Histoire de Montdidier
Livre I - Chapitre I - Section II
par Victor de Beauvillé
Section II
Enceinte de Montdidier sous Philippe-Auguste
Ouvrages de défense que ce prince fait exécuter
Philippe-Auguste porta, sans le vouloir, le premier coup à la prospérité de la ville en la faisant environner de murailles. Comme nous l'avons dit plus haut, il avait brûlé les faubourgs en 1184, et ne s'était arrêté qu'empêché par les hommes d'armes du comte de Flandre, qui tenaient garnison dans le château. Devenu maître de Montdidier, et instruit par sa propre expérience, le roi voulut éviter qu'un pareil malheur ne vînt amoindrir sa nouvelle possession ; aussi, en accordant aux habitants une charte communale, il leur imposa l'obligation d'employer le tiers des biens des personnes qui mourraient sans héritiers à entourer la ville de murs. Si l'on n'avait eu que cette faible ressource pour fortifier Montdidier, il se serait passé de longues années avant qu'il fût en état de résister aux efforts de l'ennemi ; mais le roi pourvut lui-même à la défense de la place. D'après ses ordres, Guillaume de Flaminville et Geoffroy Canoele se mirent à l'œuvre ; sous leur direction, l'on vit les fossés se creuser, les portes, les tours, les murs de grès surgir du sol et présenter à l'ennemi leurs fronts menaçants. En parlant des événements dont notre ville a été le théâtre sous le règne de Philippe-Auguste, nous entrerons dans de plus longs développements sur les travaux que ce prince fit exécuter.
La précaution de Philippe-Auguste était digne de ce grand monarque : elle eût été parfaite si elle avait compris toute la ville ; mais le roi se borna à faire ceindre de murs la partie de la cité qui était sur la montagne, laissant en dehors des fortifications celle qui se trouvait dans la vallée. Cette dernière partie, exposée sans défense aux attaques de l'ennemi, ne tarda pas à se dépeupler, et les habitants l'abandonnèrent pour se réfugier dans la haute ville ; la guerre et tous les fléaux qu'elle traîne à sa suite vinrent encore les y assaillir, et pendant deux siècles la misère la plus profonde fut le triste partage de nos pères.
Ces fortifications que Philippe-Auguste avait fait élever pour la sûreté des habitants devinrent elles-mêmes une cause de gêne incessante : c'étaient des impôts continuels qu'il fallait payer pour leur entretien, des corvées accablantes qui se renouvelaient constamment, sans proportion avec le nombre et les ressources de la population.
Lorsque Philippe-Auguste entra en possession de Montdidier, le château formait la principale défense de la ville ; mais vraisemblablement il y avait dès cette époque une enceinte fortifiée qui la protégeait en partie. Le Cartulaire de ce prince, conservé à la Bibliothèque nationale, énonce formellement qu'il fit édifier à Montdidier trois portes nouvelles, et refaire les murs (Pièce justificative 11) : d'où nous devons conclure qu'il y avait déjà des murs et des portes de ville.
Quelles sont les trois portes nouvelles que fit construire le roi ? On ne saurait rien préciser à cet égard. Il est probable cependant que la porte de Paris était l'une des trois, puisque c'est à partir du règne de Philippe-Auguste que l'église du Saint-Sépulcre s'est trouvée en dehors de la ville. Je croirais volontiers que les deux autres étaient celles de Noyon et de Roye ; les portes d'Amiens et de Becquerel, plus voisines du château, devaient exister dès le temps de nos comtes. Au surplus, ce n'est là qu'une conjecture ; il ne reste absolument rien de ces fortifications primitives, et les débris de murs que l'on remarque ne datent que du quinzième siècle.
Voyons, comme place de guerre, quelle était la force de Montdidier au dix-septième siècle, par exemple, époque où il résista glorieusement aux efforts combinés de Jean de Werth et de Piccolomini. La ville était à peu près dans le même état il y a soixante ans ; mais ses fortifications, devenues inutiles depuis que Louis XIV avait conquis la Flandre et l'Artois, tombaient en ruine, et ses murailles abandonnées, présentant partout de larges brèches, croulaient dans les fossés.
Quatre portes donnaient entrée dans Montdidier : c'étaient les portes du Saint-Sépulcre ou de Paris, celles de Becquerel, d'Amiens et de Roye ; il y en avait anciennement une cinquième appelée la porte de Noyon, à l'extrémité de la rue du Moulin-à-Vent, mais dès la fin du quatorzième siècle elle avait été supprimée. Ces portes étaient défendues par dés éperons et des tours élevées : on n'y arrivait qu'après avoir traversé des fossés larges et profonds, taillés dans le roc. D'autres tours, placées de distance en distance le long des murs, en défendaient l'approche. La plus forte, nommée la tour Rouge, parce qu'elle était construite tout de brique, occupait l'emplacement de l'ancienne porte de Noyon, à l'angle du rempart et de la rue du Moulin-à-Vent ; elle faisait une saillie considérable sur le fossé, et était destinée à protéger l'espace compris entre la porte de Paris et la porte de Roye. C'était l'endroit le plus vulnérable ; aussi avait-on surmonté la tour d'une plate-forme très-élevée, d'où l'on dominait la ville et la campagne. En 1419, le duc de Bourgogne permit d'établir sur cette plate-forme un moulin à vent c'est à cette particularité que la rue voisine doit le nom qu'elle porte encore aujourd'hui. La tour Rouge avait été réparée sous Henri II, par François de Vivonne, seigneur de la Châtaigneraye, qui, en souvenir, fit placer dans le haut ses armes : d'hermine, au chef de gueules. Le moulin à vent fut abattu en 18o3 ; la tour ne tarda pas à subir le même sort : de ses débris énormes on combla (1817) une partie du fossé, et l'emplacement qu'elle occupait servit à ouvrir une communication directe entre l'intérieur de la ville et la route de Compiègne.
De la tour Rouge, en suivant le rempart, on arrivait à la porte de Paris : elle était décorée des armes de France ; de celles du duc d'Elbeuf, gouverneur de Picardie ; de Georges de Monchy, marquis d'Hocquincourt, gouverneur général de Péronne, Montdidier et Roye, et de Nicolas de Gomont, capitaine de Montdidier. Au-dessous de ces écussons, un boulet, surmontant les armes de la ville, rappelait que c'était de ce côté qu'elle avait été attaquée et prise en 1523. La date 1665, placée plus bas, indiquait l'époque à laquelle ces armoiries avaient été posées. En 1829, la démolition de cette porte fut jugée indispensable : l'état de délabrement dans lequel elle se trouvait attristait les regards ; son peu de largeur, le coude qu'elle formait et la roideur de la pente, rendaient le passage dangereux ; elle était bâtie de brique et pierre ; les fossés qui la bordaient étaient revêtus de grès. La porte de Paris fut brûlée et détruite en 1470, 1472 et 1523 ; il y avait au-dessus un cavalier d'où l'on dominait le faubourg ; dans la courbe qu'elle décrivait, existaient, à gauche, des bâtiments appelés les Écuries du roi, qui servaient pour les chevaux des gardes du corps en garnison à Montdidier ; elles avaient été construites en 1730. La démolition de la porte de Paris a été une des améliorations les plus heureuses effectuées dans ces dernières années ; depuis, l'aspect de Montdidier a changé d'une manière sensible : la ville est ouverte ; de la Place, on découvre le faubourg de Paris, qui paraît en être le prolongement, et l'on jouit d'une jolie vue sur la campagne.
Après la porte de Paris, venait la tour Blanche, située à l'extrémité de la rue des Pintelettes, à l'angle du boulevard ; elle tirait son nom de la blancheur des pierres employées dans sa construction. Cette tour, dont il est question dès 1473, était extrêmement forte et formait une saillie très-avancée sur le fossé ; reconstruite en 1618,- elle fut abattue en 1846, pour livrer passage à la route de Rouen à la Capelle : à sa base on remarquait une grande chambre ronde, autour de laquelle étaient pratiqués six enfoncements de forme semi-circulaire, destinés sans doute à serrer des munitions de guerre. Sur cette tour et sur un gros mur de brique contigu, réparé en 1624 et dont il reste encore une partie, on voyait les armes de Bernard Potier de Gesvres, seigneur de Blérencourt, gouverneur général de Péronne, Montdidier et Roye. Venait ensuite la tour du Goulot ; dans un titre de 1515, elle est indiquée sous le nom de tour d'Aigneville, à l'extrémité de la rue des Escoiers, au bout de la poterne.
*