Histoire de Montdidier

Livre I - Chapitre I - Section IV

par Victor de Beauvillé

Section IV

Tour de Gannes

Porte de Roye

Ingénieurs militaires

Règlement concernant les fortifications

Introduction de l'artillerie

Garnison

 

Entre ce cavalier et la porte de Roye, on voit encore, dans le fossé, une ancienne tour de pierre blanche : c'est la tour de Gannes ; il en est question dans un compte de 1522 ; en 1626 et 1636 on l'appelait tour Tassegond. En 1590, époque à laquelle fut faite la tour de Juvenssy, on exécuta de grandes réparations aux fortifications ; un nommé Antoine Tassegond était alors échevin ; peut-être fit-il restaurer la tour de Gannes, qui depuis aura porté son nom.

La porte de Roye, couverte par une demi-lune, était protégée par deux grosses tours de brique ; l'une d'elles, étant tombée en 1610, fut remplacée par un fort éperon. L'on y fit une restauration importante en 1630, et à cette occasion on y plaça les armes du gouverneur général, Potier de Gesvres. Ce qui restait de la porte a disparu en 1829 : venait ensuite la tour Rouge, dont nous avons déjà parlé.

Les tours étaient reliées entre elles par d'épaisses murailles ; une terrasse élevée, qui commençait à la motte de Juvenssy et aboutissait à la tour Blanche en passant au-dessus des portes d'Amiens, de Roye et de Paris, complétait le système de défense. Toutes les fortifications ont disparu ; de ces tours nombreuses il ne subsiste que des débris informes des tours à Blocailles, de Juvenssy et de Gannes. Les anciens fossés, creusés dans le roc, ont été comblés entièrement, à l'exception d'une faible partie entre la tour de Gannes et la motte de Juvenssy. La contrescarpe, revêtue de pierres de taille, rendait encore plus difficiles les approches de la place. Le point le plus faible était entre la tour Rouge et la porte de Paris ; de la hauteur des Montelettes, qui est en face, on dominait la ville de cinq à six mètres environ ; aussi ce fut toujours en livrant l'assaut de ce côté que les ennemis s'emparèrent de Montdidier.

Les ouvrages de défense que nous venons d'indiquer ne remontaient pas au delà du règne de Louis XI. Après avoir incendié et détruit Montdidier (1475), ce prince commença, en 1477, à faire rebâtir la ville et à relever ses murailles : ses successeurs suivirent son exemple, et y firent travailler sans discontinuer. Le nom de plusieurs des ingénieurs appelés à diriger les travaux est venu jusqu'à nous : Petre Francisque, en 1524 ; l'Italien Marc-Antoine Castel, en 1536 ; Artus de la Morlière, en 1537, et en 1554 le capitaine Méliory, sont indiqués dans divers titres comme ayant été chargés de la direction des fortifications. Quelques pans de murs et trois tours ruinées sont tout ce qu'il en reste : félicitons-nous de ne plus en avoir besoin. Les victoires de Louis XIV, en reculant les frontières du royaume, ont éloigné l'ennemi de nos remparts. Son époque fut l'ère de la véritable grandeur de la France. L'ignorance et l'envie ont beau attaquer sa mémoire, elles ne pourront ternir l'éclat de son nom. Ses conquêtes ne furent pas éphémères ; les provinces qu'il a ajoutées à la couronne, la France les possède encore : ce sont les plus riches, les plus populeuses, et tous les jours nous nous ressentons de la splendeur de son règne.

D'anciens titres parlent de tours dont la position n'est pas bien déterminée, telles que les tours Raoul Coquel, de la Hotte, Couppy, etc. D’après sa dénomination, cette dernière devait se trouver du côté de la vallée, la rivière ayant porté le nom de rivière de Couppy ou Couppin : dans des lettres de grâce du 5 mars 1351 (Pièce just. 24), il est question d'un nommé Raoul Coquel. On apportait le plus grand soin à la conservation des fortifications, et la peine de mort était prononcée contre ceux qui se permettaient de les dégrader. L'article 13 du règlement fait à la mairie en 1433 est ainsi conçu :

« Item. Nous deffendons que nuls ne despieche les agarittes, les fenestres, ne aloirs de le forteresse de le ville  ne n'en prengne ne emporte quelque chose sur le hart. »

Dans le règlement de la même année, fait après la foire, se trouve cet autre article 

« Item. Nous deffendons que nuls ne soit si hardi de aler pardessus les murs de le forteresse pardedans ni pardehors la ville sur paine cappitale,  ne defaire le muraille ne agarites. »

Jusqu'au dix-huitième siècle il y eut à Montdidier un fonctionnaire chargé de veiller à l'entretien des ouvrages de la place : il prenait le titre de Contrôleur des fortifications.

Montdidier est une des premières villes où l'on ait fait usage du canon. Elle était pourvue d'artillerie dès le milieu du quatorzième  siècle, ainsi que le prouvent les lettres de rémission accordées, en 1358, aux habitants qui avaient pris part aux troubles de la Jacquerie. Nous sommes maintenant plus mal partagés que nos ancêtres : nous n'avons pas le plus mince pierrier, pas le plus petit fauconneau, et ce n'est que sur les programmes de l'hôtel de ville qu'il est parlé du bruit du canon et des salves d'artillerie.

Montdidier jouissait dans le siècle dernier d'un avantage qu'il a perdu : une brigade de gardes du corps y tenait garnison, et répandait de l'argent dans le commerce. Les officiers, appartenant à des familles nobles, ajoutaient par leur présence et la distinction de leurs manières aux plaisirs de la société. Les militaires étaient logés chez les bourgeois, ce qui occasionnait parfois des inconvénients dont les grands parents s'apercevaient toujours trop tard. L'un de nos plus aimables romanciers, le brave et spirituel comte de Tressan, y commandait, en 1741, une brigade de la compagnie de Noailles.

Le manque absolu de caserne dans une ville qui fut longtemps place frontière est extraordinaire ; aussi aurai-je plusieurs fois occasion de parler des plaintes que le logement des gens de guerre inspira à la population.Lors des campagnes de Louis XIV en Flandre, cette charge pesa tellement sur les habitants, qu'en 1675 un grand nombre d'entre eux furent sur le point de quitter la ville pour s'y soustraire. Aujourd'hui nous n'avons plus le plaisir de voir caracoler sur la Place les fringants coursiers des gardes du corps, et l'arrivée d'un régiment est un événement qui fait mettre tout le monde aux fenêtres, bien que, depuis l'ouverture de la route de Rouen à la Capelle, les passages de troupes soient devenus plus fréquents.

Nous venons de placer sous les yeux du lecteur l'esquisse, aussi fidèle que possible, de ce qu'était autrefois Montdidier : abordons un autre sujet, et voyons quelle est l'origine de cette ville.

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