette proposition fut agréée ; le directeur s'obligeait en outre à faire les réparations dont la maison avait grand besoin, à restaurer la chapelle, et à recevoir les élèves externes de la ville : le bail fut approuvé le 27 août, sa durée était fixée à neuf années. Le 15 octobre 1818, le nouveau collége ouvrit ses cours sous la direction des Lazaristes. Le supérieur s'était réservé la faculté de résilier son bail au bout de six ans : précaution sage, dans le cas où l'établissement n'aurait pas réussi ; heureusement cette clause fut inutile : le collége prospéra, et de nombreux élèves accoururent suivre les leçons des professeurs. Encouragé par le succès, le supérieur du grand séminaire proposa un nouvel arrangement, destiné à faciliter les améliorations qu'il avait l'intention d'introduire dans la maison, et le 3 mars 1823, intervint, entre lui et la ville, un traité qui subsiste encore et détermine les conditions de l'existence du collége.

Par ce traité, la ville cède, pendant quarante années, qui ont commencé à courir le 15 octobre 1827, date de l'expiration du premier bail, les bâtiments, cours, jardins et fossés dépendants du Prieuré, au supérieur du grand séminaire d'Amiens, à la charge d'y ouvrir un pensionnat où l'on recevra les élèves internes et externes de la ville ; elle consent à la suppression du loyer de 1,000 fr., stipulé dans le bail de 1818. En revanche, le supérieur s'engage à faire pour 50,000 fr. de dépenses dans l'établissement, à bâtir une nouvelle chapelle, à la relier à l'ancien bâtiment du Prieuré par une construction du même genre, à faire des cloîtres, à établir une infirmerie une buanderie, etc. ; à changer l'entrée de la maison, à l'entourer de clôtures, ce qui était d'un besoin urgent, surtout du côté du fossé ; les constructions et réparations, de quelque nature qu'elles fussent, demeurant à la charge des Lazaristes, et devant, après les quarante ans du bail, appartenir à la ville, sans que la communauté pût rien réclamer.

Toutes ces conditions ont été fidèlement exécutées ; la congrégation de Saint-Vincent de Paul a dépensé bien au delà des 50,000 francs stipulés. Aucune arrière-pensée n'a dirigé les Lazaristes ; ils ont construit avec un désintéressement admirable, et comme si un avenir indéfini leur était réservé. Les travaux furent poussés avec activité, et le 15 juin 1824 Mgr de Châbons, évêque d'Amiens, vint faire la bénédiction de la chapelle. Les nouvelles additions ont plus que doublé l'étendue de l'ancien Prieuré. Pour bien se faire une idée du bâtiment primitif, il faut se placer dans le jardin du collége : la façade de ce côté, et la partie qui y correspond sur la cour, datent seules des Bénédictins ; le reste a été ajouté par les Lazaristes.

Le collége de Montdidier comptait, sous la Restauration, deux cents élèves. Après la fermeture de Saint-Acheul, leur nombre s'accrut considérablement ; en 1829, ils étaient plus de trois cents, dont une partie sortait de chez les Jésuites. Mais ce qui semblait devoir être pour l'institution un motif de prospérité devint au contraire une cause de ruine. La comparaison qui s'établit entre les deux maisons ne tourna pas à l'avantage de la nôtre, et les nouveaux venus la quittèrent promptement, emportant un souvenir peu flatteur du séjour qu'ils y avaient fait. Le collége déclina rapidement : le défaut de conduite de certains directeurs, l'insouciance et l'apathie de quelques autres, le peu de soin avec lequel se recrutaient les professeurs, le manque de tenue des écoliers, détournèrent beaucoup de parents de l'idée de mettre leurs enfants à Montdidier : de trois cents, le nombre des élèves tomba à soixante-cinq ; ils étaient perdus dans ces immenses bâtiments. Au lieu d'être bruyant et animé, le collége avait un aspect triste et désolé ; on sentait que la vie avait abandonné ce bel établissement. Au mois d'août 1849, M. l'abbé Vicart, professeur de physique, fut appelé à le diriger : c'était un choix heureux, indiqué et désiré depuis longtemps ; sous son administration le collége reprit faveur, et en 1855 on y voyait cent cinquante jeunes gens. Les professeurs, au nombre de quatorze, n'appartiennent point tous à l'ordre de Saint-Vincent, mais ils portent cependant le costume ecclésiastique.

En 1850, la ville renouvela le bail du collége, et accorda aux Lazaristes une prolongation de trente années à partir du 15 octobre 1867, époque de l'expiration des dix-sept années dont ils avaient encore à jouir sur le bail de 1827 ; ainsi, à moins de force majeure, l'existence du collége est assurée jusqu'en 1897 ; il est peu probable que nous en voyions la fin. Les travaux que le supérieur désirait faire exécuter motivèrent cette prolongation que le conseil municipal s'empressa d'accorder. Le collége a le titre d'institution de plein exercice ; il pouvait présenter directement les jeunes gens au baccalauréat, et leur faire faire des études complètes, prérogative moins importante depuis la nouvelle loi sur l'instruction publique.

L'intérieur du collége convient parfaitement à sa destination : les dortoirs, les réfectoires, les salles d'études, sont vastes, bien aérés et éclairés. La cour principale est spacieuse mais irrégulière. A droite de la porte d'entrée se trouve la chapelle ; elle est élégamment décorée, et forme une seule nef, avec tribune au-dessus de la porte ; une boiserie ornée de pilastres ioniques recouvre la muraille ; les peintures n'offrent rien d'intéressant. Le grand réfectoire est à côté de la chapelle ; il est surmonté de deux dortoirs. Le corps de logis, anciennement occupé par les Bénédictins, fait un angle droit avec le bâtiment dont nous parlons ; il renferme le logement du supérieur, les salles de réception et d'administration, l'étude, la lingerie, un petit réfectoire et deux étages de dortoirs ; un cloître fermé règne le long des bâtiments, et établit une communication commode entre toutes les parties de l'édifice. A gauche, en entrant, existe un bâtiment de brique élevé d'un étage, où sont le parloir, les classes, le cabinet de physique et l'infirmerie. Le cabinet de physique est assez bien pourvu d'instruments ; on y remarque également une collection d'armes, de porcelaines et d'objets curieux rapportés de la Chine et des pays lointains par les missionnaires Lazaristes. Dans le fond de la cour, il y a un autre corps de bâtiment plus petit, qui sert aussi pour la tenue des classes. En 1853, on a construit dans la cour une grande salle de récréation couverte seulement, et dont la charpente est soutenue par des colonnes de fonte : c'est une heureuse amélioration. La basse-cour, située derrière le réfectoire, a une sortie séparée du côté de la route d'Amiens. Les Lazaristes ont tiré un excellent parti des anciens fossés de la ville ; ils les ont comblés, disposés en terrasses, et, à force de persévérance et de travail, ils ont métamorphosé un sol inculte en un jardin d'assez bon rapport : une partie est boisée et forme une promenade agréable.

L'instruction que l'on donne au collége est solide ; les études y sont aussi fortes que dans les maisons d'éducation des villes environnantes : le prix de la pension est très-modéré, trop modéré peut-être : il est de 400 francs par an ; en l'augmentant, le personnel de la maison serait meilleur, et le collége ne pourrait qu'y gagner. On ne saurait trouver un établissement placé dans des conditions plus satisfaisantes ; les professeurs prennent un soin constant des jeunes gens qui leur sont confiés : fermes sans sévérité, religieux sans affectation, ils se tiennent sagement en dehors des coteries de la ville, s'occupent exclusivement de leur pensionnat, et évitent tout ce qui serait de nature à porter atteinte à la dignité de leur caractère. Puissent les éléments favorables que possède le collége, mis en œuvre et dirigés par une main habile, répondre à l'attente des familles, et concourir à la prospérité et à l'éclat de la ville. [cf. SUPPLÉMENT]

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