Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre VIII - Section III
par Victor de Beauvillé
Section III
Antoine de Bertin se met à la tête des catholiques
Ses démêlés avec les protestants
Précautions prises contre les réformés
La réconciliation opérée par les commissaires ne fut pas de longue durée. Antoine de Bertin, à qui sa charge de lieutenant général au bailliage donnait une grande prépondérance, faisait pencher la balance en faveur de son parti. Les protestants, qui n'avaient parmi eux aucun personnage assez puissant pour lui résister, s'adressèrent à Jean de Monchy, seigneur de Senarpont, lieutenant général en Picardie, en l'absence du prince de Condé. Jean de Monchy manda à Antoine de Bertin de souffrir l'exercice de la nouvelle religion tant en public qu'en particulier, dedans et dehors la ville, et de mettre en liberté les prisonniers détenus pour le fait de la religion. Cet ordre blessait les sentiments du lieutenant général, qui ne se pressa pas d'obéir. Les protestants réclamèrent vivement. Les ministres Gaudry et Lesteinc, portèrent plainte au prince de Condé ; de Bertin fut assigné par François de Bernets, seigneur du Cardonnoy, à comparaître en personne devant le prince en son château du Plessier-lès-Roye ; il s'y rendit le 22 juillet 1567, sans éprouver la moindre inquiétude ; la droiture de ses intentions était la meilleure des sauvegardes. De Bertin fit ses remontrances au prince de Condé, qui fut si charmé de l'entendre qu'au lieu de le traiter en coupable, il le reçut comme son hôte, et lui dit en le congédiant : Allés, monsieur le lieutenant, faites cela pour l'amour de moy, et je vous assure que pour un escu que vous avez perdu, je vous en ferai récompenser par la reine de dix et plus. Les ennemis de de Bertin essayèrent encore de le perdre en l'accusant auprès de Jacques d'Humières, gouverneur général, d'avoir voulu informer contre lui comme suspect, et d'avoir à deux reprises différentes insulté le seigneur de Mesviller, capitaine de la ville ; mais de Bertin se justifia facilement de ces calomnies.
Le 13 septembre 1567, eut lieu à Péronne l'assemblée générale des trois ordres du gouvernement, chargée de procéder à la rédaction de la Coutume ; catholiques et protestants s'y rendirent, et oublièrent un instant leurs divisions pour ne s'occuper que de l'intérêt public. Pierre de Baillon, maïeur, et Claude Vuion, lieutenant de la mairie, furent délégués, dans cette occasion solennelle, pour défendre les priviléges de la ville ; on peut voir ce qui a rapport à la Coutume de Montdidier au liv. III, chap. v, de cette Histoire.
La guerre s'étant rallumée entre les deux partis, les protestants s'emparèrent de plusieurs places fortes : par suite, des mesures extraordinaires de précaution furent adoptées. Le 21 octobre 1567, le marché au blé se tint hors de la porte Becquerel, et dans la crainte d'une surprise, on ne laissa entrer que les personnes qui avaient des connaissances dans la ville. On exigea des réformés qui désiraient y demeurer, le serment de rester sous l'obéissance du roi et la promesse de ne sortir de Montdidier qu'avec la permission du maïeur et des échevins, sous peine de ne pouvoir y rentrer ; de ne porter aucune arme, de ne point aller et venir dans la ville ou aux murailles aussitôt le guet commencé. A ces rigueurs excessives vinrent s'en joindre d'autres. Le 5 novembre, Jacques d'Humières ordonna le désarmement des réformés, leur donnant à entendre qu'ils eussent à ne pas s'éloigner s'ils voulaient sauver leur tête.
Antoine de Brouilly, seigneur de Mesviller (Piennes), avait quitté la ville, indigné des persécutions exercées contre ses coréligionnaires. C'était un loyal gentilhomme, aussi attaché à son devoir qu'à sa religion ; en présence de l'anarchie profonde qui régnait autour de lui, il oublia tout ressentiment personnel et ne songea qu'à se rendre utile. Le 4 novembre, il écrivit au maïeur, Pierre de Baillon, « qu'étant capitaine de Montdidier il délibéroit de s'y retirer pour aider et conserver la ville, et le prioit de lui faire savoir si on le recevroit. » Avant de l'admettre on résolut de consulter le gouverneur général. Froissé de ce procédé, et voyant qu'il ne pouvait vaincre la défiance des habitants, Antoine de Brouilly sacrifia sa place à sa croyance, et donna sa démission le 5 octobre 1568, à la charge de 1,000 liv. de pension. Antoine de Brouilly avait épousé, en 1539, Charlotte d'Aumale, dame de Martinville ; il mourut en 1578.
Le lieutenant général au bailliage et le maïeur disposaient de tout dans la ville et au dehors. Le 25 novembre 1567, Antoine d'Halwin, seigneur de Piennes, lieutenant général en Picardie, leur écrivit de faire choix d'un nombre raisonnable de soldats soit à Montdidier, soit dans les bourgs et villages de l'élection, pour les mettre dans la ville, si le besoin s'en faisoit sentir.
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